Elle s'était endormie dans ses bras. Et il tremblait. Il tremblait comme tant d'autres fois de la sentir si fragile que la moindre de ses étreintes pourrait la briser. Comme tant d'autres fois depuis qu'il savait quelles ténèbres invisibles rongeaient sa vie et la traînaient vers sa tombe sans qu'il puisse la retenir.
Mais son coeur fou n'aurait jamais pu l'abandonner.
Il l'avait arraché à cette tourmente dans laquelle elle voulait se jeter, cette tourmente dans laquelle elle voulait disparaître, ange furtif au milieu de l'Enfer. Loin de la haine, loin des flammes et des rugissements des armes. Même s'il n'y avait plus aucun espoir...
Elle n'avait pas refusé. Ses yeux s'étaient juste levés vers lui avec de tristes reflets d'étoiles éteintes. Comme si tout cela était déjà un adieu.
Une parente éloignée avait légué il y a très longtemps à la famille de Jarjayes un petit domaine en Auvergne, une demeure de vieilles pierres aux fondations soulevées par les racines d'un chêne centenaire qui la couvait de son feuillage sombre.
C'était là qu'André avait emmené Oscar. Un écrin de forêts et de légendes pour une rose fanée. Tous les jours il la portait dans le jardin et ils s'allongeaient dans l'herbe pour perdre leurs regards dans le calme infini de ce ciel gris-bleu prisonnier des volcans ensommeillés. Il voulait rester tout contre elle, la rendre heureuse... jusqu'au dernier instant.
Et André se haïssait. Il se haïssait de la voir souffrir sans pouvoir la soulager; que ses lèvres ne puissent apaiser la fièvre qui brûlait son front; qu'il ne puisse prendre sa place quand son corps frêle était secoué par cette toux violente qui laissait des larmes pourpres sur sa peau pâle.
Et cet après midi-là, André regardait sa bien-aimée reposer avec appréhension. C'était comme s'il la voyait déjà morte, même s'il sentait sa poitrine se soulever légèrement sous son souffle paisible, comme une infime vague de vie. Le moment arriverait trop tôt où elle s'immobiliserait et qu'Oscar ne se réveillerait jamais plus.
"Ne me laisse pas, mon Oscar. Je n'ai eu assez de temps pour t'aimer..."
André enfouit sa tête dans la chevelure blond argenté d'Oscar et pleura en silence.
Et non loin de là une ombre l'observait. Elle semblait frémir d'impatience, attendant de voir arriver le drame qui se dessinait devant elle. |