Auteur : gilrayn Hits : 1724
Lady Oscar > Fersen Addict > Fini de jouer > Ajouter chapitre à Fini de jouer
La tension investissait à ce point la pièce qu'elle en devenait palpable. L'air frémissait comme une corde d'arc tendue à l'extrême, les esprits étaient plongés dans un bourdonnement entêtant et les servantes affolées couraient en tous sens, les mains chargées de linges et de paquets. Tous les membres de la noble famille étaient rassemblés dans la pièce attenante à la chambre à coucher, leurs regards sévères et inquiets parcourant les murs blancs. Trois heures qu'ils étaient là, silencieux, à attendre. Trois heures qui leur paraissent à tous interminables, angoissantes, de plus en plus insupportables à vivre. A peine un mot était prononcé de temps à autre, parfois un verre d'alcool fort posé sur la table était vidé d'un trait, des mouvements d'yeux hâgards s’attardaient sur la porte désespérément close. Une belle jeune femme brune, l'air encore plus soucieux que tous les autres, avait posé une main rassurante sur la puissante épaule de l'homme assis à côté d'elle. On ne distinguait clairement que ses cheveux châtains, une couleur soyeuse et douce qui laissait penser à du miel. Le dos courbé, l'homme avait son visage dans ses mains et tressaillait au moindre bruit venant de la chambre.

« Ca va aller... » la jeune femme caressa avec une tendresse toute féminine le dos qui semblait secoué de sanglots incontrôlables.

L'homme se redressa brusquement, dévoilant un visage beau à tomber, des yeux bleu-gris où l'angoisse des dernières heures avait allumé un feu inquiétant, des joues creusées par la fatigue et des lèvres au tracé viril, habituellement si promptes à séduire ou sourire, tremblantes d'inquiétude. Il se leva presque violemment et se mit à faire les cent pas dans la pièce, dans un état de fébrilité extrême, des mouvements de mains désordonnés accompagnant chacune de ses paroles.

« Ca va aller ? Non, ça ne va pas aller du tout !! Tu te rends compte que ça fait presque deux jours qu'elle est là ? Qu'est-ce qu'ils font tes médecins ? Sais-tu combien je voudrais prendre au moins une parcelle de sa douleur, pour qu'elle ait moins mal, mon ange... »

« Hans, calme-toi, ça ne l'aidera pas si tu es ainsi, d'ailleurs ce n'est de la faute à personne... »

Se calmant aussi soudain qu'il s'était mis en colère, il se laissa retomber sur la chaise et dit dans un murmure presque éteint : « Je sais, Sofia, je sais... Seulement c'est trop, je n'arrive plus à attendre sans la voir... »

Comme pour répondre à sa demande, la porte grinça enfin et s'ouvrit sur le médecin. Tous levèrent les yeux en un éclair et le visage du jeune homme pâlit un instant en voyant les tâches de sang sur son long habit blanc, puis devint complètement livide quand il se rendit compte du regard grave derrière les lunettes cerclées d'écaille.

« Ca ne se présente pas très bien. Mademoiselle a un courage que je n'ai jamais vu chez une femme, elle ne crie pas et ne se plaint pas, mais elle est complètement épuisée par les efforts et la douleur. »

« Hans... » Un faible gémissement se fit entendre de la chambre à coucher dont la porte était restée entrouverte.

Il sauta sur ses pieds immédiatement et se précipita vers la porte, mais une poigne de fer le retint au dernier moment.

« Mon fils, tu restes attendre ici »

« Père, elle m'appelle ! Vous rendez-vous qu'elle va peut-être mourir et que je ne suis même pas là ! » Les larmes perçaient dans sa voix devenue incertaine, malgré la contenance qu’il essayait de se donner.

« Ce serait inconvenant. Et pensez à l'honneur de notre famille, je l'accueille déjà sous mon toit alors qu'elle n'est même pas votre femme. »

« Vous savez père, à cet instant je me fiche des convenances et de l'honneur des Fersen comme des premières dents de l'empereur. » D'un geste vif il se libéra de l'emprise du maréchal de Suède sous l'air scandalisé de tous les membres de la famille Fersen et poussa la porte blanche d'un air décidé. Son père fit un mouvement pour l’en empêcher, mais fut à son tour arrêté par une main beaucoup plus douce et maternelle.

« Laisse-le donc, dit Madame de Fersen. Tu ne vois pas qu'il est amoureux ? »




La chambre à coucher était plongée dans une semi-pénombre. Elle n’était éclairée que par quelques bougies sur les tables et un feu qui crépitait dans la cheminée, réchauffant faiblement la pièce en cette soirée glacée de Décembre. Fersen se précipita vers le grand lit à baldaquin.

Ses cheveux dorés étaient parsemés sur l'oreiller comme les rayons d'un soleil, et illuminaient littéralement la pièce bien mieux que les dizaines de bougies. Mains blanches crispées sur les draps, yeux clos, front parsemé de gouttelettes de sueur et visage fin froissé par la douleur, Oscar de Jarjayes était allongée tendue comme un fil, refusant que les larmes roulent sur ses joues.
Il s'approcha d'elle, effleura avec mille précautions sa main délicate.

« Je suis là... » murmura- t- il avec des accents infiniment doux dans la voix éraillée par l'émotion.

Elle ouvrit ses grands yeux bleus épuisés, regarda à son tour le visage mort d'inquiétude et d'amour.

« Hans... Tu es venu... » sa voix n'était plus qu'un souffle perdu, et une gifle, à peine une caresse, était partie de sa petite main. « Espèce de bandit, sais-tu combien ça fait mal ? »

« Mon ange... » il ne put s'empêcher de frémir devant cette fureur si douce, tellement elle. « Tout ira bien maintenant... Le docteur a dit que c'était presque fini. Tu te rends compte, bientôt on pourra serrer ses petites mains dans les nôtres et caresser ses boucles blondes... »

« Pourquoi blondes ? »

« Je suis sûr qu'il sera aussi blond que toi... »

« Et je suis sûre qu'il aura tes yeux... » Oscar esquissa un faible sourire qui fit valser le coeur de Fersen, envoya les poids qui pesaient sur son coeur aux quatre coins de la pièce.

« J'ai hâte qu'il soit là tu sais. Ce n'est pas de tout repos, mettre au monde un enfant. »

Il embrassa ses doigts effilés avec tendresse, se pencha pour déposer un baiser sur ses lèvres rose pâle. « Mademoiselle de Jarjayes, vous êtes la femme la plus courageuse qui soit, et moi l'homme le plus amoureux du monde. »

« Fersen ? »

« Mmm ? »

« Je crois que tu devrais appeler le docteur parce que... ça revient. »

Etourdi par l'émotion soudaine, il traversa la pièce en deux enjambées, cria et le médecin apparut dans l'embrasure de la porte.

« Que se passe-t-il ? » demanda-t-il, et Fersen perçut clairement l'inquiétude dans sa voix. Il se sentit emporté malgré lui par la terreur, saisit le docteur par les épaules, le secoua presque avant de se hasarder à parler, se rendant compte qu'il offrait des paroles assez peu cohérentes.

« Elle dit que... ça revient... Qu'est-ce que je dois faire ? Je ne sais pas ce que je dois... »

« Rien, dit-il d'une voix ferme et sans appel. Vous restez auprès d'elle, aidez-là à tenir. »

Son corps frissonnait sous la douleur, elle avait de nouveau fermé les yeux, ses poings serrés sur les draps, et son souffle précipité se mêlait à celui, paniqué, de Fersen. Complètement désarmé face à l'inconu que d'ordinaire il maîtrisait si bien, il prit sa main avec une tendresse infinie, épongea son front d'un coin du drap et la regarda, bouleversé de la sentir si infiniment fragile, son petit soldat qui luttait pour gagner sa mission, la plus difficile de toutes.

« Aidez-moi, Oscar... » dit le docteur en français, et son corps se cambra sous l'effort. Elle broya la main de Fersen dans la sienne, parvint à articuler quelques mots épars durant quelques dizaines de secondes qui leur parurent interminables, puis brusquement se détendit à nouveau.

« La prochaine fois, Monsieur de Fersen, sera la dernière, mais ce sera vraiment très douloureux. Je compte sur vous pour l’aider à ne pas sombrer dans l’inconscience », dit le médecin en suédois.

« Que dit-il, Hans ! Bon sang de foutre, je hais ton médecin qui croit que je ne comprends rien ! » Elle essaya de se relever mais retomba tout de suite, exténuée, et son ton militaire se radoucit soudain, la voix de contralto au bord de toutes les émotions du monde se brisant sous l'épuisement. Elle porta lentement la main à sa joue pour effleurer de ses doigts la surface âpre. « Je vais mourir, c'est ça ? Mais tu sais... La vie n'aurait pas valu la peine si je ne t'avais pas connu... Rien au monde n'a de sens si ça n'a pas la couleur de tes yeux... »

Il se détourna un instant, ferma ces mêmes yeux pour que la pièce cesse de tourner autour de lui. Pour moins que ça il aurait volontiers offert son âme au Diable sur un plateau d'argent.

« Non, mon ange, bien sûr que non… Il disait juste que c’était presque fini. Tu vas y arriver, Oscar. Tu vas y arriver, comme tu l’as toujours fait. »

« J’ai mal… Fersen… Je te déteste, toi et tes charmes, pourquoi est-ce que je ne t'ai pas tué ce soir-là à l'Opéra, tout aurait été si simple… Je n’aurais pas eu à subir tout ça et… Misérable, c'est de ta faute tout ça, je te hais... J’ai mal… Serre- moi, encore un peu, mon amour… Ne me laisse pas... »

Il réussit à enfouir sa main dans la sienne malgré les tremblements qui la secouaient, s’agenouilla auprès d’elle. Se pencha pour effleurer ses cheveux collés aux tempes et les remit en place, caressa les joues rougies par l'effort, lui chuchota à l’oreille de cette voix rauque qui la faisait chavirer :

« Je vais te serrer, mon amour… Te serrer pour que tu n’aies plus mal, tu verras comme il sera beau notre enfant, aussi beau que toi à n’en pas douter… On ne restera pas ici, je ne veux pas te voir devenir une gentille épouse, on ira en Angleterre et au Japon, en Chine et en Italie, peu importe, on l’emmènera dans nos courses échevelées et tu lui apprendras à monter à cheval. Avec une mère pareille, nul doute qu'il sera le meilleur cavalier de France... Tu verras comme il rira quand il sera lancé au galop sur ta plage de Normandie… Cet enfant, il sera à notre image, libre et fougueux, parfois il pleurera mais surtout, il sera heureux, tu verras, on le rendra heureux… Et le soir quand il dormira, je t’emmènerai sur la plage et je te ferai l’amour à même le sable, en regardant l’eau prendre possession de tes cheveux, et en te regardant sourire… Parce que mère ou pas, il n'y a aucune femme qui puisse se comparer à toi, on fera l’amour des millions de fois et je serai l’homme le plus heureux du monde… »

Elle serra sa main plus fort encore, dans un dernier soubresaut gémit puis retomba sur les oreillers, inerte. Venu de très loin, sans trop y croire, Fersen entendit un cri vague et des pleurs… Lorsqu’il ouvrit les yeux, il distingua dans le voile qui les avait recouverts, le docteur soulevant dans ses bras une petite chose qui se démenait comme un beau diable et sans réaliser encore, sourit…

« Monsieur de Fersen, je vous félicite, vous avez un fils ! »

Il déposa avec précaution le petit corps qui se débattait sur la poitrine d’Oscar et l’enfant se calma instantanément. Elle ouvrit les yeux elle aussi, et dès qu'elle le vit les larmes qu’elle avait tant cherché à retenir se mirent à rouler le long de ses joues sans qu’elle puisse les en empêcher, d’ailleurs essayait-elle ?

« Hans, regarde, c’est notre enfant… »

Mais où était-il, le capitaine des Gardes Royales...

Il les dévora des yeux tous les deux, gravant à jamais leur image dans sa mémoire, puis embrassa Oscar comme jamais encore il ne l'avait fait, laissant le goût salé de l'ivresse l'emporter vers d'autres cieux. Son enfant… Pour masquer au moins un peu son émotion il tenta de plaisanter :

« Je crois qu’un massage suédois s’impose… Mais attention mademoiselle de Jarjayes : je ne lui tolèrerai aucune cuite, et ce bien malgré les penchants de sa mère ! »

Une flamme malicieuse apparaut dans les immenses yeux bleus. « Alors hors de question qu'il fasse partie d'un vieil ordre occulte de chevaliers qui veulent sauver le monde, Monsieur de Fersen ! »

« Oui, dans un rôle aussi dangereux on fait souvent la rencontre de soldats ingérables et incroyablement obstinés... »

« Ainsi que, ne l'oublions pas, d'espions absolument insupportables... »

« On résout des complots de portée mondiale au péril de nos vies...Tu te rends compte de l'avenir ennuyeux qu'on va lui tracer si on lui interdit toutes ces joyeuses perspectives ? »

Elle pouffa de rire, son regard se porta sur le petit être qui malgré ses airs innocents avec ses boucles d'une angélique blondeur, semblait avoir une voix qui portait loin. Et le mot était mince au vu de la tempête affamée qui venait de déferler, résonnant dans toutes les pièces du palais.

« Fersen, je sens que notre fils va adorer les jeux d'espions..! »
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