(avec le temps, j'oublie ce que j'ai pu écrire. Et un jour de me le rappeler, sur l'air d'une chanson ... Mais ou est passée cette fic ? Voici Chère Amie, exhumé de son tombeau)
12 Juillet 1750, telle était la date de naissance du comte Victor Clément de Girodelle. Il avait vu le jour sur le domaine de son père, et son premier cri avait coïncidé avec l’instant précis où le soleil avait enflammé le ciel entier en se mariant avec l’horizon. Personne n’avait pu se décider sur la signification de ce présage : avenir de sang ou de passion ? Alors on l’avait paré de deux qualités nécessaires à ces avenirs divergents ; la victoire du conquérant ensanglanté et la clémence qu’offre le grand de ce monde pour qui s’embrasent les passions.
Mais le comte de Girodelle avait tourné le dos à ces deux destinées pour laisser une femme entrer en plein lumière, sa chevelure d’or auréolée par le soleil de la gloire.
C’est en simple officier qu’il avait vécu sa vie, et, en ce crépuscule d’été qui saluait son entrée dans sa trente huitième année, il ne regrettait rien.
Ayant terminé son rapport journalier le colonel de la Garde Royale reposa sa plume dans l’encrier de nacre. Son beau visage masculin paraissait las, ses yeux d’acier s’adoucissaient en une mélancolie coutumière. Plus qu’un état d’esprit, ce sentiment était devenu un « état d’être » en lui. Douce compagne au charme vénéneux, elle s’était glissée dans ses songes les plus secrets, s’endormant sur ses paupières et s’éveillant avec lui, aux premières lueurs de l’aube. Son parfum faussement doux attirait les regards féminins sur le comte, et plus d’une femme avait ressenti le secret désir de chasser la solitude de l’homme d’arme.
Mais Victor fuyait ces compagnes au rire trop bruyant, préférant rester seul face à sa mélancolie. Légère, elle s’effaçait quelques heures par jour lorsque le colonel prenait le pas sur l’homme. Alors les yeux gris devenaient froids, tranchants, lointains… Colonel dont la lame de l’épée trouvait son reflet dans les iris miroir.
En bas, dans la cour de la caserne, le pas des soldats marquait l’état de guerre. La compagnie avait été réquisitionnée dans la journée, et ils attendaient à chaque heure les ordres venant de l’état major. Ce bruit sourd, continu, martelait la tête de Girodelle en une migraine lancinante. Alors il se leva vivement et franchit les quelques pas qui le séparaient de la fenêtre de son bureau. Dans un claquement ressemblant à un coup de feu, il referma les montants de bois.
38 ans… Voilà bien des années qu’il ne fêtait plus cet anniversaire dérisoire que celui de sa naissance. Pourtant si on lui avait demandé de choisir, il serait à nouveau venu au monde et n’aurait rien changé à sa vie. Par la grâce d’une présence, d’un rire à nul autre identique, il avait donné un but à son existence.
Elle même s’était trouvée à sa place, quelques années auparavant, et il se souvenait avoir passé une heure à l’observer ; lui en bas, derrière une colonne, elle en haut, derrière sa fenêtre. A qui avait elle pensé, vers quels souvenirs son âme s’était elle envolée ? Sa main gainée de neige posée sur un carreau, son regard perdu s’échappant vers l’azur du ciel… Ces années étaient à présent mortes, oubliées dans les méandres du temps. Et elle ? Dans quels tourments errait elle à présent ?
Les doigts gantés de blanc de Victor se détachèrent comme à regret des vitres que les derniers rayons de l’astre solaire avaient chauffé, puis il tourna le dos à la lumière et revint s’installer derrière son bureau. La mélancolie s’était muée en triste résignation. Sans doute serait il mort dans quelques jours et ne verrait il pas le crépuscule de ses trente neuf ans. Ainsi, de là haut, pourrait il veiller sur elle, comme il n’avait pu le faire de son vivant.
Jamais plus ses yeux terrestres ne pourraient caresser son âme, mais son dernier vœu lui permettrait peut être de devenir son ange gardien, interposant la douceur de ses ailes entre elle et le sang de la guerre.
Girodelle quitta ses gants à l’instant même où le clairon sonna l’arrêt de l’exercice. Le martèlement des pas cadencés sur les pavés de la caserne s’arrêta, et le silence s’installa dans la pièce pour quelques secondes. Un léger parfum de violette s’exhala des gants posés sur le coin de la table, prenant la place laissée vacante par le bruit disparu. Un bruissement de papier répondit aux ordres que donnait un lieutenant en contrebas, et Victor se mit à écrire la lettre qu’il n’osait envoyer depuis des mois à celle qu’il aimait.
Alors le raclement de la plume grattant le papier armorié du blason des Girodelle envahit l’esprit du comte Français, annihilant toute autre pensée.
Chère amie,
Je pense à vous souvent, je continue quand même d’aimer les drapeaux blancs que le désir entraîne. Je manque de vous souvent, mais je m’en vais quand même laisser voler le vent qui souffle sur ma peine.
Chaque mot était un déchirement pour Victor. Il ne savait pas comment lui dire ce qu’il ressentait réellement, les tourments que lui rongeaient le cœur depuis qu’elle avait prit le commandement des Gardes Françaises. Levant les yeux, son regard tomba sur le drapeau blanc brodé de lys que le vent faisait flotter au bout du mat dressé au centre de la caserne. Il avait passé sa vie à chérir ce drapeau, à combattre pour lui. Si seulement elle avait pu lui dire, lui communiquer sa foi en une aube nouvelle où le peuple aurait une autre place !
De cette plèbe il ne voyait rien de ce qu’elle pressentait. Là ou il n’apercevait que des vociférations, que de la colère gratuite, elle comprenait des revendications fondées sur la justice. Là ou il ressentait des nuages annonciateurs d’un avenir de tempête, elle croyait au soleil qui illuminerait le futur de nouvelles couleurs. A contre cœur, il souhaitait que ce soit elle qui voit juste, qu’elle soit du bon côté de la barrière et lui du mauvais. Qu’elle soit sauvée de la tourmente qui allait le faire sombrer.
Dans le silence qui peu à peu assombrissait la caserne de la Garde Royale, Girodelle croyait entendre frémir le pavé de Paris. Bientôt ces bâtiments foisonneraient de cris, il serait appelé auprès des souverains. Et elle ? Son combat se déroulerait il dans les rues de la capitale ? Peut être passait elle sa dernière nuit avant longtemps au château Jarjayes. Vite alors, il fallait finir, soulager son âme avant que Paris ne s’enflamme.
Je pense à vous souvent. Je me souviens de tout. Je me réveille à temps, et je vous vois partout. Je vous attend souvent. J’invente un rendez vous. Vous n’avez plus le temps, plus une minute à vous.
Girodelle écrivit encore quelques mots, puis appela le garde posté devant sa porte. Tout en lui ordonnant de porter au plus vite le plis qu’il allait lui confier au château Jarjayes, au fils du Général, il cacheta sa lettre, faisant fondre un peu de cire sur le papier qu’il marqua du sceau de sa maison.
Le Garde Royale prit la missive tendue par son colonel, salua, puis partit en courant. Quelques minutes plus tard il galopait dans la forêt de Versailles. Plus que l’ordre de son supérieur, c’était la peur qui le faisait mener grand train à sa monture. En effet les bois respiraient, tremblaient sous les pas des villageois qui gagnaient la capitale. La révolution sourdait de chaque branche, perlait de chaque feuille. Un murmure hostile poursuivait le soldat persuadé de porter un pli de guerre.
En ces temps de haine, l’amour n’avait pas sa place dans le cœur des hommes.
Le soldat franchit les grilles du domaine à l’instant même ou le soleil, perdant son combat journalier, mourut derrière la barrière de l’horizon. De sa clarté il ne resta alors plus qu’une traînée de sang dans le ciel, témoin de sa mort. Cette lueur pourpre se fondait d’ailleurs déjà dans l’encre de la nuit.
Ce fut un serviteur portant la livrée de la maison qui réceptionna la missive destinée à son maître. Le messager parti, il rechercha le destinataire du plis cacheté, mais Grand Mère, livide, lui apprit que l’héritier des Jarjayes avait déjà été rappelée à Paris. Ne sachant que faire, l’homme alla porter la lettre au Général. François garda quelques minutes le morceau de papier entre ses mains. Le cachet de cire était à moitié brisé, mais avait il le droit pour autant de lire la correspondance destinée à sa fille ? D’autres mots, écrits par la main même de cette enfant trop fortement aimée, venaient de lui briser le cœur.
Le Général savait déjà qu’elle ne reviendrait pas, que le feu qui couvait à Paris allait l’emporter, l’embraser. Elevée dans les armes, elle mourrait par et pour elles. A force d’ironie le destin en devenait cruel pour ce père qui, pour avoir voulu garder à jamais son enfant auprès de lui, venait de la perdre.
Cette lettre était peut être le dernier lien le reliant à celle qu’il aimait plus que de raison. Le Général rêvait de la décacheter, de connaître une partie de cette vie dont il ne connaissait que des bribe. L’aimer… L’aimer à lui en manquer de respect.
Mais le père était bien trop admiratif de sa fille, son amour était bien trop grand, trop pur, pour trahir ainsi sa confiance. La missive vola dans la cheminée, et François craqua une allumette.
Je vous envoie ces quelques mots pour vous dire qu’il ne fait pas beau et que j’ai mal, seul, depuis que je vous ai perdue. Je vous écris ces quelques fleurs avec mon cœur à l’intérieur.
Je vous fais toutes mes excuses.
Victor Clément de Girodelle
En quelques instants les flammes dévorèrent l’encre de Girodelle, effaçant aux yeux des hommes ses mots, séchant à jamais la larme tombée sur le papier.
Ailleurs, effondré sur un bureau trop froid pour lui, un homme était resté immobile depuis que sa plume s’était ressoudée à l’encrier.
Victor sentit son cœur battre pour la dernière fois à l’instant ou l’on frappa à sa porte. Dans la cheminée des Jarjayes, le feu venait de mourir après avoir consumé le message perdu d’avance dans la tempête qui frappait la France. Le militaire n’eut pas besoin d’entendre les paroles prononcées par son lieutenant. L’heure était venue.
L’homme d’arme remit alors ses gants immaculés, puis attrapa le baudrier qu’il avait accroché au dossier de sa chaise. La plume avait parlé, c’était à présent à son épée qu’on en appelait. L’homme était parti en cendre, le sang emporterait le soldat.
Girodelle partait pour une guerre qu’il ne voulait pas gagner, puisqu’il savait qu’elle l’opposerait à celle qu’il aimait. Mais jamais plus il ne croiserait le fer avec elle, voilà vingt années qu’il se l’était juré. Son cœur serait percé par la lame chérie plutôt que d’affronter une fois encore son mépris.
Victor jeta un dernier regard à son bureau plongé dans une demi obscurité. Son empreinte était encore gravée dans chaque meuble de la pièce, quasiment palpable. Plus d’une fois, en fermant les yeux, il avait cru entendre sa voix de contre alto lui demandant ce qu’il faisait assis à sa place, puis, entre ses cils, il avait pensé entre apercevoir sa silhouette longiligne. Cette fois encore il ressentit cette aura invisible et pourtant si présente… Son parfum, sa marque, faite de grâce et de puissance. Il la quittait une dernière fois, repoussant le bouton de bronze de leur bureau. Après avoir refermé silencieusement la porte, Girodelle boucla le baudrier duquel pendait le fourreau de son épée.
Sur le manche de l’arme, trois lettres avaient été gravées à l’or fin, entrelacées.
OFJ. |