Un rayon de soleil ardent traversait la bibliothèque. Il caressa une chevelure dorée au passage, l'éclairant de mille petits feux, pour ensuite venir mourir sur une main effilée, appuyée nonchalamment sur un livre. Oscar soupira. Elle déclarait forfait ! Elle avait vainement tenté de se soustraire à ce redoutable adversaire par la fuite, cherchant les minuscules parcelles d'ombres qui n'avaient pas encore disparues sous l'approche de midi. La chaleur était accablante en cette pièce aux larges baies vitrées. Elle remettrait ses lectures à plus tard.
La jeune femme se leva, prête à affronter ce soleil qui la narguait depuis un moment. Au diable la canicule ! Elle avait envie de galoper jusqu'à l'étang. Sa monture apprécierait au moins autant qu'elle son eau fraîche et l'ombre de ses arbres. Elle partit résolument à la recherche de son palefrenier afin qu'il selle son cheval. Après avoir cherché en vain le jeune homme partout dans la maison, sans avoir oublié les cuisines, elle décida d'aller à l'écurie sachant qu'il était fort probable qu'il y soit. Il semblait parfois se sentir mieux parmi les chevaux que parmi les humains, et l'écurie lui permettait souvent de paresser un moment loin de l'admirable coup de louche de sa grand-mère. Elle le voyait déjà, rêvassant étendu dans la paille. Elle le connaissait si bien lui qui avait grandi à ses côtés.
La porte du grand bâtiment était effectivement ouverte. On entendait un son régulier, métallique, qui venait de l'intérieur. En passant la porte la jeune femme aperçut celui qu'elle cherchait. André était à la forge de fortune située au fond de l'écurie. Il lui tournait le dos et ne l'avait pas vu. Elle le héla mais le vacarme assourdissant fait par le choc du marteauc contre l'enclume noyait son cri, rendant le jeune artisan sourd à son appel. Voyant son cheval à quelques pas du jeune homme elle comprit qu'il fabriquait probablement des fers pour sa monture. Irrité par ce contretemps qui retardait ses plans et la chaleur insupportable, Oscar s'approcha de son ami afin de le presser. Mais son pas déterminé et rapide au début se ralenti pour enfin s'arrêter complètement...
****
Comme elle était douloureusement belle se soir là. La taille prise dans ce blanc corset, la soulignant, l’enveloppant et l'offrant au regard, affirmant cette féminité qu'elle tentait depuis si longtemps de camoufler, d’oublier... La lui jetant en plein visage, augmentant ainsi les tourments qui étaient logés en son coeur depuis si longtemps que le jeune homme avait oublié ce que se pouvait être la vie sans eux. Et dans ses yeux d'azur, que l'appréhension et la gêne ne pouvaient camoufler, une chose qui lui fit alors si mal puisqu'elle appartenait à un autre. L'espoir et le désir de vivre enfin sa féminité dans les bras de celui vers lequel son coeur penche... de vivre son amour. De le séduire. Le coeur du jeune homme se serra à cette pensée. Il souffrait, se consumait par son secret amour. Il se sentait tel ce métal rougeoyant sur lequel il s'acharnait avec sa masse, le modelant selon sa volonté. A cette pensée André frappa encore plus fort comme s'il pouvait modeler son coeur afin qu'il cesse de le faire souffrir. Mais il savait que nul coup ne pourrait altérer son amour pour elle, que sa science
ici ne lui serait d'aucun secours et que jamais il n'aurait la chance de voire cette braise s'éteindre pour apaiser son tourment.
****
Quelque chose troubla la jeune femme, qui l'empêchait d'interrompre son ami. Quelque chose d'indéfinissable qui le rendait différent... Elle le regarda s'appliquer à sa tache avec force et vigueur malgré la chaleur insoutenable. Parfois presque avec rage... A chaque martèlement puissant il imposait sa volonté au métal incandescent, lui donnant la courbe parfaite avec une détermination farouche. Elle sourit en pensant au Roi et à sa lubie. Un même art mais joué de façon différente. Si différente... Un par plaisir et l'autre par obligation....
Obligation...
Ce simple mot effaça le sourire sur le pâle visage d'Oscar et une ombre voila ses yeux. Oui, cela faisait partie des obligations d'André de ferrer les chevaux, réparer les attelages, faire le messager et elle ne savait combien d'autres tâches encore souvent ingrates. Oscar pris conscience pour la première fois depuis des années de la vie servile de celui qu'elle considérait comme un frère. Sa vie toute entière avait pour mission de s'occuper du bien-être des Jarjayes. Déjà jeune il était souvent levé à l'aube et aidait aux cuisines, allait nourrir les chevaux, s'occupait du bois, des moindres demandes de ses seigneurs. Du moindre de ses caprices à elle, Oscar.
On la lui avait imposé comme un frère alors qu'ils étaient encore si jeunes... Se devant de répondre de ses actes devant le général si elle se blessait ou faisait quelque bêtise. Le père d'Oscar n'était pas doux et inculquait la discipline souvent avec force. Combien de fois l'avait-il couvert, prenant les coups à sa place, le lui cachant afin qu'elle ne répare l’injustice ? Et puis vint ce jour où ils partirent tous deux pour Versailles, ce nid de vilénie et de médisance. Cela du être difficile pour le jeune homme peu habitué à subir le mépris et l'arrogance de certains nobles qui ne voyaient en lui qu'un valet. Qu'une ombre attachée aux pas du Colonel... On chuchota même sur sa fidélité, lui prêtant des intentions contre nature pour ceux qui ne connaissaient celle, véritable, d'Oscar. On essaya de le piéger pour l'atteindre elle. La femme Soldat pensa à ces nombreuses fois où il dut la suivre et où sa vie fut mise en danger par ses folies, alors que ce n'était pas sa place. Mais il était là et veillait, sans jamais se plaindre de sa condition. Effectuant ses besognes, essayant de la raisonner lorsqu'elle s'emportait, souriant malgré les affronts et la fatigue, ou l'injustice de sa condition. S’efforçant parfois de la mettre face à face avec elle-même, devinant ses pensées secrètes et les lui dévoilant. A son plus grand péril car elle le prenait souvent très mal... Ces pensées provoquèrent un élan de tendresse en la jeune femme, qui continua d'observer ce frère qui n'en était pas vraiment un.
****
S'apaiser. Le jeune homme n'espérait que cela, se sermonnant tentant de se convaincre... Combien de fois avait-elle posé ses yeux sur lui sans le voir ? Il porta la main à son oeil mort. Oui... Telle une aveugle alors que c'était lui qui plongeait lentement vers les ténèbres... Aveugle à tout l'amour qu'il lui portait. Son regard voilé par un autre que lui... Fersen. Prenant toute la place... rêvant sans doute que le suédois lui murmurait des mots que jamais je ne pourrais prononcer. Des mots qu'il m'est même interdit de penser... Et quand je parviens enfin à accrocher son regard, elle ne me voit que comme un frère et cette constatation déchaîne en moi mille tourments qui me déchirent et me poursuivent, annihilant tout ce qui n'est pas empli d'elle. Et je deviens une ombre... oui... une ombre....
Pas Son ombre comme on le murmure au palais. Les fous... Si seulement j'avais les plaisirs de cette condition. Si j'étais cette ombre, je connaîtrais la douceur de son corps car je le caresserais à chaque instant. Soulignant la courbe de son sein, me perdant dans son cou, sur ses lèvres... A midi je me perdrais à ses pieds, l’aube et l'aurore me feraient son égale et je grandirais jusqu'à la posséder entièrement, sous les lueurs de la lune, m'allongeant à ses côtés et l'enveloppant de mes bras, la couvrant de mon corps...découvrant chaque parcelle du sien...et peut-être qu'alors...peut-être...Non, je n'ai même pas ce plaisir.
****
Le vacarme du métal cessa un instant. Oscar observa André qui déposa son marteau et remit la pièce dans le feu. La chaleur était étouffante. Il passa la main à son front pour y essuyer la sueur qui y perlait. Il agrippa un pichet ébréché qui traînait à côté de lui, but un peu d'eau pour se rafraîchir et se versa le restant sur la tête. Un frisson parcourut son corps sous le plaisir de cette caresse froide, la savourant un instant, passant ensuite la main dans ses cheveux sombres pour les ébouriffer. Puis elle glissa doucement sur son oeil, le libérant de son voile d'ébène qui le cachait aux regards, suivant de ses doigts la cicatrice, douloureux souvenir de ce terrible jour...
Ce jour dont l'évocation faisait encore tellement souffrir Oscar, l'assaillant de remords... Elle comprit alors pourquoi il n'avait remarqué sa présence, étant du côté de cet oeil à jamais fermé sur la lumière. Troublée, elle l'observa sans bouger. Elle regarda sa chevelure noire comme la nuit, car maintenant perlée d'étoiles, de ces gouttes d'eau qui brillaient doucement sous la lueur du feu. Son regard s'accrocha a une d'entre elles. Oscar la suivie, fascinée. Elle quitta les cheveux d'ébène du jeune homme, glissa près de l'arc noir de ses sourcils, si expressifs, poursuivant sa route sur un nez droit pour enfin mourir sur des lèvres qu'on devinait fermes et douces qui s'ouvraient parfois sur un magnifique sourire. Puis la perle disparut sous la rapide caresse d'une langue qui la troubla doucement, privant ainsi la jeune femme de sa complice. Elle en choisit une autre qui suivit la ligne franche de sa mâchoire, glissa le long de son cou, suivant l'encolure ouverte de sa chemise. Oscar poursuivit ce manège quelques instants, détaillant ce visage qu'elle avait vu des milliers de fois sans vraiment se l'approprier. S'émouvant de le voir comme elle ne l'avait jamais vu, s'abreuvant de détails. Cette petite cicatrice sur la joue. Ses long cils qui ombraient sa pommette douce et affirmée à la fois ... Elle remarqua que son regard était grave, triste même. Il semblait à si loin d'ici perdu dans un lieu qu'elle ne pouvait deviner. Peut-être pensait-il à ce que sa vie aurait été s'il n'avait pas perdu si jeune ses parents. Pauvre certes... mais libre. Serait-il devenu artisan lui qui était si habile de ses mains. Aurait-il fondé une famille, lui que les enfants adorent ? Il aurait sans doute une épouse qu'il comblerait de ses attentions et qui prendrait aussi soin de lui. Une femme qu'il pourrait aimer... aimer...
Avait-il déjà aimé ?
A ces pensées son coeur se serra, étouffant le Colonel en lui, ne laissant que la femme. Elle prit soudain conscience qu'elle n'avait jamais vraiment percé les pensées secrètes du jeune homme, lui qui pourtant savait lire en elle comme un livre ouvert. Ils avaient grandi ensembles mais on aurait dit qu'elle voyait pour la première fois cet André auréolé de ses mystères. Cet homme... Cette pensé la troubla. Il avait aussi ses jardins secrets, ses rêves, ses désirs et ses amours... Et elle ne les connaissait pas....
****
Il regarda les flammes, se souvenant de la terreur qu'elles ont jadis creusée en son coeur, ce fameux jour où elles lui ravirent ses parents. Ensuite sa peur de venir habiter avec sa grand-mère chez cet homme aux regards durs qui l'effrayait. Puis cet ange blond qui était apparu, était devenu son ami. Ils devinrent tout l'un pour l'autre alors. Elle le traitait souvent comme son égal, alors, ce qui exaspérait grand-mère car elle jugeait qu'il ne tenait pas sa place. Et il avait cessé d'avoir peur du feu. Car s'il lui avait tout pris d'une main, c'était pour lui redonner d'une autre, une chose précieuse. Une douce flamme aux yeux d'azur... qui prit place en son coeur et éclairait sa solitude. S'il avait su alors que cette flamme prendrait tant de force et qu'il s'accrocherait désespérément à elle malgré la douleur...S'y brûlant... Tel un papillon de nuit attiré par la lumière, dangereuse amante... S'il avait su, aurait-il fui ?
****
Elle entendit un vague murmure lorsqu'il parla à la monture, la rassurant alors qu'il vérifiait si son ajustement était bien fait. La bête se laissa faire, il avait un don avec les chevaux. Sa voix pouvait être si douce parfois... si apaisante... Le vacarme reprit de plus belle alors qu’il s'attaqua à un autre ouvrage. Oscar en profita pour s'avancer quelque peu. Lorsqu'il remit son fer au feu André soupira. Il porta la main à son épaule en grimaçant. Ainsi sa vieille blessure le faisait encore souffrir, pensa Oscar, mais il n'en montrait rien. Elle sourit, là-dessus ils étaient identiques. Ni l’un ni l'autre ne voulaient jamais montrer ses faiblesses.
Identique... Elle regarda à nouveau son compagnon d'enfance. La chaleur du feu et l'effort avaient collé sa chemise contre son corps, soulignant sa musculature. Un corps d'homme fort et puissant comme elle n'en aurait jamais malgré les efforts et subterfuges, malgré cette éducation d'homme qu'elle a reçu. Malgré les désirs insensés de son père. On avait voulu qu'elle soit homme dans un corps de femme, soit. Mais on ne peu changer ce que Dieu a fait, seulement se mentir... Elle frissonna en détaillant ainsi son ami sans qu'il en ait conscience. Sa peau était plus basanée que les nobliaux de la Cour, elle semblait de cuivre à la lueur des flammes de la forge. Elle se surprit à penser à quelque héros de légende de son enfance. La jeune femme se sentait un peu honteuse, un peu voyeuse de l'épier ainsi mais elle continua, laissant son regard errer sur son corps tandis que remontait en elle une foule de souvenir.
André ...Elle se souvint de ses 14 ans... Elle revivait le trouble qu'elle avait eu un jour alors qu’ils se chamaillaient pour s'amuser. La puberté modelait alors leurs corps selon leurs vraies natures. C'était pourtant une bataille comme ils l'avaient souvent fait auparavant. Il avait roulé sur elle en riant, fier d'avoir le dessus pour une fois. Et l'adolescente avait senti la force émanant de ce corps qui devenait homme. Oscar s'était alors sentie si fragile que cela l'avait effrayée et elle avait terminé le jeu par un coup que traîtreusement elle lui donna de toutes ses forces. Elle avait voulu le blesser. Elle se souvint alors du regard surpris du jeune homme, portant la main a sa bouche ensanglantée. Il l'avait libéré de sa prise et s'était levé. Elle lui avait crié d’infâmes méchancetés pendant qu'il baissait le regard. Elle était redevenue le maître et lui le serf comme cela arrivait souvent lorsque Oscar se sentait vulnérable ou seulement de mauvaise humeur. Sans doute André avait-il compris à ce moment, ce qu'elle mit longtemps à s'avouer par la suite. Qu'elle devenait une femme et lui un homme car ce n'était plus jamais arrivé. Jamais plus il ne se servit de sa force contre elle... Oh ! Ils se sont battus à nouveau, et souvent !! Mais seules l'agilité, la technique et la vitesse étaient désormais présentes. Tout avait changé dès ce moment...
****
Ma belle Oscar... André se rappela ce jour où il comprit enfin que les sentiments qu'il avait pour elle allaient au delà de son droit. Il se souvint ... Il se battait comme cela leur arrivait souvent et il se retrouva sur elle son corps contre le sien. Magnifique dans sa colère, les joues rosies par l'effort, sa chevelure d'or auréolant son visage. Il se souvenait encore du sentiment qui l'avait envahi alors mais qu'il ne pouvait encore nommer. Il avait eu alors l'envie folle de poser ses lèvres sur les siennes, de les goûter, de remplacer les coups par des caresses... L'aurait-il fait si elle ne l'avait alors frappé si violemment, le remettant à sa place ? Avait-elle deviné la folle pensée qui lui avait traversé le coeur. Sûrement... sinon pourquoi tant de colère dans ses propos par la suite. Des mots qui encore aujourd'hui le font souffrir. Il eut beaucoup de mal à l'accepter ce sentiment, se voilant la face, refusant de la percevoir comme autre chose qu'un frère. Puis il y eut ce jour...
Ce jour où elle accepta de porter l'uniforme. Ce jour où il lui dit qu'elle pourrait vivre comme les dames de la Cour… Ce jour où il lui avait pris la main après cette terrible bataille. Cette bataille où il avait voulu lui prouver ce dont elle était capable, sa force. Mais c'était aussi surtout pour se prouver à lui qu'elle était toujours ce frère qu'elle se devait d'être... ce garçon. Puis il y eu cette main... Cette main qu'il avait trouvé si douce, si fine contre la sienne et qui ancra en son coeur cet amour si solidement. Ce jour là il sut qu'il l'aimait plus qu'un frère...
****
André reprit son marteau et se remit à frapper sur le métal sorti du feu. Ses mains étaient fortes et rendues calleuses par le travail. Pas des mains des nobliaux à la Cour... pas les mains de Fersen ou même de Girodelle. Non, des mains qui sont rudes et si douces à la fois. Elle se souvenait de leurs caresses sur son visage alors qu'elle était dans son lit gravement blessée. C'est cela et ses souvenirs d'enfance qui avaient empêché la jeune femme d'abandonner la lutte. Ses souvenirs... certains sont peu avouables. Elle rougit légèrement à celui d'une certaine nuit pluvieuse.
C'était quelques jours après cette bataille qui l'avait tant troublée. Puis il y avait eu ce stupide duel avec ce Girodelle. Puis l'ordre du Roi. Son père voulait qu’elle entre à la garde d'une femme... Elle avait refusé elle ne savait pourquoi. André, lui, avait su percer son coeur et elle lui en avait voulu. Ce soir là elle avait passé de longue minute à se regarder dans le miroir, à demi nue, regardant sa poitrine qui s'affirmait de jour en jour et ses hanches s'arrondir, se haïssant. Elle était terrifiée par ces changements en son corps, car ils allaient en contradiction avec ce qu'on lui avait imposé d'être depuis sa naissance. Elle regardait son cou gracile et ses fines mains et s'était alors dit qu'elle serait sans doute une jolie femme plus tard. Elle s'imaginait portant les robes que toutes filles de son âge avaient droit. Mais elle se devait d'être un homme comme son père le voulait. Comment serait-elle en homme ? Jamais elle n'aurait de larges épaules comme en avait André ni une toison naissante au menton. Et le reste... Son coeur s'était mis à battre à cette pensé. Troublée elle était sortie sur les toits comme il lui arrivait parfois. Elle aimait sentir le vent et la pluie lui cinglant le visage. La puissance de la nature l'émerveillait. Indomptable.
Soudain elle avait vu la lumière poindre dans la chambre d'André et s'approcha de la fenêtre sans trop savoir pourquoi. André revenait de terminer quelques besognes, il était tout crasseux et trempé par la pluie. Elle s'apprêtait à frapper à sa vitre lorsqu'elle suspendit son geste. Il avait enlevé sa chemise souillée et commençait à nettoyer son visage et son corps devant une bassine. Elle se souvint du trouble qu'elle avait eu lorsqu'elle regarda le corps de son ami...Trouble qui devint encore plus grand lorsqu'il enleva sa culotte. C'était la première fois qu'elle voyait ce qui la différencierait toujours d'un homme. Qu'il était beau sous la douce lueur des chandelles. Ainsi c'était cela un homme. Oscar se souvint de son dépit mêlé de soulagement lorsqu' André s'était revêtu promptement dès qu'il eut terminé sa toilette. Elle s'apprêtait à repartir lorsqu'elle entendit la voix de son père, qui venait d'entrer dans la chambre. Il venait demander à André de la convaincre d'accepter de porter l'uniforme... Oscar s'était senti trahie. Elle lui avait fait la tête toute la journée suivante, se promettant de lui rendre la tâche impossible. André et elle finirent par en venir aux mains près du lac. Elle se souvint de la colère et de la surprise qu'elle ressentit lorsqu'il la frappa au début. Mais elle ne s'était pas laissée faire et avait eu le dessus. A ces souvenirs le coeur de la jeune femme se serra, elle venait de comprendre qu’André avait fait taire ses doutes en la poussant ainsi. Il lui avait prouvé que s'il possédait la force que la nature lui avait donnée, Oscar elle avait le courage, l'agilité et une volonté de fer que peu d'hommes possèdent. André lui avait montré qu'elle pouvait choisir selon sa volonté et avait fait taire ses craintes. Oh ! Mon cher André... Soudain elle se demanda s'il ne l'avait pas laissé gagner ce jour là ainsi que tous les autres... Puis se ravisa un sourire aux lèvres comme pour se convaincre. Non, elle était bien meilleure que lui...
****
Elle était là. Il avait reconnu sa silhouette a contre jour. Cette silhouette qui le hantait chaque nuit depuis si longtemps. Elle s'approcha de lui quittant l’ombre. Il admira son visage grave, profitant de chaque moment pour le graver à jamais en lui avant que l'on ne souffle définitivement cette flamme qui faiblissait, ce dernier oeil, avant l'ombre éternelle... Son coeur s'emballa de la voir si proche.
Pourquoi venait-elle si près. Pourquoi le regardait-elle ainsi, lui, qu'elle ne voyait plus...
****
André avait cessé sont travail et s'était aperçu d'une présence derrière lui. Il se retourna. Oscar laissa derrière elle l'adolescent de son souvenir et rencontra les yeux de l'homme qu'il était devenu. Il posa sur elle, un fugace instant, un regard grave et las ... Puis la reconnaissant dans la pénombre il s'emplit à nouveau de cette grande douceur et de ce quelque chose qu'il ne réservait qu'à elle. Elle s'approcha de lui, ne sachant quoi lui dire, ne sachant plus pourquoi elle était là. Ressentant et admettant pour la première fois sa présence comme un besoin. Ne pouvant quitter les yeux de son visage. Elle se rendit compte que quelques rides commençaient à sillonner le contour de ses yeux d'un vert si particulier. Ce regard unique et magnifique. Comme le temps avait passé... mais il était toujours là... son André. C'est à ce moment qu'elle prit conscience de l'importance qu'il avait dans sa vie. Ce roturier au coeur si noble. Elle admit enfin ce qu'elle avait toujours su au fond d'elle même. Oui elle l’aimait. Elle aimait cet homme qui était si près d'elle, son frère, son ami, son amour...
Elle savait aussi que la vie qui était la leur ne leur permettrait jamais qu'ils fussent un jour amant... |