[Note de l'auteur : Le titre reprend celui d'un poème de Victor Hugo que je reprends en fin de texte. Le texte que je propose décrit une relation Père-Fille à l'opposé de celle décrite dans le poème de Victor Hugo. Je trouve l'effet de contraste intéressant. Bonne Lecture.]
Le prisonnier avait demandé une dernière faveur, il avait rédigé une lettre. Le gardien referma la porte derrière lui, le laissant à présent seul face à l'insoutenable attente. C'est l'air triste que le geôlier arpentait le couloir. Jean avait pourtant l'habitude de cette tâche, mais ce prisonnier le troublait. Il était jeune, avait des traits fins, il en était presque beau. Et pourtant, il semblait vide, son regard n'exprimait rien, comme si son âme s'en était allée et errait à présent dans les limbes. Assurément c'était un jeune homme d'une noble famille, mais quelle fatalité l'avait conduit en ce lieu sinistre ?
Jean amena la missive à son supérieur
Jean: Monsieur, le prisonnier a souhaité remettre cette lettre à un certain Général de Jarjayes
Supérieur: Très bien si ce sont ces dernières volontés, je transmettrai la lettre au Général
L'après-midi touchait à sa fin, le Général était resté prostré dans son bureau de longues heures.
Quelle folie s'était emparer de son fils ? Pourquoi avoir soutenu les révolutionnaires ? A présent, il ne pouvait plus rien pour lui. Mais l'affront serait lavé, dans quelques heures, le peloton ferait son office et l'honneur des Jarjayes serait rétabli, libérant le Général de cette colère qui le tenaillait. Depuis qu'il avait appris l'arrestation de son fils, il ruminait inlassablement sa rage envers ce fils de la honte.
Il reçu la lettre de son fils avec un certain soulagement et congédia prestement son messager.
Il était soulagé, son fils avait mal agi, mais lui trouverait dans cette lettre, à n'en point douter, des excuses et une demande de pardon, qu'il n'accepterait jamais mais qui le conforteraient dans sa conviction.
« Monsieur,
Je n'ai aucun regret à quitter ce monde demain. Ce monde, je n'y ai pas ma place. Depuis mon premier cri, je suis à vos yeux un homme. Après toutes ces années, les récentes émeutes m'ont fait comprendre que je n'étais qu'un pantin au service de votre perversité. Car qu'y a-t-il de plus pervers que de contrôler la vie de son enfant pour flatter sa seule personne, en prétextant servir l'honneur d'une famille dont le nom est maintenant voué à l'extinction?
Vous parliez d'amour, même si j'ignore ce qu'est vraiment l'amour, je suis sûre d'une chose désormais, c'est qu'à aucun moment cela n'a été de l'amour. L'amour est partage, l'amour n'est pas la jubilation malsaine d'une seule personne.
Adieu monsieur, ce monde m'est étranger et dans ce monde vous n'êtes qu'un étranger de plus, mais peut être le plus dérangé de tous.
Votre dernière Fille. »
Oscar était perdue dans ses pensées. Les événements s'étaient enchaînés si vite. D'abord l'émeute, ces hommes et ces femmes luttant pour leur survie. Ces regards, ces visages qui l'avaient convaincue de changer de camp. Elle revoyait les visages de Bernard et de Rosalie. Ils s'aimaient et elle s'était sacrifié pour cela. Elle ne connaîtrait jamais l'amour, alors quitter cette vie intenable pour l'amour, même si ce n'était pas le sien, c'était être libre pour une fois, et, paradoxalement, exister. Mais les choses avaient très mal tourné. André, celui qu'elle considérait comme son frère, était tombé sous les balles. Elle avait eu droit à son dernier regard. Quelque chose l'avait troublée dans cette dernière lueur. Elle comprit lorsque, dans un dernier soupir, André lui avoua son amour. A la douleur de la perte de son frère, venait s'ajouter ce terrible malaise. Elle ne l'aimait pas. Son amour était fraternel. Et toute sa vie défila devant elle, avec cette angoissante question qui l'avait harcelée à maintes reprise, qu'est-ce qu'aimer ? Elle se sentait homme dans son esprit, et elle ne ressentait pour les hommes qui l'entourait que de l'amitié. Une amitié profonde mais qui ne faisait pas s'emballer son coeur, et vibrer son âme. Car, si elle n'avait, elle, jamais ressenti cela , elle l'avait observé quand Rosalie, ignorant sa nature, c'était éprise d'elle. Elle se souvenait parfaitement de cet état second dans lequel se trouvait la jeune femme. Une ivresse qu'elle eut bien aimé connaître. Son esprit masculin aurait peut-être eu de l'attrait pour la gent féminine, mais son corps restait froid, incapable de désirer ses semblables. Elle songea qu'elle était à la fois homme et femme, mais surtout ni l'un ni l'autre. Bannie de ce qui meut les êtres en ce monde, cette passion qui s'appelle l'Amour. Elle était une machine, un soldat parfait, capable de tuer, mais pas d'aimer. Son horizon, sa vie durant s'était limité au service et aux ordres. Et aimer est quelque chose qui ne s'ordonne pas...
L'odeur de la poudre commençait à se dissiper, les hommes du peloton quittaient cette cour sordide, d'autres hommes s'approchaient pour l'emporter vers sa dernière demeure.
Un cavalier les interpella. Ils s'arrêtèrent. L'homme descendit lentement de cheval et se rapprocha de la malheureuse. Il sortit alors d'une de ses poches l'enveloppe et en sortit la lettre. D'un geste sec il la déchira et la jeta sur la dépouille. Il s'en retourna l'air passablement énervé.
Oscar était étendue là inanimée, les lambeaux de la lettre reposaient sur sa poitrine ensanglantée...une poitrine libre de toute entrave, ultime acte de défi envers cet homme qui se disait être son père et qui aujourd'hui la reniait.
FIN
Demain dès l'aube...
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo
(source:http://poesie.webnet.fr/poemes/France/hugo/5.html) |