La nuit était maintenant tombée depuis plusieurs heures, une nuit d’hiver froide et obscure. La caserne des gardes françaises semblait figée par le vent glacial qui soufflait au dehors. Tout n’était que silence. Cependant, un homme n’arrivait pas à trouver le sommeil. Lassé de se tourner et de se retourner sur sa couche en attendant que Morphée le cueille, il décida de s’occuper un peu. Après avoir revêtu des habits chauds, il sortit du dortoir et traversa la cour déserte pour se diriger vers les écuries. Au passage, il nota que la fenêtre des quartiers du Colonel reflétait la lueur d'une bougie se consumant. Ainsi, Oscar non plus ne trouvait pas le sommeil... A cette heure tardive de la nuit, le bruit aigu du marteau sur le fer commença à résonner : André ferrait les chevaux.
Après une petite heure de labeur, l’atmosphère régnant dans la grande bâtisse n’avait rien de comparable avec celle sévissant au-dehors. Les flammes rouges et chatoyantes du foyer de la forge diffusaient leurs douces caresses colorées et réchauffantes. Sentant une goutte de sueur perler à son front, André retira sa veste. Les chevaux étaient étonnements calmes ce soir, il accomplissait son travail avec plaisir malgré l’heure incongrue. Il se sentait serein ici. Les tourments de son cœur et de son âme, il les avait laissés sur le pas de la porte pour accomplir sa fonction de palefrenier. Il n’y avait que les animaux et lui, pas cette femme qu’il avait suivie contre son gré… pas cet ange qui s’obstinait à nier l’évidence de leurs destinées… car si elle ne le savait pas, lui l’avait toujours su : ils étaient des âmes sœurs. Et patiemment, il attendrait qu’elle le comprenne à son tour…
- « André ? »
Sa voix familière résonna entre les pierres, sortant le jeune homme de ses rêveries. Que faisait-elle là ?
- « Oscar ? À une heure aussi tardive, j’étais persuadé d’être le seul encore réveillé…
- Je travaillais dans mon bureau… sur des dossiers sans importance pour être franche »
Elle lui sourit timidement avant de détourner son regard de l’obsidienne tellement intense qui lui faisait face. Rêvait-il ou paraissait-elle troublée ? Un court silence s’installa alors le jeune homme reprit son activité avant d’être de nouveau interpellé.
- « André, je voulais te voir… je dois te parler. »
Il se redressa, posa ses outils sur les pierres du foyer pour faire signe à son amie qu’il l’écoutait. D’un coup, les joues d’Oscar s’empourprèrent.
- « Il fait drôlement chaud ici non ?! Je vais retirer ma veste avant d’étouffer... »
Et joignant le geste à la parole, elle dégrafa les attaches de son uniforme avant de le laisser glisser sur ses épaules, puis atteindre le sol. Elle était là : l’Oscar de sa jeunesse ! Sans grade, sans différence, habillée d’une simple chemise blanche… l’Oscar qu’il aimait.
Avant d’être totalement hypnotisé, André détourna la tête et prit la parole.
- « Il se passe quelque chose à Jarjayes ?
- Non, rien à voir avec Jarjayes ! »
Elle paraissait surprise et mécontente de sa demande, elle continua sur le même ton :
-« Il s’agit de toi et moi ! »
Alors voilà… elle était encore venue lui reprocher de s’être engagé sous ses ordres aux gardes françaises… Encore la même chanson, elle ne comprendrait donc jamais ?
Oscar aperçut le visage d’André qui se fermait dans un étau de tristesse et d’amertume. Il se méprenait sur ses intentions ! Elle n’avait pas voulu lui parler si brusquement… elle s’était encore emportée malgré elle. Elle prit donc une grande inspiration, franchit la faible distance qui la séparait encore de lui, posa sa main gauche sur son épaule et fit pivoter de son autre main le visage de son ami vers elle ; afin qu’il puisse lire dans l’azur de ses yeux… comme il avait toujours su le faire.
Une douceur, une douceur infinie avec une étincelle… étincelle qu’il avait étrangement du mal à définir… Avait-il bien compris ?
- « Oscar ?.. est-ce »
Le reste de la phrase se perdit dans sa gorge, les lèvres tant convoitées venant de fondre sur les siennes pour le plus tendre des baisers volés.
Puis la voleuse caressa la joue mal rasée de son souffle avant de glisser à l’oreille du volé des paroles magiques, des promesses d’amour.
André serra sa plus belle raison de vivre contre son cœur, voulant graver à tout jamais cet instant onirique. Il s’enivra de la douce tiédeur de sa peau porcelaine, du parfum de fleur sucrée de ses cheveux.
- « Mon Oscar… »
Quelle était cette odeur forte qui prenait soudainement son nez ?! Il rouvrit les yeux, Oscar n’était plus là ! Il ne l’avait pas senti se dégager de son étreinte… Mais il apercevait maintenant la raison de sa nausée : Sacripan - un splendide percheron avoisinant la tonne - venait de se soulager… |