Dans les caveaux d'insondable tristesse
Où le Destin m'a déjà relegué;
Où jamais n'entre un rayon rose et gai;
Où seul avec la Nuit, maussade hôtesse,
Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur
Condamne à peindre, hélas! sur les ténèbres;
Où, cuisinier aux appétits funèbres,
Je fais bouillir et je mange mon coeur.
Par instants brille, et s'allonge, et s'étale
Un spectre fait de grâce et de splendeur.
A sa rêveuse allure orientale,
Quand il atteint sa totale grandeur,
Je reconnais ma belle visiteuse:
C'est Elle! noire et pourtant lumineuse.
Charles Baudelaire, Un fantôme ( Partie I, Les Ténèbres )
Chaque nuit, tu me chasse du sommeil. Chaque nuit, je me glisse comme un cauchemar à ton chevet, mon endormie, pour me noyer dans ta contemplation. La lumière bleue de la lune baigne ton visage d’une aura de mort. Tes lèvres entrouvertes comme un bouton de rose prêt à faner, tes paupières lourdes effaçant l’éclat de métal de tes yeux, tout est à moi dans l’obscurité complice. Tu es mon spectre, avec ton suaire de cheveux pâles, perdue dans des rêves trop loin de moi. Et tu es tellement belle ainsi.
Souvent mes mains s’avancent pour écraser ton souffle dans ta poitrine, briser ta gorge blanche, pour te garder pour toujours, pour que le jour ne se lève plus jamais.
J’aimerais même baigner dans ton sang et sentir battre sous mes doigts ce cœur chaud que tu me refuse.
J’aimerais voir la terreur figer tes prunelles comme l’hiver glace les lacs de tristesse.
Et tu comprendrais sans doute enfin, en sentant mes lèvres déchiraient ta vie, combien je t’aime…
Je tracerais sur ton corps les blessures de mon âme. Je laisserais sur ton flanc vierge les lettres muettes de ma douleur.
Je t’emmènerais brûler en Enfer avec moi, pour faire couler, encore et encore, ton sang.
J’entrerais dans ton ventre, et je m’y blottirais. Je serais toi, je serais l’enfant que je ne te donnerais jamais.
Je t'entraînerais dans les entrailles de la terre et nous disparaîtrons dans les ténèbres, dans une tombe oubliée du temps qui me laissera te contempler éternellement, sans que rien ni personne ne vienne te voler à moi.
Et je te tuerais encore, pour revoir ton corps endormi trésaillir contre la lame froide que je remuerais dans ta chair, pour revoir dans le miroir de tes yeux cette soudaine connivence, de revoir sans mot mon amour frapper ton coeur battant doucement dans mes mains.
Je te tuerais sans cesse, car l'amour ne connaît pas de trêve...
Continuer à te regarder ainsi ne me suffit plus. Pourtant les nuits passent et tu te réveille chaque matin, sans que tu aie senti dans ton sommeil ton meurtre se répéter dans mes pensées.
Et tu souris à ton assassin...
FIN |