Auteur : Binta Hits : 723
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Bientôt, je serai morte.

Pourtant, je ne pense pas avoir été plus injuste ou plus cruelle que vous-même. A mon humble connaissance, je n’ai jamais été celle qui a jeté la première pierre, et cela depuis ma naissance. J’ai cherché, je le crois, à être la plus équitable et la plus paisible possible, afin de rendre la vie plus agréable pour tous. Parfois, il est vrai, je me suis montrée sous des jours moins tolérants et mes colères, déchaînées, devenaient alors aussi puissantes que terribles. Je puis même avouer les avoir sincèrement regrettées un nombre incalculable de fois, car elles frappaient aveuglément des innocents.
Mais vous, que pouvez-vous me reprocher ? Vous savez aussi bien que moi que la colère, muée en une fureur sourde et folle libérée de toute emprise, devient totalement incontrôlable et ravage tout ce qui aura l’audace insensée de se trouver sur son passage. Car, oui, mes colères, aussi terrifiantes et dévastatrices soient-elles, ont toujours été la conséquence de l’audace démesurée que l’on m’opposait, et cela de manière systématique. Jamais, je vous le répète, je n’ai jeté la première pierre à quiconque. Et pourtant, bientôt, je ne serai plus de ce monde, au sens propre du terme.
Je ne parviens pas à comprendre le pourquoi de ma condamnation à mort. Je n’imagine pas une seule seconde la raison qui pourrait me démontrer que j’ai mérité mon sort. Je ne peux d’ailleurs pas imaginer une telle raison, puisqu’une telle raison n’existe pas. Et à supposer qu’elle vienne à exister, ce qui est hautement improbable, je ne serai plus là pour la connaître.

Quel est donc mon crime ?

J’ai vu des générations se succéder de manière aussi imperturbable que la rotation continuelle des planètes du système solaire. J’ai entendu, à votre image, les rires cristallins des enfants fascinés par les bondissements spectaculaires des dauphins. J’ai souri avec bienfaisance aux bulles de savon qui s’envolaient gracieusement vers les cieux, emportant avec elles les sourires éphémères des passants, même lors des jours sombres où la tristesse emplit les cœurs ombrageux. Je me suis, moi aussi, émerveillée face au spectacle cyclique de la Vie qui, pourtant, a pris son départ hésitant il y a de cela des milliers d’années. J’ai appris, comme la plupart d’entre vous, les évènements historiques qui ont marqué les temps précédant le nôtre. Mais le Temps nous rattrape tous à présent, et la dette qu’il réclamera d’ici peu est loin d’être payée.

Enfants, pardonnez mon sinistre jugement, mais peut-être vaudrait-il mieux que vous n’existiez jamais plus. Enfants, je vous aime plus profondément que vous ne puissiez l’imaginer. J’ai fait, il y a de cela bien longtemps, abstraction tant de vos différences que de vos ressemblances, afin de mieux les sublimer dans vos yeux remplis d’espoir. Mais, en grande majorité, vous grandissez et oubliez ce que vous avez été. Vous mourez silencieusement, à petit feu, dans le cœur des Hommes pendant que leur mémoire efface scrupuleusement tout ce qui peut vous lier. Alors, ces Enfants Oubliés deviennent des Hommes irresponsables et arrogants, désormais désespérément attachés à l’argent, ce poison infernal dont la principale conséquence a été de répandre le sang jusque dans les entrailles de la terre.

L’Oubli vous perdra. Moi, je n’ai rien oublié. Je me souviens de mon enfance, alors que vous, qui lisez ces lignes, n’existiez même pas. Je me souviens du soleil qui, chaque matin, perçait la brume enveloppant les hautes herbes pour venir, calme et serein, illuminer les gouttes de rosée perlant sur les feuilles des arbres qui s’emblaient, alors, briller de mille éclats liquides ! Je me souviens également des sables brûlants du désert dont les innombrables particules s’envolaient au gré du souffle de l’harmattan. Le spectacle des nuits glaciales où la voûte céleste s’embellissait au fur et à mesure qu’elle habillait son corps nu, bleu foncé ou noir, d’étoiles rivalisant de beauté et de lumière, demeure – et demeurera jusqu’à ce que je disparaisse – dans ma mémoire. Il est des choses que vous n’avez presque jamais comprises. Certains d’entre vous, si, et je garde précieusement le souvenir de leur sagesse en mon sein. Par exemple, pouvez-vous affirmer en étant parfaitement honnête avec vous-même que vous avez déjà réfléchi à ce que pouvait représenter l’eau ? Avez-vous déjà songé que l’eau peut-être le venin de ceux qui la possèdent à foison ? Qu’elle peut être la salive de ceux qui parlent pour ne rien dire, ce qui est d’ailleurs le cas de la plupart des hommes politiques ? Qu’elle peut être des larmes que l’on oublie ?
A travers le temps, vous vous êtes sans cesse dressés les uns contre les autres, vous avez inventé les plus terribles machines et avez fait couler le sang de vos semblables. Le sol et les pierres en sont devenus écarlates, et le Soleil n’a jamais pu effacer complètement l’horreur de cette triste réalité. Paradoxalement, vous avez aussi fait preuve que vous étiez capable d’une sagesse infinie, d’une bonté d’âme remarquable et d’un courage exceptionnel. Aussi loin que peut remonter le cours de mes souvenirs, vous m’avez toujours fascinée, tout à tour par votre audace et votre inconscience. Seulement, vous m’avez défiée.

Mes lois sont irréversibles, et votre irrespect à leur encontre ne demeurera pas impuni. J’ai tenté de vous avertir. En vain. Vous ne pourrez pas éviter ma sentence, aussi intelligents que vous puissiez être. Le ciel, vous l’avez caressé sans le toucher, mais bientôt vous le fuirez en hurlant. Le feu vous a réchauffé le corps et le cœur depuis des temps immémoriaux, mais vous n’en conserverez d’ici peu qu’un infime souvenir ou qu’une brûlure insupportable.
Dure comme la pierre ou douce comme la mousse, la nature est la source de votre vie. Mais elle peut aussi vous tuer, et lorsque viendra la dernière danse, vous serez dans ses bras accueillants. Enfin, celui qui vous fait désormais défaut se trouve partout mais ne peut se saisir ; il est en votre possession mais il vous possède et si par malheur vous le perdez, votre fin est venue.

Oui, vous avez perdu l’Esprit ! L’enseignement que pouvaient vous transmettre les morts n’aura servi à rien. Vous avez empoisonné mon corps et ravagé mes poumons à vos fins futiles ! Bientôt, le mouvement qui m’anime cessera. Le nom que vous m’avez donné disparaîtra pour l’éternité. Le bleu était ma couleur préférée, vous l’aviez correctement deviné en me baptisant « Planète Bleue ». Oui, mais le bleu de mes eaux s’est estompé. J’entends les cris déchirants des arbres qui me supplient de mettre fin à leurs souffrances. Je vois mes animaux disparaître en maudissant l’existence même de l’Homme ! Ils pleurent votre folie et sont outragés face à votre insolence sans cesse grandissante. Ils me donnent leur dernier souffle de vie, calmement, presque heureux, dans l’espoir de ne plus jamais connaître le désespoir de la vie que vous leur avez imposée.

De même que vous punissez vos criminels, mes assassins paieront pour leurs actes déments. Bientôt, je serai morte, puisque vous m’aurez tuée. Bientôt, vous serez morts, puisque vous disparaîtrez avec moi. Moi, je sais ce que je suis : je suis la planète sur laquelle vous vivez, et non votre planète. Qui croyez-vous être pour oser penser que je vous appartiens ? Car, finalement, qui êtes-vous ? Ou plutôt, qui n’êtes vous plus ?...
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