« Je te la donne.»
Pourquoi ai-je soudain dit cela? Est-ce la fin de quelque chose que je ressens au fond de moi au point de me glacer les os et le coeur? Est-ce le repenti de cette folie qui a été trop longtemps mienne? Est-ce ce père que j'ai fait disparaître au plus profond de moi, le tuant d'une salve sans lui donner la moindre chance de survie? Tout ce que je sais c'est que maintenant plus rien n'a d'importance... si quelque chose... il n'est qu'une seule vie que je peux encore sauver; sans doute pas la mienne, il est bien trop tard pour cela. André je te confie ce voeux que pour la première fois depuis plus de trente ans, j'ose finalement formuler: sauve-la... sauve ce soldat au corps de femme, au coeur enfermé... sauve mon Oscar... sauve ma fille....
Serait-elle à ma place plus forte qu'un homme
au bout de ces impasses ou elle m'abandonne
Vivre l'enfer mourir au combat
faut-il pour lui plaire aller jusque là
Se peut-il que j'y parvienne
Se peut-il qu'on nous pardonne
Se peut-il qu'on nous aime
pour ce que nous sommes
« Je te la donne.»
Que voulait-il dire par cela? C'est la première fois que j'entends mon père parler ainsi. Pourquoi suis-je soudain devenue « ELLE »? Je suis son fils et je le serais jusqu'à ce que mon coeur ait cessé de battre dans ma poitrine, jusqu'à ce que la divinité qui nous observe ait enfin cessé son sinistre jeu. Il est trop tard pour faire de moi une femme, même si c'est pour sauver mon insignifiante vie. Si la faucheuse doit croiser ma route, homme ou femme, quelle importance?
Se met-il à ma place quelques fois
quand mes ailes se froissent
et mes îles se noient
Je plie sous le poids
plie sous le poids
de cette moitié de femme
qu'il veut que je sois
Je veux bien faire la belle, mais pas dormir au bois
Je veux bien être reine, mais pas l'ombre du roi
Faut-il que je cède
Faut il que je saigne
pour qu'il m'aime aussi
pour ce que je suis
Pourrait-il faire en sorte
Ferait-elle pour moi
ouvrir un peu la porte
ne serait ce qu'un pas
Pourrait il faire encore
encore un effort
un geste un pas
un pas vers moi...
Je n'attends pas de toi que tu sois la même
Je n'attends pas de toi que tu me comprennes,
Seulement que tu m'aimes pour ce que je suis
« Je te la donne. »
Cette phrase est-elle mon ultime délivrance? J'ai tant rêvé de l'entendre que je me crois encore endormi. Mais la voix de ce père est tremblante et presque désespérée. Il me voit comme sa dernière chance de la sauver... mais le souhaite-t-elle? Elle si forte? Elle qui me voit à peine, comme l'ombre que le soleil a le privilège de dessiner sur sa silhouette. Je voudrais tant être cette tâche sombre qui la suit partout et qui ose même toucher ses mains ou ses pieds par moments... privilège que jamais je n'aurais. Il me la donne, mais elle ne se donnera pas.
Se met-elle à ma place quelques fois
Que faut-il que je fasse pour qu'elle me voit
Vivre l'enfer mourir au combat,
veux-tu faire de moi ce que je ne suis pas
Je veux bien tenter l'effort de regarder en face
mais le silence est mort et le tien me glace
Mon âme soeur cherche l'erreur
Plus mon sang se vide et plus tu as peur
Faut-il que je t'apprenne
je ne demande rien
les eaux troubles ou je traîne
ou tu vas d'où tu viens
Faut-il vraiment que tu saches
tout ce que tu caches
tout au fond de moi
au fond de toi
Je n'attends pas de toi que tu sois la même
Je n'attends pas de toi que tu me comprennes,
Mais seulement que tu m'aimes
seulement que tu m'aimes
pour ce que je suis
Quand je doute
Quand je tombe
Et quand la route est trop longue
Quand parfois je ne suis pas
ce que tu attends de moi
Que veux-tu qu'on y fasse
Qu'aurais-tu fais à ma place ? |