Chapitre 1
Le ciel était noir.
Les éclairs ne cessaient de zébrer le ciel de la nuit. Aucune étoile, ce soir. Le tonnerre grondait, de plus en plus fort. Le vent faisait se cambrer les arbres du parc. L’air froid du mois de novembre passait par le bas de la porte de la cuisine. Les volets claquaient bruyamment.
Assis à la table, André regardait fixement l’ombre qui bougeait à la fenêtre. Une bouteille vide gisait, allongée. Une autre, à moitié pleine, semblait le narguer. Le jeune homme s’en saisit et en but deux ou trois gorgées goulûment. Même pas rassasié, il la reposa brutalement. Il se prit la tête dans ses mains. Au fond de lui, il entendit son rire cristallin.
« Alors, André, lui disait-elle à l’oreille, voilà ce que tu fais quand je ne suis pas là ? Ce n’est pas beau à voir ! » Et elle éclatait de rire. Encore.
Avec un cri rageur, il envoya la bouteille vide se fracasser contre le mur du fond.
« Dieu, voilà donc ce que je fais dès qu’elle s’absente ? Suis-je donc complètement dépendant de sa présence ? Non… Bien sûr que non… Oscar est mon frère, ma petite sœur à la rigueur, mon meilleur ami… Mais sûrement pas une femme qui m’obsède nuit et jour…. C’est vrai que depuis quelques temps, elle est devenue vraiment belle ! Elle est toujours la même, mais différente en même temps… Mon Dieu, mais que m’arrive-t-il ? Pourquoi son image apparaît-elle dès que je ferme les yeux ? Est-ce cela qu’on appelle « désir » ? Ou bien « amour » ? » songeait-il, encore et toujours.
Il ne prêta pas attention à la porte qui s’ouvrait et se fermait derrière lui. Pas davantage aux bras qui encerclèrent son cou. Ce fut seulement lorsqu’il sentit un baiser sur sa joue qu’il réagit.
_Qu… Qui est là ? Grand-mère ? Os… Oscar ? bafouilla-t-il, les effets des deux bouteilles d’alcool étant encore présents.
_Non… Je suis encore mieux, susurra une voix chaude à son oreille.
La jeune femme, qui devait être âgée de dix-huit ans tout au plus, était plutôt jolie. Elle avait de longs cheveux bruns ondulés, des yeux noirs, le teint blanc, les lèvres rouges… Elle était grande et mince… Peu d’hommes pouvaient se vanter d’avoir résisté à ses assauts. André en faisait partie. Pourquoi coucher avec elle, si c’était pour penser à Oscar ?
_De… Delphine ? bredouilla-t-il.
_Gagné…, murmura-t-elle en s’asseyant face à lui sur ses genoux.
Il s’apprêtait à la renvoyer, encore une fois, gentiment mais fermement, lorsqu’elle s’empara de ses lèvres… Son premier réflexe dut de l’écarter. Il planta son regard émeraude dans le sien. Il y vit une flamme briller… Probablement la même flamme qui étincelait dans ses yeux à lui quand il regardait Oscar… S’apercevant qu’il semblait perdu, Delphine posa à nouveau ses lèvres sur les siennes. Elle passa ses bras autour de son cou. Leurs langues se mêlèrent. La bouche de Delphine se mit à parcourir le torse d’André de baisers brûlants…
« Cède-moi, mon Amour, songeait-elle. Tu ne penseras peut être pas à moi lorsque nous ne ferons qu’un… Mais un jour, je te la ferai oublier… Je te le jure. Mais, laisse-moi faire… Laisse-toi faire… »
Sentant ses dernières défenses fondre, André la prit dans ses bras et se leva. Il s’empara à nouveau des lèvres de la jeune femme. Sauvagement. Avidement. Les yeux fermés, il se guida vers sa chambre qui –Dieu merci- se trouvait au rez-de-chaussée.
Il la posa sur son lit et entreprit de la déshabiller, tout en embrassant chaque parcelle du corps qu’il dénudait. Il lui infligeait mille et une tortures mais ne la voyait plus… Delphine n’était plus Delphine. Une chevelure blonde avait remplacé la brune. Son corps était devenu celui parfait d’Oscar…
Bientôt, sans qu’il ne s’en rende vraiment compte, André se retrouva nu, au-dessus de Delphine. Et lorsqu’ils s’unirent, dans ce mélange de sentiments mais en l’absence de l’amour, André pensait à Oscar… C’était elle qu’il désirait, qu’il aimait… A quoi on se le cacher ? Il n’entendait pas les cris de plaisir de sa compagne… Tout ce qui résonnait en lui, c’était « Alors, voilà ce que tu fais quand je m’absente ? Ce n’est pas beau à voir ! » Et un éclat de rire. Il ne s’évanouit que lorsque lui-même, épuisé, retomba aux côtés de Delphine, émerveillée.
Il faisait encore nuit.
Appuyé sur un coude, André regardait Delphine dormir. Elle semblait si sereine, si heureuse… Ses cheveux bruns étaient éparpillés sur l’oreiller. Un sourire étirait ses lèvres.
Il était épuisé mais ne parvenait pas à dormir. Deux fois encore, il lui avait fait l’amour… Mais peut-on faire l’amour sans être amoureux ? Lorsqu’il l’avait entendue gémir, il s’était senti satisfait… Mais pas heureux. Ce n’était pas comme la première fois qu’il s’était toujours plu à imaginer. D’abord, il avait toujours cru, rêvé, que sa première fois serait avec Oscar… Et voilà ! Il avait fallu que Delphine vienne l’aguicher une fois de trop pour le détourner de son rêve…
Las d’attendre le sommeil, André se leva et se rhabilla. Le plus silencieusement possible, il alla à la cuisine, où il rangea ses restes de son début de nuit. Ensuite, il regagna sa propre chambre, dans laquelle il s’enferma à double tour. Il ne voulait pas prendre le risque que Delphine, réveillée plus tôt, vienne le surprendre dans sa chambre.
Pendant le reste de la nuit, il resta allongé sur le dos, imaginant la réaction d’Oscar… Et tentant d’enfouir au plus profond de lui l’affreux sentiment de culpabilité qui l’étreignait.
« Pardonne-moi, Oscar, chuchotait-il dans la pénombre, inlassablement. Je me sens tellement mal… Je sais que je n’ai rien fait de réellement répréhensible, en dehors de coucher avec une femme sans être marié… Toi et moi, on ne se doit rien, mais alors pourquoi ai-je le terrible sentiment de t’avoir trahie ? Et perdue ? Toi, Ange descendu sur terre, pardonne-moi… Je t’en prie…. Je jure que je ne la reverrai plus… Je resterai fidèle à mon amour… Pour toujours. »
Tout le château est en effervescence, aujourd’hui. Normal, c’est l’anniversaire de la petite dernière. Et, accessoirement, le jour de Noël.
L’agitation a commencé dès six heures du matin, avec Grand-mère qui a réveillé toute la maisonnée. Après le petit déjeuner, Oscar et André étaient tous deux partis à Versailles. Durant le trajet, Oscar parlait de tout et de rien et André se contentait d’hocher la tête de temps en temps. Un mois s’est écoulé depuis qu’il a cédé à Delphine, et il se sent toujours aussi coupable vis-à-vis d’Oscar. Ce qui est ridicule, puisqu’ils ne sont pas mariés, mais seulement amis… André avait réussi à éviter Delphine mais il avait le plus grand mal à oser croiser le regard de sa meilleure amie.
_André ! Je te parle !
_Pardon, Oscar ! Tu disais ?
_Tu es ailleurs, ces temps-ci. Que se passe-t-il ?
_Rien, je t’assure. Tout va bien…
La jeune femme l’observa un moment sans rien dire. Puis haussa les épaules.
_A propos, reprit-elle, Grand-mère t’a parlé de Delphine ?
_Euh… Non. Pourquoi ?
_Elle est malade, ces derniers temps, et Grand-mère voulait te demander si tu savais ce qui se passait…
L’estomac d’André se noua et son visage devint livide. Delphine ne serait quand même pas…
Pendant toute la journée, André ne put dévier ses pensées de la jeune femme. Dieu ! priait-il. Faîtes qu’elle ne soit pas enceinte ! Je vous en prie !
Lorsqu’ils regagnèrent Jarjayes, Oscar fila dans sa chambre et André conduisit les chevaux à l’écurie.
Alors qu’il brossait Orphée, le cheval blanc d’Oscar, André sentit une présence à ses côtés. Il tourna la tête et se trouva face à Delphine. Celle-ci, contrairement à l’habitude, semblait timide, gênée. En la voyant ainsi, le jeune homme sut que ce qu’il redoutait s’était produit.
_Alors… C’est… C’est vrai ? demanda-t-il d’une voix mal assurée.
Elle leva des yeux larmoyants vers lui.
_Cela dépend de quoi tu parles. André, j’attends un enfant. J’en suis sûre à présent. C’est ton enfant, André…
_Est-ce… En es-tu…
_Certaine ? se moqua-t-elle aigrement. Oui : il n’y a aucun doute possible.
André hocha gravement la tête. Il n’avait pas le choix, il le savait. Il ne pourrait plus se regarder dans une glace s’il abandonnait son enfant…
_J’irai donner nos démissions au Général dès demain, promit-il.
_ Nos ?
_Je n’abandonnerai pas mon enfant, Delphine. Cette nuit-là, j’ai commis une erreur. J’assume, c’est normal.
_Une erreur ? C’est ainsi que tu vois notre nuit ?
André soupira.
_Delphine, je ne suis pas amoureux de toi. Ni avant, ni maintenant, ni plus tard. Tu le sais très bien…
La jeune femme détourna le regard.
_Et quand nous ne travaillerons plus ici, que ferons-nous ?
_Nous irons chercher du travail à Paris… Et je t’épouserai.
_André, murmura-t-elle, je veux que saches que je n’ai rien prémédité, rien choisi…
_Je le sais bien… Mais qu’est-ce que cela change ? ajouta-t-il plus durement qu’il ne l’aurait voulu.
S’il restait, jusqu’à présent, à Delphine, quelques illusions sur l’avenir de leur relation, le ton d’André se chargea de les détruire. Il la détesterait, peut-être… Ou pire, et s’il était complètement indifférent ? Pour ne pas montrer sa peine, Delphine s’enfuit.
Comme si de rien n’était, André continua sa besogne.
La porte du bureau du général se referma sur lui.
L’homme de guerre était assis derrière son bureau. De toute évidence, il était de bonne humeur. André salua.
_Assieds-toi, André, l’invita le Général.
_Merci, Monsieur, dit-il en s’exécutant.
_Bien. De quoi voulais-tu m’entretenir ?
_Je viens vous demander mes gages, Général.
Une fois revenu de sa surprise, celui-ci demanda :
_Tu veux nous quitter, André ?
_C’est plus compliqué que cela… Je dois faire face à des responsabilités que je ne peux fuir… Sachez que je préférerai rester ici et vous servir.
Le Général de Jarjayes planta son regard d’acier dans les émeraudes d’André.
_Je sens une femme là-dessous.
Gêné, André regardait par-dessus la tête de son interlocuteur, comme s’il trouvait le tableau du peintre Armand, qui se trouvait derrière, hypnotisant.
_Je ne te demanderai pas son nom : cela ne regarde que toi. Mais, dis-moi juste : l’aimes-tu ?
_Non, mon Général. C’est la seule certitude que j’aie.
_Alors, il ne sert à rien que je te souhaite du bonheur dans le mariage… Non, André, ne me contredis pas : je sais que tu vas prendre femme.
Le jeune homme baissa les yeux et fixa le tapis. Cet homme avait le don de le mettre mal à l’aise. Enfant, il l’impressionnait et l’effrayait. Adulte, cela n’avait pas changé.
_Mon Général, je viens aussi vous demander les gages de Delphine Levoisin.
_C’est donc elle. C’est donc toi qui lui as fait un enfant… Grand-mère m’a parlé de ses doutes. Je suis désolé que tu doives te fixer si tôt…
Il chercha dans les tiroirs de son bureau et sortit deux enveloppes. La première était marquée au nom d’André Grandier. La seconde, à celui de Delphine Levoisin.
_Par contre, André, je te laisse te débrouiller seul avec Oscar…, l’avertit l’homme militaire.
Elle lui tournait le dos et était face à la fenêtre.
Dehors, la pluie tombait. André la contemplait silencieusement. Une dernière fois. Delphine et lui partaient la première heure le lendemain matin. Tout le monde était au courant, sauf Oscar. En une semaine, il n’avait pas réussi à lui avouer.
Elle était belle ! Ses cheveux blonds et bouclés lui arrivaient aux épaules. Elle était si frêle, si fragile au fond…. Qui veillera sur elle, à présent ? La lumière peut-elle vivre longtemps sans son ombre ? Peut-elle briller pareil ?
André déglutit péniblement, cherchant la meilleure façon de lui dire « adieu »… Mais y a-t-il une bonne façon pour dire une chose pareille ?
Soudain, Oscar se tourna vers lui. Ses yeux bleus étincelaient étrangement… Sa lèvre inférieure tremblait…. Pourquoi ? Oh, Oscar, se peut-il qu’elle ait deviné ? Elle le fixait intensément.
« Tu t’en vas, n’est-ce pas » semblaient dire ses yeux.
« Oui, mon Oscar » répondait le cœur d’André.
Sans mot, André prit Oscar dans ses bras. D’abord raide, elle finit par se détendre. Après tout, elle ne faisait que serrer son frère dans ses bras… Aucun mot ne fut prononcé. Ils n’en avaient pas besoin. Pas eux. Il leur suffisait de se regarder pour savoir ce que pensait l’autre… Alors, pourquoi parler ? La tête collée contre le torse d’André, Oscar entendait les battements de son cœur. Il battait vite. Presque aussi vite que le sien. Elle leva un regard vers son ami, qui demandait « Reviendras-tu ? ». Et le jeune homme détourna le sien, pour toute réponse. Alors, la jeune fille se serra encore davantage.
Le temps était glacial quand ils partirent, André et Delphine, le lendemain matin.
Le soleil était à peine levé. Grand-mère, pleurant de joie pour son petit-fils, leur avait préparé une collation. Quelques domestiques avaient stoppé leurs tâches pour venir leur dire un dernier « adieu ». Mais la seule personne qu’André eut aimé voir n’était pas là… Déjà, un vide se formait dans son cœur… Il ne la reverrait plus. Plus jamais. Il partait pour une nouvelle vie et Elle faisait partie de l’ancienne… Etait-ce cela « grandir » ?
Lourd de peine, André entra dans sa nouvelle vie, dans l’avenir avec celle qui serait sa femme, jusqu’à ce que la mort les sépare…
A suivre…
Note : Et une autre fic de commencée ! Ne vous inquiétez pas, la suite des autres arrive ! Maintenant que je suis en vacances, ça va aller plus vite ! Voilà, j’espère que ce début vous a plu ! Donnez-moi vos avis, SVP ! Bisous et à bientôt avec la suite. Rosy. |