( Cette fic a été écrite à quatre mains, avec la talentueuse Ninon de Lenclos. Elle n'a été jusqu'à présent publié qu'une seule fois, en 2001, à l'occasion d'un concours du Fanzine Rose Antoinette (le thème du concours étant : les apparences). Je me suis contentée de la retranscrire, sans rien y toucher, tant pis pour les répétitions et les lourdeurs ^^. Quand je l'ai relue, l'âme de cette fic m'a plu à nouveau. )
Nous étions le 27 du mois de décembre 1787. Quatre ans déjà s'étaient écoulés depuis le départ du Comte de Fersen pour le nouveau continent. Quatre années durant lesquelles Oscar et André avaient vécu au service de la Reine, passant chaque instant à essayer de déjouer les intrigues de la cour. Le gentilhomme Suédois ne semblait alors plus n'être qu'un lointain souvenir. Mais aujourd'hui Monsieur de Fersen était revenu. Et si Oscar l'accueillait avec joie, au retour de son long périple, André sentait qu'un fossé se creusait entre eux.
Mais qui pouvait dire, à cet instant quels bouleversements ce retour allait produire dans les vie de nos jeunes amis ?
Cela faisait à présent deux jours qu'Axel de Fersen demeurait chez les Jarjayes et déjà Oscar était différente. Ils s'étaient retrouvés, avaient festoyé, ferraillé et ri aussi. Nombre de sujets avaient occupé leurs conversations, la vie, ces quatre années écoulées, la France et la Reine, bien sûr.
Au cours d'une de ces discussions Axel de Fersen avait fait un troublant aveu à Oscar, un aveu qu'elle se refusait à croire : il n'aimait plus la reine. Mais cela n'avait plus d'importance car à peine avait il prononcé ces mots que déjà elle voyait le gentilhomme Suédois se jeter dans les bras de celle qu'il disait ne plus aimer. Déjà le comte était reparti vers Marie-Antoinette.
Après le départ d'Hans Axel Von Fersen, la vie avait repris son cours normal, du moins en apparence, car, en fait, plus rien n'était comme avant.
Oscar était fière, trop fière pour s'épancher, mais elle ne pouvait empêcher son esprit de vagabonder, lui rappelant encore et encore ce qu'elle tentait d'oublier… Elle était si seule. Perdue dans la tourmente de l'hiver. André s'était éloigné d'elle, vaquant à des tâches qu'elle ne devrait jamais connaître. Pour tromper son ennui, elle se mit devant le piano. Mais même son vieil ami n'arrivait pas à la détendre en ce jour chargé d'émotions. Ses doigts si légers d'ordinaire semblaient porter toute la misère du monde en ce soir de doutes. Les notes qui s'échappaient de l'instrument avaient une saveur étrange et inhabituelle. La musique s'enfuyait de la pièce, emplissant le château et ses alentours, envoûtant ceux qui l'entendaient.
Elle toucha André d'une façon plus profonde encore. A travers cette musique, il ressentit le trouble d'Oscar et la colère monta en lui, lui faisant serrer les poings. Depuis la fontaine où il pansait les chevaux, il ne pouvait rester imperméable à cette triste mélodie, reflet de l'âme tourmentée d'Oscar. Il leva la tête, portant le regard vers la chambre de son amie.
Comme un écho aux doutes qui assaillaient Oscar, André tentait de l'éclairer, l'appelant du plus profond de son âme. Dans la tendre complicité de la nuit un sourd dialogue s'instaurait que rien ne semblait pouvoir faire taire…
*Mais que t'arrive-t-il Oscar ?
¤Fersen mon ami, vous n'aimez plus la reine ? Je voudrais tant vous croire, croire en ces mots. Mais comment faire quand vos actes vont à l'opposé de vos paroles ? Pourquoi mon cœur s'alourdit il quand je pense à vous et à ma reine ? Comme votre amitié m'est parfois cruelle Mr de Fersen.
*Cela fait quatre ans que Monsieur de Fersen est parti. Croyais tu vraiment qu'il avait oublié la reine ? Es-tu si naïve ou essaies-tu juste de t'en persuader ? Tu as su vivre sans lui durant tout ce temps, alors pourquoi ce retour te trouble-t-il tant ?
André serra encore le poings, se voulant absorbé par cette tâche qui pourtant ne réussissait pas à détourner ses pensées, des pensées qui toujours s'adressaient à Oscar.
*Crois tu vraiment l'aimer Oscar ? Que ressens-tu qui te laisse penser que tu puisses nourrir de tels sentiments à son égard ? … Et Puis… Je voudrais savoir une chose Oscar. Pourquoi ? Pourquoi lui ? Que t'a-t-il donné, lui, que je n'ai pas su t'offrir, durant tous ces mois que nous avons passés ensemble, côte à côte ? Où était-il durant les quatre années qui viennent de s'écouler ? Que faisait-il quand tes yeux se voilaient et que je te voyais lutter contre le désespoir ?
Comme il était douloureux pour lui d'entendre ainsi son âme pleurer, sans avoir aucun moyen de traverser le fossé qui, pour la première fois, lui semblait infranchissable. En ce soir de mélancolie il ne pouvait rien pour elle, sauf attendre… Attendre et observer. Demain le soleil se lèverait et un autre jour avec lui.
Les jours s'écoulaient, chacun d'eux apportant son comptant d'activités et de divertissements divers et variés. Tours de garde, service, inspections, spectacles, bals se succédaient, créant une ronde sans fin où il était facile de s'étourdir si l'on n'y prenait garde.
Un bal, un parmi tant d'autres, était donné à Versailles ce soir là. La salle brillait de mille feux et Marie Antoinette, telle un diamant dans son écrin, y illuminait la cour de sa beauté et de son rire. Oscar, un verre de vin à la main, songeait en silence à l'étrange destin qu'était le sien, sans pouvoir empêcher ses yeux de dériver vers sa reine. André suivait celle dont il était le valet. Valet : cette place si obscure, si proche et si loin d'elle en même temps, qui avait implicitement toujours été la sienne.
De nouveau tout était réuni pour qu'entre ces deux êtres qui ne se parlaient presque plus s'instaure un dialogue qui paraissait réservé à leurs seules âmes.
¤Je l'ai épiée quelquefois… Oui, j'avoue avoir guetté ses moments de faiblesse. Non pas pour m'en réjouir, même si je sais ne pas être honnête en disant cela, mais pour pouvoir me rendre utile, la soutenir, et puis peut-être aussi pour consoler en elle ce qui m'attristait en moi. Lorsque de tels moments se sont présentés… Oh, cet éclair de détresse dans son regard ! Son honneur bafoué ! Un honneur qui, comme pour moi, est sa valeur suprême…
*Je te vois regarder la reine. L'observer, chercher à comprendre. Mais que veux tu savoir Oscar ? Si tu lui ressembles ? Oui et non. Vous êtes toutes les deux fières et rebelles. Mais si comme toi Marie Antoinette était un cœur pur, elle s'est laissée corrompre. Vous avez le même âge, la même couleur de cheveux, et après ?
¤Certes, mon regard est parfois plus dure que celui de la reine, mais je suis plus clairvoyante aussi, du moins… Sur certains points. Peut être mes sourires sont ils moins fréquents aussi… Pourtant, je n'ai jamais pu m'empêcher d'être étonnée de notre ressemblance. Nous avons en commun la même envie de vivre, la même quête d'absolu… Et aussi la même intransigeance.
André ne pouvait quitter des yeux son amie d'enfance, il la regardait comme s'il lui avait parlé de vive voix.
*Je ne sais pas si tu aimes vraiment Fersen ou si tu veux t'en persuader… Ou, plutôt si, je ne sais que trop bien.
¤Et puis… Nous vivons toutes les deux une vie qui nous a été imposée, une vie que nous n'aurions peut être pas voulue. Je ne peux pas parler en son nom mais lorsque à la dérobée elle me lance un regard, ce que j'y vois parfois me rappelle tant ce que je ressens moi-même. Cette impression d'être étouffée et cette certitude de ne rien pouvoir y faire…
Puis il porta son regard sur la souveraine. Le spectacle que cette dernière lui offrait le confortait dans ses opinions.
*Tu te dis que comme toi, elle n'a pas choisi sa vie, qu'elle est prisonnière d'un carcan, et que comme toi elle souffre. C'est vrai. Et tu te demandes alors pourquoi elle plutôt que toi ? Parce que l'amour ne se commande pas Oscar. Mais cela t'échappe, toi qui crois contrôler chaque instant de ta vie.
Ils en étaient à ce point de leurs pensées quand André vida son verre d'un trait, dans un mouvement dubitatif et résigné. Puis voyant Oscar partir, il lui emboîta le pas. La soirée avait été longue et morose, Oscar s'en voulait retourner. Si le protocole ne les y avait obligés ils ne seraient d'ailleurs jamais venus. Le retour au domaine des Jarjayes se fit dans un lourd silence. Seul le pas de leurs cheveux leur rappelait la réalité de l'instant présent.
La nuit était tombée depuis plusieurs heures quand ils passèrent les grilles du domaine et André, aussitôt arrivé, avait rentré leurs montures aux écuries. Il décida pour regagner sa chambre de passer par le petit salon pour s'y réchauffer les mains engourdies par le froid, à défaut du cœur. Ce ne fut qu'une fois la porte passée qu'il aperçut Oscar. Elle était assise dans un large fauteuil, devant le feu, un livre à la main, et aurait pu paraître détendue si ses yeux ne l'avaient trahie. Son regard s'était perdu dans les flammes, comme souvent depuis que le commandement du Royal Suédois s'était vu confié à Fersen. André n'était que trop bien placé pour savoir que cela ne suffirait pas à rendre de la chaleur à son âme. Elle n'entendit pas l'arrivée de son ami. Il resta un moment derrière elle, n'osant la sortir de sa torpeur. Il faillit même s'en retourner sans bruit, tant il hésitait à la sortir des songes dans lesquels elle était plongée. Mais il avait envie, ou plutôt besoin, de lui parler, d'entendre sa voix, même si les mots restaient vides de sens.
¤Pourquoi elle ? Elle et pas moi ?
Oh, Fersen, pourquoi la reine ? Qu'a-t-elle de plus que moi ? Je lui ressemble tant, serais-je la seule à m'en rendre compte ? J'ai souvent vu mon reflet dans le miroir alors que j'enfilais l'uniforme du colonel que je suis. L'image qu'il m'a toujours renvoyée est gravée en moi. Cette image qui m'a frappée c'est le corps d'une femme, mon corps… Ressemblant étrangement à celui d'une autre… Que je connais et que j'aime… La reine.
"Oscar ?
-Ah ! André."
Oscar ne pu réprimer un petit sursaut, qui n'échappa à l'œil observateur d'André, et leva vers lui un regard encore embrumé par ses pensées.
"Tu n'est pas allée te coucher ! Tu m'attendais ?"
*Tu penses encore à lui n'est ce pas Oscar ? Pourquoi lui ? Il est mon ami aussi. Peut être même le seul mis à part toi… Mais cela n'est pas comparable. Si je déteste le voir te faire souffrir, je ne peux pas lui en vouloir car ce n'est pas dans ses intentions. Il n'est ni belliqueux, ni calculateur, juste malheureux… Comme moi. Est-ce sa détresse qui t'attire ? Car si tu savais combien je souffre, peut-être alors me regarderais-tu.
"Non. A vrai dire, j'avais envie de lire un peu avant d'y aller"
¤Pour te dire la vérité je noyais mon chagrin car je suis perdue… Viens à mon secours André ! … Aidez-moi Fersen ! Pour une fois dans ma vie, je voudrais que quelqu'un m'aide, m'indique le chemin à prendre. Rien qu'une fois.
"Oh, je vois"
*Si nous nous entendons bien lui et moi c'est que nous avons nombre de points communs, à commencer par toi. Qu'a-t-il de plus dis-moi ? La noblesse, la richesse, le bon goût ? Mais on ne naît pas noble de cœur et d'âme, on le devient, c'est toi-même qui me l'as dis, t'en souviens-tu ? La richesse n'est qu'une illusion qui rend la vie souvent amère et triste. Je n'ai pas le sou, mais suis-je vraiment plus pauvre ? Je ne crois pas. Quant au goût, nous partageons tous trois les mêmes passions et les mêmes jeux… D'ailleurs toi et moi avons plus en commun que quiconque.
Comme si elle avait entendu ce discours qui n'en était pas un, Oscar lui lança un regard interrogateur.
"Pardon ?
-Non rien.
-Je te trouve bien étrange en ce moment André"
¤C'est comme si ma tête allait exploser. Mon cœur se confond avec celui de Marie Antoinette, au point de ne plus savoir si ces sentiments sont mien ou sien. J'ai l'impression que si je me levais maintenant et que j'allais regarder dans le miroir surplombant la cheminée, c'est son image qui me serait renvoyée et non la mienne.
"Ha bon ! Je ne vois pourtant pas ce qui te fait dire ça. Mais toi Oscar, es tu sûre que ça va ? Quelque chose te tracasserait-il ?
*Si vous étiez si semblable Oscar, pourquoi t'aimerais-je toi plus qu'elle ? Pourquoi te serais-je dévoué corps et âme, alors que je n'éprouve que de la compassion pour notre reine ? Car vous êtes différentes, très différentes en dépit des apparences. Tu réfléchis à chaque conséquence de chacun de tes actes, de chacune de tes décisions. Alors que Marie Antoinette flambe les caisses de l'état pour noyer sa peine. Si tu te laisses emporter par tes fougue c'est par esprit de justice et d'équité, alors qu'elle ce sont les futilités de la vie qui animent ses passions. Ce que tu es ne se limite pas à la couleur de tes cheveux ou de tes yeux.
"Non rien du tout, je vais bien merci. Pourquoi cette question ?
¤Pourquoi t'acharnes tu ainsi sur moi, mon ami ? Je n'en ai pas besoin tu sais.
"Pour rien. Je dois me faire des idées. Dans ce cas je te laisse, bonne nuit Oscar."
*Oscar pourquoi me fais tu ça ? Pourquoi te mets tu à me mentir à moi aussi ? Je sais tout de toi, même ce que tu ignores toi-même. Mais jamais au grand jamais tu ne t'étais amusée à feindre avec moi. Mais est-ce vraiment un jeu ? Est-ce que cela t'amuse de me faire du mal ? Non… Je crois que tu n'y prêtes même plus gard. Si tu savais combien je souffre des égarements de ton cœur ! Je croyais faire parti des rares personnes à qui tu te montrais sans subterfuge, et voilà que tu me prouves le contraire. Je pensais qu'un lien indestructible nous unissait et cela depuis la première fois ou je t'ai vue, et maintenant tu cherches à le briser. Que veux-tu Oscar ? Me voir mourir de chagrin ? Il suffirait pour cela de m'éloigner de toi. Et tu le sais.
Tous ces mots qu'André rêvait de dire restèrent prisonniers de son cœur. Mais il lui lança un regard empli d'une telle douleur et d'un tel amour qu'Oscar comprit qu'il n'était pas plus dupe de ses mensonges qu'elle ne l'était elle-même. Elle se détourna.
"Oui, bonne nuit"
¤Oui, c'est ça André, laisses moi. Laisses moi seule. Je ne veux pas te mêler à une histoire dont il ne ressortira aucun bien. Peux-tu le comprendre André ? Toi qui es depuis toujours mon confident, mon second moi, mon frère… Mon meilleur ami, peut-être même mon seul ami.
Ils se séparèrent pour plonger dans une nuit sans rêve, pleine de questions et de tristesse où le sommeil ne trouverait pas sa place.
Imperturbable dans sa course, le soleil se leva insensible aux états d'âme d'Oscar et d'André. Si leur histoire pouvait attrister le ciel qui parfois pleurait sur leur amertume, comme pour l'adoucir, elle n'empêchait pas pour autant la terre de tourner et la vie de continuer.
Et c'est dans cet ordre des choses qu'un matin Oscar s'était rendue au petit Trianon sur la demande de Marie Antoinette. Quand elle arriva dans l'antichambre, sa souveraine n'était plus là. Le colonel de la Garde Royale s'approcha d'une fenêtre qui donnait sur les jardins et ce qu'elle découvrit assombrit son visage. Voyant le changement d'expression de sa compagne, André s'approcha. Aussitôt il comprit. La reine se promenait dans les allées sablonneuses du château. Elle souriait et son bonheur était par trop visible. Auprès d'elle se trouvait Mr de Fersen.
¤Il suffit de voir ce spectacle pour me rendre compte combien je me sens proche d'elle, elle qui est femme… Et vois, qui êtes vous donc pour m'obliger à entrer en concurrence avec ma reine ? Car c'est un duel qui se prépare, un combat dont vous serez l'enjeu Monsieur de Fersen…
André remarqua la lueur de colère qui brillait dans les yeux d'Oscar. Alors ses pensées s'envolèrent, lui murmurant des mots qui auraient su l'apaiser si seulement elle avait consenti à les entendre.
*Quand tu t'es éprise de la Marie Antoinette tu as voulu la protéger car tu t'es reconnue en elle. Tu as voulu préserver l'innocence que tu voyais en elle. Mais ce qui était vrai il y a quelques années ne l'est plus aujourd'hui. Tu ne peux renier ce que tu es, toi-même tu t'en rends compte. Pourtant tu refuses à laisser tomber le masque des apparences et chaque nouveau coup qui t'est porté est une vraie déchirure. S'il te faut encore du temps très bien Oscar j'attendrais. Je jouerai le rôle que tu as choisi pour moi. Je resterai ton ombre. Tu pourras toujours regarder par-dessus ton épaule tu seras sûre de me trouver derrière toi. Tu dois vivre Oscar, oui, vivre. Faire des erreurs et des expériences, te brûler les ailes sur la chaleur des cœurs. Briser le miroir aux alouettes qui te retient.
Ô Oscar, ma douce Oscar, ma tendre Oscar, personne ne te connaît mieux que moi. Et pourtant cette fois j'ai du mal à savoir ce qui te pousse à agir de la sorte.
¤Pourquoi vous fiez vous tant aux apparences ? Vous devriez savoir mieux que quiconque combien elles sont trompeuses…
*Souvent je te regarde depuis les jardins de Versailles ou les colonnes de Trianon, je te suis et t'observe comme en ce moment. Je n'ai pu manquer de remarquer ces gestes d'attention que tu portes au petit Dauphin, et qui te trahissent. Qui trahissent ta véritable nature, par le fais que tu sois une femme, non, je te parle de ta nature profonde. Tu es douce, aimante, impétueuse et impatiente, forte et fragile. Il y a tant de choses en toi que les mots m'échappent ou me manquent pour te définir.
J'apprécie Fersen moi aussi, il n'est pas comme les autres nobles ; ceux de la cour, plus préoccupés par les bonnes grâces du roi et le profit de leur bourse que par servir les intérêts du royaume. Il est juste et droit. C'est un cœur pur, et j'ai de la peine pour lui. Oui de la peine. Je ne suis pas un ingrat. Je n'ai pas oublié ce qu'il a fait pour moi. Mais je le déteste aussi, parfois. Je le vois te faire souffrir et ne pas s'en rendre compte. Cela me mine et j'enrage. Si j'aime l'homme je déteste le prétendant.
Cette nouvelle journée s'était écoulée, laconique et maussade, laissant Oscar et André en proies à leurs doutes et à leurs questions.
Bien d'autres jours avaient passé, se ressemblant étrangement, coulant doucement, immuables, laissant un goût amer qui avait empêché de les savourer pleinement.
Fersen avait persuadé Marie Antoinette que les heures bénies passées au petit Trianon étaient à présent révolues et qu'il était temps de retrouver Versailles et ses courtisans. Oscar avait été appelée pour veiller au bon déroulement de ce retour. Ce colonel qui, il y a peu de temps encore, prenait son service à la garde en vérifiant et re-vérifiant avec minutie chaque détail de ce qui devait être la perfection à son goût, n'était plus que l'ombre d'elle-même.
Dans une autre ombre, celle des colonnes qui formaient les arcades du pourtour de la place d'arme où les hommes défilaient sous le regard perdu de leur colonel, André avait observé celle qui était l'unique objet de ses pensées. Son cœur se serra lorsqu'il vit Axel de Fersen la saluer, du balcon où il se trouvait. Seul le gentilhomme Suédois arrivait encore à éclairer son visage, à la toucher dans les profondeurs de son esprit ou elle s'était retranchée. Un endroit où même lui n'avait plus le droit de la suivre. Mais si leurs corps et leurs esprits s'éloignaient chaque jour un peu plus leurs âmes, elles, semblaient ne pas vouloir se taire.
Je vous aime Mr de Fersen, il est impossible de me le cacher plus longtemps. Vous me ressemblez tant… Vous êtes ce que j'aurais été, si le destin n'en avait décidé autrement… Vous… Ma souveraine… Et moi, qui suis-je ? Un homme ? Une femme ?
Je ressemble à Marie Antoinette, ma reine… Et à vous aussi… Je ne sais… Peut être pour la première fois de ma vie. Comment éveiller votre cœur au mien ? Est-ce donc si difficile de m'aimer ? Comment vous montrer ce que je suis ?
Peut être après tout, fais-je trop parti de ta vie pour que tu ne me portes attention. Ou peut-être te reconnais-tu en lui. Peut-être te ressemble-t-il, nous ressemble-t-il. Nous sommes tous trois si semblables. Fersen se meurt pour Marie Antoinette et, aveuglé par son amour il ne te voit pas. Et toi tu cours après lui, ne me voyant pas non plus, aveuglée que tu es par ce que tu crois être l'amour. Mais que sais-tu de l'amour Oscar, toi qui refuse de vivre, pour ne pas souffrir ? D'ailleurs est-ce vraiment efficace ? Souffres-tu moins de refuser de vivre ou plus encore ? Je connais la réponse mais toi en es-tu sûre ?
Il n'était plus temps de rêver une mission venait d'être confiée à Oscar. De sa vigilance dépendrait le bon déroulement du retour de la famille royale. Comme cela lui semblait étrange ! Elle se dit que si les gens avaient le moindre soupçon des doutes qui l'assaillaient, jamais ils ne lui auraient confié cette responsabilité. Mais son honneur la plaçant au dessus de tout elle l'accomplirait sans faillir.
Les troubles de Paris commençaient à atteindre Versailles. Comme les espions du roi l'avaient prévu, un attentat fut perpétré contre la reine et ses enfants. Oscar dirigea sa compagnie avec autant de précision et de vivacité d'esprit qu'elle le faisait de sa lame. Pourtant l'espace d'un instant une idée macabre et déshonorante lui frôla l'esprit. Protéger la reine était une mission délicate, elle savait qu'un jour peut être elle ne serait pas à la hauteur de cette tâche ardue, mais elle savait aussi que si elle échouait aujourd'hui à la sauver une fois encore elle voyait s'effacer l'unique prétendante du cœur de Fersen. Son ennemie disparaître, mais sa dignité lui interdisait cette facile fatalité. Alors l'honneur et la honte la saisirent, l'obligeant à donner le meilleur d'elle-même, car comment aurait-elle pu aimer un homme gagné dans la haine et la trahison ? Elle se honnit elle-même d'avoir eu un seul instant cette pensée et se jeta à corps perdu dans la bataille qui l'opposait aux ennemis de sa reine. En amour comme à la guerre Oscar ne pouvait concevoir la bassesse et le déshonneur.
Avec rage et fougue elle dirigea ses hommes, comme un chef d'orchestre ses musiciens, mettant un à un les brigands en fuite, les traquant sans relâche, allant jusqu'à poursuivre elle-même le dernier d'entre eux au risque de sa vie, comme pour se faire pardonner un instant de lâcheté connu d'elle seule. Un chemin de croix qu'elle se croyait obligée d'accomplir. Elle suivit le dernier des hommes dans une maison abandonnée voulant le prendre vivant, car sa mission allait bien au-delà de la protection de la reine : elle voulait savoir qui lui en voulait à ce point et pourquoi, mais hélas l'homme ne lui en laissa pas le temps, et après avoir essayé de l'atteindre il mit fin à ses jours.
Oscar venait une nouvelle vois d'échapper aux risques auxquels l'exposait sa vie de garde royale, mais la scène de cet homme se sacrifiant pour ses idées lui renvoya l'image du jeune comte suédois, se sacrifiant par amour. Elle ne pu réprimer cette pensée qui la fit frémir.
¤Seigneur pourquoi cela ? Pourquoi faut il que les hommes se déchirent ?
Alors que tout était fini et que le complot pour attenter à la vie de la reine était déjoué, Oscar qui aurait du être fière d'elle se sentait lasse. Cet état n'échappa pas à son ami qui aussitôt s'enquit de son état.
"Oscar qu'est ce que tu as ? Tu es toute pâle, ça va bien ?"
La réponse fut brute, mais pas inattendue. André ne savait que trop les changements qui se produisaient en elle.
"André demande à Girodelle de bien vouloir me remplacer aujourd'hui. Je pars.
-Oscar reviens !"
André avait crié ses mots mais en vain. Il le savait avant même qu'ils ne franchissent la barrière de ses lèvres. Oscar n'avait pas pu les entendre car elle était déjà partie. Partie vers d'autres réflexions. De son fort intérieur il s'adressa alors à elle.
*Je te connais tellement Oscar pourquoi as-tu peur que je te découvre ? Cet espace que tu mets entre nous ne m'éloignera pas, bien au contraire. Plus tu voudras me chasser parce que tu te sens mal, plus je reviendrai, te forçant à admettre l'évidence. Cela prendra le temps nécessaire mais je serais la. Toujours pour toi.
Oscar s'enfuit plus qu'elle ne parti, lançant son cheval au galop comme pour échapper à ces étranges émotions qui une nouvelle fois l'assaillaient. Cette scène qui venait de se dérouler lui fit ressentir comme la vie était fragile, et si le colonel de Jarjayes ne pouvait se permettre de douter et de montrer sa peur, Oscar, elle ne pu résister au besoin de savoir ce qu'était réellement sa vie.
Elle prit la fuite, une nouvelle fois elle s'éloignait d'André, elle voulait se transporter loin de celui qui ne lui rappelait que trop bien qui elle était et qui elle n'était pas.
Mon prénom masculin me rend-il inaccessible ? Ce prénom qui me protège des autres et qui met un voile sur le monde que je regarde. Il est des fois où je le maudis, car il vous empêche vous aussi de me voir… Je suis là pourtant, et je ne peux empêcher mon cœur de battre à tout rompre quand je vous aperçois… Quelle est cette chose qui vous attire chez elle et qui vous ferait me remarquer ? Pourquoi cette différence dans votre cœur entre elle et moi ? Je ne vous comprends pas… Je ne sais pas vous comprendre…
Mais si leurs corps étaient loin l'un de l'autre, toute la distance qu'Oscar aurait pu y mettre n'était pas suffisante pour éloigner son âme de celle de son ami…
*Tu es folle Oscar, folle de vouloir changer. Je t'aime comme tu es. Jamais tu ne seras une femme comme les autres. Tu es plus brillante, plus forte, plus… Qu'importe. Tu ne dois pas changer pour un autre. Que tu ne me vois pas est une chose, si tu en aimes un autre je m'inclinerais pour toi, mais si cet autre t'aime vraiment il ne devra pas te changer il devra t'aimer telle que tu es, avec cet uniforme et ce nom qui sont toi. Il faut que tu prennes conscience de cela. Ne cherches pas à changer pour un autre je t'en prie, tu te priserais les ailes à ce jeu des masques.
¤Que se passerait il si j'osais, une fois, une seule, vêtir les habits qui sont ceux de ma condition ? Si les dehors étaient ce qu'ils devraient être ?
*Tant de fois je t'ai proposé de redevenir celle que tu as toujours été, et toujours tu t'y es refusée.
¤Verriez-vous autant de différences, Mr de Fersen ? Ou peut être me verriez vous, moi ? … Je sais qu'un jour vous vous apercevrez de ce que je vois aujourd'hui. Le moment venu, je serais prête…
*Et maintenant je te vois essayer d'être ce que tu n'es pas et j'ai mal.
¤Marie Antoinette. Il est si facile de superposer son image à la mienne. Très peu de choses nous séparent… Comme elle, mes yeux ont les reflets du ciel et nos visages ne font qu'un… Le nombre de saisons écoulées depuis que nous avons vu le jour est le même... Alors pourquoi elle et pas moi ? Oh, Fersen, est-ce dû à ma tenue ? Il est vrai que je porte culotte et elle jupon, mais cela n'est dû qu'au hasard, un concours de circonstances que je ne maîtrisais pas et qui a fait de moi ce que je suis... L'héritier des Jarjayes…
*Oui, mal pour toi.
Oscar aussi avait mal. A l'image du comte se superposai à présent celle de l'homme qu'elle avait tué et de tout ce qu'il signifiait. Les mots se bousculaient dans sa tête, des mots qu'elle ne pu bientôt plus retenir.
"Ô Fersen? Se peut-il que vous ayez raison ? Vous qui redoutez tant l'avenir serait-il possible que vous soyez le plus éclairé de nous tous ? Je voudrais tant que ce ne soit que de l'aveuglement de votre part comme ce que vous m'aviez dit à propos de la reine. Et pourtant vous êtes retourné près d'elle. Mais je sais bien que votre cœur est pur Axel de Fersen. Vous avez décidé de sacrifier votre vie à la sienne. Je vous comprends. Oui, je vous comprends du plus profond de mon cœur. Oh ! Fersen mon ami je crois que je vous aime."
A cet aveu qui la blessait plus qu'elle ne l'aurait voulu elle ne pu s'empêcher de verser des larmes. C'est aussi à cet instant qu'elle eut une réflexion qui lui sembla être la plus clairvoyante de toutes depuis que Fersen était revenu. Il en découla une décision, qui elle le savait devait être accomplie avant que la peur ne la saisisse à nouveau. Ainsi pour la première fois de sa vie Oscar allait devenir cette femme que la nature avait voulu qu'elle soit, et qui lui ressemblait pourtant si peu.
Il était pourtant resté une épreuve, qu'Oscar avait eut du mal à franchir. André, aujourd'hui, ne lui semblait plus disposé à écouter ses secrets ou peut être n'arrivait elle plus à les lui confier… Et pourtant elle avait besoin de quelqu'un qui la comprenne. Elle chérissait sa mère plus que toute autre personne, mais c'est à celle qui l'avait élevée qu'elle avait ressenti le besoin de raconter les tourments de son cœur.
Alors quand Grand-mère avait annoncé la nouvelle à André, il avait ri.
"Oscar en fille ! Ha ha ! Elle aura l'air d'un épouvantail !"
Il avait ri pour ne pas pleurer. Il avait mal, mal pour lui, mal pour Oscar. Il avait peur du triste spectacle qu'elle allait lui offrir, elle qui n'avait rien en commun avec les dames de la cour.
La cheminée du salon devant laquelle ils avaient si souvent tenu conversation l'avait invité. Elle l'avait invité à poser son regard sur la chaleur de sa flamme et à sécher ses larmes avant qu'elles ne puissent courir le long de ses joues.
*L'apprentissage de la vie est long Oscar et toi tu n'en es qu'au début. Mais tu dois vivre tes propres expériences, faire des erreurs et en tirer des leçons. Je t'attendrais, je te laisserai revenir seule vers moi, je te laisserai même t'envoler pour d'autres cieux si telle est ta volonté. Je resterai là, comme toujours, derrière toi, tapi dans l'ombre, t'aidant à te relever chaque fois que tu rencontreras un obstacle, te montrant la lumière chaque fois que tu seras perdue dans le noir.
Versailles n'est qu'un vaste théâtre où chacun joue la comédie de la séduction et du faux-semblant. Et toi parmi ces courtisans tu te déplaces tel le fou du roi sur l'échiquier de l'intrigue.
Ô Oscar, un à un les masques tombent et toi tu refuses d'ôter le tien. Et quand enfin tu décides d'en changer c'est pour en porter un autre qui te va plus mal encore. Alors tu me regardes en me demandant de te soutenir, mais c'est parfois si dur de te satisfaire.
Pourtant ce soir là Oscar revêtit le plus beau des masques, un masque auquel André lui-même ne pu rester insensible, un masque qui allait se briser…
André… Marie Antoinette… Fersen… Oscar… Quatre vies, quatre âmes et pourtant un seul destin. Mais qui aurait pu déjà le prédire ? Les jeux sont souvent cruels, et le jeu de l'amour ne déroge pas à cette règle. Plus que partout ailleurs, l'apparence y est maîtresse.
Mirage et réalité cohabitent en permanence, et parfois même il arrive qu'ils se superposent, créant l'illusion du bonheur pour le pauvre fou qui s'y raccroche.
Mais comme Oscar allait bientôt l'apprendre à ses dépens, l'amour véritable et les apparences ne sauraient se partager un cœur. |