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Le manoir des Girodelle était décidément un bien bel édifice, ornement épuré d’une campagne luxuriante. Il avait été érigé au XVIème siècle, à une époque où Versailles n’était encore qu’un infâme marais. Alors certes, à présent, on le trouvait excentré du lieu de tous les plaisirs. Il y gagnait en calme et en sérénité, surtout à ces heures de l’été ou la chaleur interdisait les longs trajets dans les berlines capitonnées. On ne visitait que fort peu la famille qui, à dire vrai, n’en éprouvait aucune gène.
Les heures s’écoulaient lentement, bercées par les bruits étouffés d’une nature assoupie. En contrebas, dans les champs, les paysans coupaient les premiers foins. La butte sur laquelle s’élevait le domaine offrait une vue imprenable, portant à des kilomètres alentours.


Malgré une impatience inhérente à son caractère, Oscar devait s’avouer charmée par la résidence des Girodelle. Elle s’y était rendue à de nombreuses reprises, déjà, mais jamais en plein été : jamais lorsque tous les champs alentours, baignés de soleil, servaient d’écrin à la blancheur des pierres érodées par le temps.

Le colonel de la garde royale était sur le point de demander à André d’aller se renseigner sur les raisons qui empêchaient son lieutenant de la rejoindre céans lorsqu’une adolescente dégringola les degrés de marbre du perron, jupons au vent. Sa révérence tint d’avantage de l’esquisse que de la marque de respect extrêmement codifiée de la cour mais l’héritier des Jarjayes tendit en souriant sa main gantée à la jeune fille au lieu de noter ce manquement à l’étiquette. L’effrontée posa une main fine et blanche sur le gant immaculé du colonel et releva la tête. Un visage à l’ovale pur, constellé de taches de rousseur s’offrit au regard d’océan, illuminé par les perles nacrées d’un sourire sans faille.
Point besoin d’être physionomiste pour apparenter ce bourgeon gonflé de vie à l’arbre généalogique des Girodelle. De l’illustre famille elle avait attrapé la luxuriante chevelure bouclée et les étonnants yeux d’un bleu tirant sur le gris. Sa mère l’avait dotée de l’or roux propre à la Vénétie ou elle avait vu le jour et d’un rien d’exubérance tranchant sur la calme réserve de sa famille paternelle.

« Béatriz ! Mon épée doit elle donc une fois encore être tirée pour mettre en déroute une quelconque armée de manants lancée à ta poursuite ?
- A moins qu’elle n’ait cette fois déchaînés tous les diable de l’enfer ! »

Enchaîna un André souriant. Tous deux connaissaient Béatriz depuis les 8 ans de l’enfant. Ils avaient joués avec elle et s’ils ne pouvaient encourager ouvertement ses facéties il n’était pas rare qu’ils aient eu du mal à retenir un fou rire derrière une attitude plus conventionnelle en apprenant les derniers tours inventés par l’enfant malicieuse. A plusieurs reprises ils devaient même reconnaître s’être étonnés de son inventivité. Il y avait bien deux ou trois bêtises qu’ils n’avaient pas eux même expérimentées durant leur enfance

« J’avoue que si vous pouviez faire disparaître ma gouvernante pendant quelques heures je vous en serai éternellement reconnaissante. Mais c’est un ordre venu de plus haut qui m’envoie ici. »

Béatriz illustra ses propos d’un geste de la main désignant la tour la plus haute du manoir.

« J’ai appris que vous veniez voir mon frère, mais il ne peut pas vous rejoindre pour le moment. Il vous prie de le rejoindre là haut
- Mais c’est impossible ! nous avons rendez vous avec le Marquis de Garneau et n’avons point de temps à perdre en enfantillages ! »

Pour toute réponse la jeune damoiselle haussa les épaules d’une manière fort cavalière. Puis, après une nouvelle révérence assortie d’un sourire, elle leur fila entre les doigts. Alors le regard d’Oscar, doux jusque là, se mit à crépiter d’étincelles dangereusement brillantes. Son sourire ne se ternit pas, cependant, et elle se dirigea vers la tour désignée d’un pas alerte. Seul André l’entendit murmurer

« S’il ne se décide pas à quitter son perchoir, je vais l’y faire descendre à coups de bottes »
Il jugea plus prudent de masquer son hilarité naissante en un toussotement du plus bel effet. Girodelle avait choisit le pire moment pour indisposer son colonel. Oscar s’était levée de mauvaise humeur, et la discussion animée qui l’avait opposée son père le matin même n’avait rien fait pour adoucir son caractère. Le jeune homme se félicitait de ne pas être, pour une fois, la cible de son amie d’enfance.

Le lieu de rendez vous assigné par Girodelle s’avéra être une volière. La vaste pièce de grès blanc pouvait être ouverte aux quatre vents, mais les panneaux avaient pour le moment été fermés. Il ne filtrait qu’une lumière tamisée de poussière à travers les lattes de bois et les volatiles, terrassés par la chaleur dont on ne pouvait entièrement les protéger, restaient immobiles sur leurs perchoirs.
Victor Clément se trouvait là lui aussi, en grand habit d’apparat. Il posa un instant son index sur ses lèvres pour intimer l’ordre à une Oscar médusée de se taire. Mais celle ci eut été bien en peine de parler. Elle restait comme hypnotisée par l’épervier que son subordonné portait sur son poing ganté de cuir. Le fier oiseau quant à lui n’était occupé que par le morceau de viande rouge qu’il finissait d’engloutir. Son dresseur s’assura qu’il ait fini avant de le recapuchonner et de le poser sur son perchoir. Alors seulement s’interressa-t-il vraiment à ses hôtes. A mi voix, pour ne pas effaroucher les oiseaux, Girodelle prit la parole.

« Veuillez pardonner mon retard, bien que je n’ai à dire vrai aucune excuse. Je n’étais monté que dans l’intention de rendre visite à mon épervier, mais le maître fauconnier m’a averti que Merlin semblait prêt à accepter la nourriture. Je voulais le marquer aussi ai-je attendu. Grâce en soit rendu au seigneur je n’ai pas eu à patienter trop longtemps. Nous rendons nous chez le marquis de Garneau ? »

Ce charabia n’avait aucun sens pour Oscar. Sa famille n’ayant jamais possédé de rapace elle ne connaissait pas les subtilités du dressage des oiseaux chasseurs. D’après les rumeurs, l’aigle avait bien des raisons de se trouver sur le blason des Girodelle, mais jamais elle n’aurait cru qu’ils possédassent une volière. En ces temps éclairés des lumières, qui s’encombrait encore des ces reliefs d’un mode de vie révolu ?

« Les éperviers de paris… » Souffla-t-elle, les yeux brillants. Tel était le nom que l’on donnait encore, du temps de la génération de son père, aux comtes de Girodelle. La raison se trouvait peut être ici, dans cette volière. Victor lu dans sa gestuelle la question qu’elle n’allait pas tarder à lui poser. Acquiesçant d’un geste de la tête à la question non encore née le jeune noble s’approcha en quelques pas d’un perchoir situé non loin d’André. Décapuchonnant l’animal il le fit sauter sur son poing.

« Je prends Icare et vous expliquerais en chemin. Ferdinand le ramènera au domaine. Cela vous convient-il ? »

L’héritier des Jarjayes hocha vivement la tête, puis dévala en tête de cortège les marches menant au perron. André, quant à lui, dévisagea Girodelle avant de la suivre. Il avait désamorcé la colère d’Oscar avec une aisance surprenante. Pourquoi cet homme était il donc si agaçant ?


Grâce à la diligence des serviteurs de la maison de Girodelle, les trois compagnons furent rapidement prêts à partir. Un quatrième cheval avait été scellé pour Ferdinand, chargé de suivre le trio jusqu’à la chasse d’Icare. Victor se mit en selle avec l’aisance née de l’habitude, puis il installa l’épervier devant lui, sur un perchoir incorporé à cet effet sur la selle.
L’oiseau avait visiblement l’habitude d’un tel moyen de transport puisqu’il ne s’effaroucha pas lorsque l’étalon fut éperonné par leur propriétaire. Il se passa quelques minutes de silence avant que celui ci ne rompe le silence.

« Les éperviers de Paris. Je pensais, pour tout dire, que cette appellation était tombée dans l’oubli. Votre père, puisque j’imagine que vous tenez ce nom de lui, vous a-t-il expliqué d’où nous vient ce sobriquet ? » Oscar, chevauchant aux côtés de son lieutenant secoua la tête en signe de dénégation.

« Non. Il l’a simplement mentionné, un jour où votre père l’avait poussé hors de ses retranchements. Vous m’épargnerez, je vous prie, l’obligation de vous décrire le contexte dans lequel ces mots sont sortis » Pour toute réponse, Girodelle éclata de rire :

« Diable ! Je n’en demande pas tant, en effet ! Nos pères ont hélas des caractères bien trop voisins pour que je ne puisse imaginer la teneur de ces paroles. Mais sachez qu’à l’origine il s’agissait d’un surnom d’honneur. Mon ancêtre, Alberich de Girodelle, a prit part à la bataille de Castillon, en 1453. Il était alors le grand fauconnier du roi, et c’est grâce à ses rapaces que les troupes ont été ravitaillées en viande fraîche tout au long de la campagne. A une époque où l’alimentation des soldats était une telle source de tracas, son secours fut providentiel. »

L’homme d’arme ne manqua pas de remarquer le fin sourire de son amie. Mais, plutôt que d’en prendre ombrage, il préféra répondre à ce sourire.

« Ce n’est certes pas aussi glorieux que certains hauts faits d’armes familiaux, mais celui ci a le mérite d’être totalement authentique. Au fil des années, « les éperviers de Paris » n’ont plus désignés les animaux mais ceux qui s’en étaient occupés. Et par faveur spéciale Charles VII permit à la famille d’incorporer l’aigle à nos armoiries.
- A dire vrai, peu de nobles peuvent se targuer, de nos jours, de connaître l’origine de leur blason. Vous avez raison d’être fier de cette histoire. »


Victor acquiesça en silence, heureux de la finesse d'esprit de son amie. D'autres se seraient gaussées, Elle avait vu la grandeur derrière l'anecdote. Mais la leçon des éperviers ne s'arrêtait pas là. Il restait une histoire derrière l'Histoire, un apprentissage dont Girodelle s'était fait l'élève en regardant depuis son plus jeune âge ses oiseaux voler.
Une partie de son caractère, de sa philosophie de vie, était intimement liée à l'observation du rapace emblème de sa famille. L'heure était venue pour lui de se faire enseignant.



A suivre…
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