Fic en deux parties, cadeau pour notre chère comtesse Rosetta von Fersen, et hommage au comte en ce 20 juin...
Le convoi de la monarchie
Pas un bruit ne se faisait entendre sur la froide cour des Princes. Dix heures venaient de sonner alors que la nuit était tombée depuis plusieurs minutes déjà. L’homme arrêta la voiture le long d’un mur et attendit. La nuit était fraîche malgré la saison estivale, et il se mit à frissonner. Le regard un instant perdu dans le vide, il trembla à l’idée de ce qu’il projetait de faire... Il observa quelques secondes la petite place: il n’était pas seul, d’autres calèches étaient là; de plus la place était bien eclairée. Il allait devoir jouer serrer. Son coeur se mit à battre plus rapidement lorsqu’il entendit des bruits de pas se rapprocher. Trois silhouettes sortant de l’ombre le rejoignirent rapidement alors qu’il descendait de son poste de cocher. Il ouvrit la portière, aida les enfants à monter et laissa passer la femme qui les accompagnait. Puis il referma la porte sans un bruit. Quelques minutes plus tard à peine, une deuxième personne se réfugia à l’intérieur du carrosse, puis une troisième. Refermant la portière une nouvelle fois, l’homme fixa de son regard noir le passage par lequel Elle devait arriver. Il ne manquait plus qu’Elle. Au bout de longues minutes qui lui parurent interminables, il reconnut enfin sa silhouette à la grâce et à l’élégance inimitables, et, sans un regard, inclina imperceptiblement la tête lorsqu’Elle monta à son tour dans la voiture. De retour à son poste de cocher, le Comte de Fersen mit en route la calèche, avec à son bord son précieux équipage: la famille royale.
A travers les rues froides de Paris, Fersen emportait avec lui tout ce qui était sa vie. Son sort dépendait de sa réussite, il n’avait pas droit à l’erreur. Bien loin de sa Suède natale, le Comte de Fersen ne pensait qu’à une chose, fuir loin des menaces ensanglantées de la capitale, et La sauver.
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Marie-Antoinette ferma les yeux et soupira discrètement, la peur au ventre. La calèche venait de se mettre en route. Le regard encore perdu, elle serrait contre elle le petit dauphin, et tentait désespérement de faire ralentir les battements de son coeur. Jamais elle n’avait eu aussi peur qu’en traversant cette cour des princes où l’on avait bien failli l’arrêter. Dans ses bras, Louis-Charles, habillé en fille et rebaptisé Aglaé pour la circonstance, se laissait bercer, encore à moitié endormi, par les secousses de la voiture. A sa gauche, sa fille était au contraire bien éveillée et son regard demandait silencieusement la raison de ce voyage précipité et étrange. Ne sachant que lui répondre, Marie-Antoinette se retourna vers son époux, mais le regard du Roi de France reflétait les mêmes doûtes. Quant à Madame Elizabeth, soeur du roi, et Madame de Tourzel, toutes deux témoignaient d’une angoisse profonde tant leurs visages paraissaient crispés. Marie-Antoinette laissa son regard se perdre sur les rues parisiennes qui défilaient, serrant de plus belle son enfant contre son coeur. Ils arrivèrent quelques instants plus tard à la porte Saint Martin où les attendaient une imposante berline de voyage ainsi que deux officiers de la garde. Par cette nuit sans lune, et dans le silence d’une fuite coupable, la famille royale prit place dans leur nouvel équipage.
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Fersen fouetta avec force les chevaux; ils avaient déjà plusieurs minutes de retard sur le trajet programmé, et cette nuit-là, chaque minute était précieuse et pouvait se révéler décisive. Le temps s’écoulait de manière effrayante et ils étaient à peine sortis de Paris... Hans Axel de Fersen fixait l’horizon, là où le chemin disparaissait, englouti dans la nuit. Là-bas, ils seraient en sécurité, là-bas, Elle serait sauvée. Les pensées de Fersen s’envolèrent pendant quelques secondes encore plus loin, de l’autre côté de la frontière et de la mer, où l’attendait depuis plus d’un an maintenant son épouse...
A proximité des premières bourgades campagnardes, il ralentit légèrement l’allure, il fallait être discret et ne surtout pas attirer l’attention. Il s’assura que les occupants de la berline avaient bien tiré les sombres rideaux, et traversa les villages endormis. Tout se passait apparement bien. Fersen espérait même rattrapper un peu de leur retard. A l’intérieur de la voiture, le silence et le calme semblaient régner. Les deux enfants s’étaient enfin rendormis, à l’abri des bras de leurs parents, et souriaient presque dans leur sommeil. Madame Elizabeth avait elle aussi fermé un instant les yeux, tandis que Madame de Tourzel contemplait calmement ces deux anges endormis. Seuls Louis et Marie-Antoinette semblaient encore préoccupés. Elle gardait son regard anxieux fixé sur le paysage irréel de la nuit, entremêlant sans cesse d’inquiétude ses doigts de nacre. L’amertume et la tristesse gagnaient irrémédiablement son coeur. Que s’était-il passé pour qu’elle en arrive là... Elle se revoyait, il y a quelques années de cela, heureuse avec ses enfants, à l’abri de tout dans ses jardins fleuris et ses fontaines enchantées. Et maintenant.... elle devait fuir. Fuir sa vie, et abandonner son pays. Elle essuya discrètement une larme perdue. Comme elle avait honte... honte d’avoir échouée, et de ne pas avoir été capable d’être cette Reine que sa mère attendait tant. Son coeur laissa s’échapper d’autres larmes silencieuses. Cette route, elle l’avait déjà parcourue en sens inverse, il y a bien des années, lorsque la France, ivre de bonheur, avait accueilli sa jeune Dauphine.
Ses larmes ne durèrent que quelques secondes. Elle s’interdisait ce genre de faiblesse, surtout en ce moment. Elle se devait de tenir bon, pour ses enfants. Elle était hélas la seule à être encore à la hauteur des événements. Elle osa à peine jeter un coup d’oeil vers son mari. Oui, elle était bien seule. Seule avec celui qui avait tout risqué pour elle, risqué sa vie, et sa liberté. Dans les ombres de la nuit, un sourire vint eclairer son visage fatigué. Elle savait que, quoi qu’il advienne, Il serait toujours là pour elle...
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La berline ralentit pour finalement s’arrêter au premier relais prévu: Bondy. Le Comte de Fersen sauta de la voiture et alla chercher au pas de course les chevaux de rechange. Le temps pressait. Marie-Antoinette écarta légèrement les rideaux et observa son Ami. Elle sourit de nouveau. Sa présence auprès d’elle était le plus doux des réconforts. Une partie de son angoisse s’évanouissait à la vue seule de ce soutien intemporel. Relativement sereine, elle caressait doucement les cheveux de son fils toujours endormi dans ses bras. Oui, avec Lui à leurs côtés, ils ne risquaient pas grand chose. La portière s’ouvrit brusquement, laissant apparaître la silhouette du Comte suédois. S’inclinant respectueusement, il s’adressa au Roi à voix basse:
“Sire, nous pouvons repartir dès à présent.”
“Merci Monsieur. Cependant à partir de maintenant, nous continuerons le voyage sans vous.”
Cette phrase sortie de la pénombre eut l’effet d’un coup de tonnerre. Incrédule, Fersen regardait tour à tour le Roi et la Reine, tandis que Marie-Antoinette avait senti son coeur se serrer aussitôt. Continuer sans lui... c’était inimaginable.
“Mais... votre majesté...”
“Monsieur de Fersen, vous avez déjà fait plus que nécessaire pour nous. Nous vous en sommes extrêmement reconnaissants. Que dirait-on si par malheur on vous arrêtait en notre compagnie?! La Reine et moi voulons éviter cela à tout prix. Aussi Monsieur je vous prie de partir et de vous mettre en lieu sûr.”
Fersen baissa les yeux un instant. Il ne pouvait désobéir à un ordre du Roi. Mais son coeur lui criait de n’en rien faire. Non, il ne pouvait La laisser seule, les laisser seuls, au coeur de cette sombre forêt. Il ne serait pas tranquille tant qu’il ne les saurait pas en sécurité. Il releva la tête, le Roi avait, pour une fois!, l’air déterminé. Il osa lever les yeux vers Elle.... Ce qu’il vit lui déchira le coeur. Elle ne disait rien mais son regard trahissait toutes ses émotions. Elle avait peur, elle pleurait presque, mais retenait ses larmes tant qu’elle pouvait tandis que ses mains étaient nerveusement aggripées au tissu sombre de sa robe.
“Allez Monsieur, et que Dieu vous garde.”
Mortifié, le Comte de Fersen s’inclina et murmura un “Au revoir Madame de Korff” presque inaudible. Il referma la portière et fit signe au nouveau cocher de se mettre en route. La berline s’ébranla et laissa derrière elle un homme plus seul que jamais, déchiré par cet adieu aussi brutal que douloureux.
A l’intérieur de la voiture calfeutrée, Marie-Antoinette avait retourné son visage en larmes vers la vitre. Elle n’avait pu réfrener ces larmes cruelles, et dissimulait de ses mains son visage décomposé. Louis ne disait plus rien, tentant d’ignorer les sanglots étouffés de sa femme. Un lourd silence s’installa dans la berline, qui filait maintenant à toute allure vers son destin.
***
Fersen parcourait à bride abattue la campagne encore endormie. Le vent et les larmes lui fouettaient le visage. Comment avait-il pu La laisser partir?! Il l’avait abandonnée. Cette seule idée le faisait bouillir de rage. Si jamais il leur arrivait la moindre mésaventure, il s’en voudrait pour le reste de sa vie. Il s’en voulait déjà... Rongé par la colère et les remords, Fersen faisait route vers la frontière belge. Tout se bousculait dans son esprit. Il avait préparé cette fuite depuis des mois, il avait tout calculé, tout envisagé, évalué les risques et examiné les différents parcours possibles. Ce soir-là, il se sentait comme vidé.
Le passage de la frontière ne se fit pas sans mal. Les gardes avaient hésité à laisser passer ce cavalier pressé et suspect. Mais tout était en règle, ils le laissèrent tout de même passer... Fersen entra en Belgique, plus inquiet que jamais, tentant de deviner où en était la précieuse berline dans son voyage vers la liberté.
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Le jour commençait à poindre à l’horizon, éclairant de ses rayons orangés la campagne fraiche. Le voyage s’était continué dans un silence morne et mélancolique. Marie-Antoinette n’avait pu dormir, et était restée éveillée, le regard perdu dans ses rêves nostalgiques. Elle observait tristement les paysages de son Royaume qu’elle découvrait pour la première fois, et ses pensées la ramenaient à chaque fois vers Lui, priant silencieusement pour qu’il soit maintenant en sécurité.
La voiture s’arrêta une nouvelle fois à Claye où l’équipage s’augmenta d’une voiture supplémentaire, transportant deux femmes de chambre et trois courriers à leur service. Puis on repartit aussitôt. La route était encore longue jusqu’à la frontière, et la lourde berline n’avançait pas aussi rapidement que l’on espérait. Louis commençait à regretter de ne pas avoir suivi les conseils du Comte de Fersen... A la lumière du jour, les deux enfants royaux s’étaient réveillés, et ce fut avec une attention tout maternelle que Marie-Antoinette entreprit de leur rafraichir le visage avec un peu d’eau. Il ne lui restait plus que ses enfants à présent. Leur présence et leur fragilité lui redonnaient même un peu de force, et le courage nécessaire pour paraître prête à affronter cette longue journée de fuite.
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Arrivé à Mons, le Comte de Fersen était parvenu à dissimuler sa rage et son inquiétude derrière une assurance qu’il affichait maintenant sereinement. Il retrouva de nombreux réfugiés en fuite eux aussi, et parmi eux cette chère Madame Sullivan. De là, il fit partir aussitôt un courrier et prévint Taube, ministre des affaires étrangères de Suède, ainsi que son Roi Gustave III qui attendait les souverains à Aix la Chapelle, de la réussite de son projet: Le Roi et la Reine de France avaient bien quitté Paris cette nuit-là.
La route défilait continuellement, et les tensions de la nuit s’évanouissaient au fur et à mesure que le jour se levait. Six coups sonnèrent au clocher d’un village lointain, et on dépassa sans problème particulier la ville de Meaux. Les enfants s’agitant de plus en plus, Madame de Tourzel proposa de se restaurer un peu. La famille royale improvisa donc ce pique-nique incongru, elle qui avait l’habitude d’être servi dans des plats dorés et richement décorés... D’abord hésitants, Louis-Charles et Marie-Thérèse prirent la nourriture du bout des doigts, mais oublièrent rapidement leurs bonnes manières pour satisfaire leur faim. A La Ferté sous Jouarre, ils purent même faire un peu d’exercice, en marchant et courant quelques minutes dans l’herbe humide par la rosée du matin. On remonta cependant rapidement en voiture, et les relais se succédèrent sans relâche: Viels-Maisons, Montmirail, Fromentières... Le Roi, en bon géographe, notait le trajet parcouru et calculait silencieusement le retard accumulé. Arrivé à Chaintrix où ils s’arrêtèrent pour le déjeuner, l’ambiance était des plus détendue, et on aurait pu croire à une famille bourgeoise partant pour quelques jours à la campagne, si ce n’était l’air soucieux que Louis ne quittait pas, et le silence inhabituel que Marie-Antoinette gardait depuis leur départ.
Le voyage se poursuivit, sous l’impitoyable soleil d’un chaud mois de Juin. La chaleur monta rapidement à l’intérieur de la berline encombrée, et ses occupants sombrèrent dans un demi-sommeil moite et poussièreux. En milieu d’après-midi, on dépassa enfin Châlons, non sans peur d’être reconnus, dernier relais sans détachement prévu. En s’engouffrant sur la nouvelle route d’Allemagne, en direction de Sainte Menehould, c’était la perspective de retrouver enfin une escorte et une sécurité qui leur promettaient une liberté prochaine.
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Trois heures plus tard, les deux voitures arrivèrent aux abords de Pont-de-Somme-Vesle, premier lieu de rendez-vous avec Monsieur de Choiseul et ses hommes. Anxieuse, Marie-Antoinette écarta légèrement le rideau et risqua un coup d’oeil au dehors, à la recherche des soldats. Personne...
Le village était relativement petit, et les soldats ne pouvaient en tout logique se dissimuler aussi bien. La peur enfouie de la veille refit surface d’un seul coup, et Marie-Antoinette s’enfonça dans la banquette, fermant les yeux. Elle avait un très mauvais pressentiment. Non, ce n’était pas normal qu’il n’y ait personne... Louis dut arriver à la même conclusion et ordonna, d’une voix gênée, de continuer la route. Les soldats devaient sûrement les attendre au prochain relais...
L’oppressant sénario se répéta à Orbeval, qui n’était guère plus constitué d’une chapelle et de quelques fermes. Louis XVI déplia discrétement le précieux papier où était noté l’itinéraire et les différentes escortes. Le baron de Goguelat devait bien les attendre ici, mais une nouvelle fois ils ne trouvèrent que silence et désolation dans cette campagne reculée. Alors que Madame de Tourzel et Madame Elizabeth tentaient d’occuper et de calmer les enfants agités, Marie-Antoinette gardait invariablement son visage baissé. Elle ne parvenait plus, malgré ses efforts, à masquer son inquiétude, et son teint était d’une pâleur effrayante. La mort dans l’âme, le roi de France fit signe de continuer la route, une nouvelle fois sans la moindre escorte... Arrivés à Sainte Menehould, Marie-Antoinette n’osa même plus regarder au dehors si les dragons étaient là ou pas. Elle lut la réponse dans le regard fuyant de son époux. Elle tourna une nouvelle fois son visage vers la vitre du carrosse, implorant silencieusement le ciel rougeâtre de leur venir en aide. Face à elle, sa fille la regardait de ses yeux tourmentés, et elle eut toutes les peines du monde à retenir ses larmes: elle n’eut qu’un pauvre sourire, seul appui sur lequel la petite fille dut se reposer. Madame de Tourzel, ou plutôt Madame de Korff, reprit les papiers d’identité qu’elle avait tendus à ce maitre de poste, alors que, adossé au mur, un homme ne cessait de dévisager ce curieux domestique qui accompagnait ces dames. Lorsque le carrosse repartit enfin, Drouet prit son cheval, et fila à toute allure vers le prochain relais de poste: Varennes en Argonne.
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Le jour continuait de décliner au même rythme que leurs espoirs. Entrés dans la forêt d’Argonnes, la berline fatiguée était secouée de part et d’autres sur le chemin en pente. Ils traversèrent rapidement Clermont en Argonnes, village de 1500 âmes perché en haut de la colline verdoyante. Délaissant la route de Verdun, la famille royale s’engagea sur celle, plus sûre pensaient-ils, de Varennes. Une fois de plus, les secours tant espérés n’étaient pas là. Monsieur de Damas restait introuvable. Pire encore, en traversant les villages, les regards se faisaient plus oppressants et plus suspicieux. Le nom du roi volait déjà de maison en maison, de village en village. Une sourde rumeur qui poursuivait inlassablement le carrosse en fuite. Louis XVI, de plus en plus mal à l’aise, se retournait régulièrement et scrutait l’horizon derrière eux, craignant de voir surgir à tout instant les soldats de La Fayette. Alors que le crépuscule tombait sur le paysage monotone, les voyageurs sombraient à moitié dans un sommeil agité, lorsqu’ils arrivèrent au prochain relais.
La nuit était à présent complétement tombée. Roulant au pas, la berline s’arrêta presque à l’entrée du village: pas moyen de trouver le relais de poste. On hésitait; était-il à l’entrée du village ou au contraire dans la ville basse, à la sortie après le pont? Déjà une journée complète qu’ils s’étaient embarqués dans cette aventure, tous avaient les nerfs à fleur de peau. Et le fait de n’avoir, une nouvelle fois, pas vu un seul uniforme militaire ne faisait que renforcer cette éternelle tension. Les enfants étaient épuisés, et n’avaient même plus la force de s’agiter, tandis que Marie-Antoinette gardait un visage grave et fermé. Rien ne se déroulait comme prévu... et leurs vies étaient en jeu, la vie de ses enfants... Elle ne regrettait pas d’avoir fui, c’était la seule chose à tenter, mais cette fuite semblait les précipiter encore plus vite vers un désastre qu’elle pressentait de plus en plus fort.
Derrière le pont usé, à quelques mètres seulement de là, des hommes tapis dans le noir attendaient. Toute une armée se tenait prête à intervenir au moindre signe, à la moindre apparition du cortège royal.
Enervée par sa propre nervosité, Marie-Antoinette descendit elle-même du carrosse et alla, au côté du courrier, demander des informations à la première maison. Elle se détendit quelque peu: ce brave homme était un loyal serviteur de la monarchie, comme il en restait de rares au royaume de France. Le relais de poste était un peu plus loin au milieu du village. Soulagée pour quelques secondes d’avoir enfin des réponses, Marie-Antoinette reprit un infime espoir de sauver encore cette périlleuse épopée. Alors qu’elle reprenait place dans le carrosse, elle prit son fils et l’embrassa avec tendresse, lui murmurant des mots de réconfort et d’encouragement.
Arrivé sur la petite place centrale, les voyageurs eurent la surprise de la trouver fort encombrée. Plusieurs villageois étaient dehors, chuchotant à voix basse, les regardant de travers. Retrouvant toute sa concentration, Marie-Antoinette fit asseoire son fils correctement à ses côtés et baissa la tête, reprenant son rôle de simple gouvernante, “Madame Rochet”. Madame de Tourzel donna une fois de plus leurs titres de transport et d’identité au maitre de poste, sans un mot, aussi sereinement que possible. Et toujours pas de soldat en vue... Le maitre de poste scruta les papiers pendant une minute qui leur parurent interminable, avant de marmonner:
“Tout semble en règle...”
Marie-Antoinette eut tout juste le temps de pousser un discret soupir de soulagement qu’une voix puissante sortit de l’ombre. L’homme s’approcha et examina à son tour les papiers, tandis que Louis XVI, transpirant sous ses habits de domestique, cherchait où il avait bien pu voir ce visage qu’il connaissait...
“Madame de Korff...?”
“C’est moi.” Répondit Madame de Tourzel, l’air assuré.
“Et eux..?”
“Mes enfants et mes domestiques”
Drouet s’avança encore un peu et détailla un par un les occupants de la voiture. Son regard sombre s’arrêta quelques secondes sur Marie-Antoinette, imperturbable, avant de se poser définitivement sur le dénommé “Monsieur Durand”. Un sourire malsain vint étirer son visage avant de s’adresser au maitre de poste.
“Vous devriez les retenir encore quelques minutes”
“Mais leurs papiers sont en règle!”
“Il manque la signature de l’Assemblée Nationale!”
Une vague d’exclamations parcourut la foule grandissante. Bien que cette signature ne soit nullement obligatoire, cette remarque attisait encore plus les rumeurs déjà circulantes sur le compte du Roi.
Marie-Antoinette, le regard plus dur que jamais, soutenait sans flechir celui, tout aussi déterminé, de Drouet. Tout deux semblaient se comprendre en silence. Drouet dans sa certitude de savoir à qui il avait à faire, et elle dans sa dignité de Reine qu’elle maintenait en toute circonstance. Son regard trembla à peine lorsqu’il annonca, telle une sentance, “C’est le Roi!”
C’était fini.
21 Juin 1791, Varennes
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