Ma dernière danse
Je sens le tissu de ma robe danser le long de mes jambes, le vent s’engouffre dans les plis comme des caresses infinies. Mes yeux ne cessent de pleurer pourtant je n’ai pas peur, je suis triste, infiniment triste mais je n’ai pas peur… la mort ne me fait plus peur… C’est étrange ce sentiment de liberté… enfin… Tant d’années à sourire, à obéir, à être la petite fille modèle pourtant… tout cela n’est plus moi !
Ce soir j’ai pris ma décision : je mets fin à ce jeu qu’on m’oblige à mener… ma mère m’a à nouveau prise à part pour me rappeler mon devoir envers elle, elle qui m’a donnée naissance, elle qui veut garder son rang au sein de ce monde dans lequel elle me demande de briller. Mais une seule source de lumière me donne un tel éclat… ce n’est qu’en sa présence que j’ai l’impression d’être vivante.
Dieu me pardonne… elle n’a rien provoqué… elle a seulement obéi comme moi à son devoir envers celui qui lui a donné naissance. Quelle que part, on se ressemble… Je l’aime d’un amour impossible, impur… péché satanique auquel je voudrais pourtant répondre. Mon dieu, si ma mère l’apprenait… mais je serais prête à subir tous les courroux pour un seul de ses sourires.
Mais son regard, même si parfois j’y vois quelque infime douceur, n’exprime jamais de joie. Je voudrais tant être cette jeune effrontée qui l’accompagne… je voudrais tant recevoir cette grâce qu’elle ose porter à cette intrigante. Mon cœur se serre quand sa main gantée de blanc frôle cette main tendue… jamais elle ne m’accordera cette dernière danse…
J’ai pris ma décision. Je l’aime… malgré l’interdiction, mon cœur s’est mis à battre pour cette femme transformée en homme. On me dit jeune, trop jeune pour me marier et pourtant… mon cœur ne bat que pour la rencontrer encore… Ma vie a commencé lorsque mon regard a croisé le sien… ma mort va commencer maintenant qu’il ne peut plus se décrocher du sien…
Le courage s’est alors emparé de moi. J’ai essayé une dernière fois de me rapprocher de cette femme soldat… j’ai essayé une dernière fois, d’ouvrir mon cœur à cette femme… jamais je n’aurai ma dernière danse…
Pourtant ce soir je me sens femme… pourtant ce soir, je suis enfin moi. J’ai gravi les marches de l’espoir, j’ai gravi les marches de mon désarroi. Le vent danse avec moi, pour cette veillée macabre… le vent m’offre enfin ma dernière danse ce soir…
Le bal se poursuit, je LA vois… Ma dernière danse se termine enfin… mon cœur ne saigne plus… le vent m’enveloppe dans son écrin de l’oubli… |