(ce fic est dédicacée à ma petite étoile.
Cependant, je voudrais remercier Gilrayn, parce que c’est elle qui m’a donné envie d’écrire, hier soir.)
La nuit était fraîche, en cette fin d’hiver 1787. Le ciel, dépouillé de tout nuage, offrait au monde la froide lumière des étoiles endormies. Elles scintillaient doucement, concurrençant une lune qui n’en était encore qu’à son premier quartier. Peu importaient à ces habitantes de l’éternel les affres des humains qui se faisaient des serments sous leur pâle beauté, ces hommes qui périssaient si vite alors qu’elles brûlaient pendant des millénaires.
L’inverse n’était pas vrai cependant, et certains mortels retrouvaient une certaine sérénité à les contempler durant des heures.
C’était d’ailleurs le cas d’une Française, jeune femme un peu perdue dans le tourbillon d’un siècle qui n’avait pas su l’accueillir. Durant des années elle s’était forcée à entrer dans un moule qui n’avait pas été crée pour elle, arrivant même à se persuader qu’elle se trouvait à sa place. On la disait froide, distante, dure, alors qu’elle n’était qu’un navire en pleine tempête, vaisseau cherchant à garder le cap.
Mais, capitaine de l’esquif, elle ne pouvait montrer ses doutes à personne. Elle devait rester l’inaccessible, celle sur qui s’appuyer. Un homme, alors qu’elle était née femme.
Peu à peu, l’usure des ans avait érodé son rire, ne laissant qu’un léger sourire, pâle reflet des chimères d’autrefois.
Alors, quand la pression était trop forte, celle que l’on nommait « mon colonel » venait interroger ses compagnes les étoiles. Elle leur demandait en silence ce qu’elle était devenue, ou s’était égarée l’enfant joyeuse et ses rêves d’avenir.
Voila pourquoi, malgré la température hivernale, la porte fenêtre ouvrant la chambre sur une terrasse était ouverte. Un léger vent faisait onduler les rideaux légers, ce même souffle d’air qui jouait dans les boucles dorées de la jeune femme.
Mais celle-ci n’y prêtait garde. Incapable de trouver le sommeil, cela faisait plusieurs heures que son regard d’océan était fixé sur les étoiles. Pâle, immobile, pieds nus, la militaire dépouillée de tous ses attributs semblait frêle.
Que restait il du colonel de Jarjayes ? Une certaine droiture dans le port de tête, le reflet d’un éclat sévère dans le regard… Le reste avait sombré au fil des minutes, laissant émerger Oscar de la tourmente.
Et Oscar se sentait égarée dans une vie qu’elle savait ne plus maîtriser. Que faisait elle à gouverner une compagnie qui ne la respectait pas ? Elle était passée de colonel fantoche à colonel raillé.
L’héritier des Jarjayes s’était perdue si souvent qu’elle ne savait plus quelle direction prendre, à présent. Elle avait cru aimer, s’était grimée en femme qu’elle n’était pas. Elle ne s’était pas rendue compte de l’amour malheureux que lui portait son ami d’enfance, le poussant à flirter avec la folie. Elle avait abandonné sa reine pour une raison qui ne lui semblait à présent plus valable. Elle avait refusé l’amour de Mr de Girodelle avant même de lui avoir donné une chance.
Comme chaque fois que son cœur lui échappait, elle s’était retranchée derrière son habit militaire, derrière l’épée qu’elle portait… La seule certitude de sa vie.
Mais en ce soir d’hiver, Oscar se sentait seule en son âme. Déboussolée, elle quémandait l’aide des étoiles pour retrouver la direction du futur qu’elle se voulait.
Les rêveurs savent qu’on ne demande jamais sans réponse, et en effet les blanches lumières rappelèrent à son souvenir une image du passé.
Alors comme accablée par le poids de cette mémoire revenue, la jeune femme ploya la tête et alla poser sa joue sur ses mains glacées.
Derrière l’écran de ses paupières abaissées, deux enfants d’une dizaine d’année commençaient à se dessiner. Ils étaient allongés sur de l’herbe, les bras croisés sous leur nuque. Habillés légèrement, ils contemplaient les étoiles en silence.
Oscar se souvenait combien l’air était chaud, à cette époque là, au diapason des battements de son cœur. Pourquoi tout était il gelé à présent ?
Le vent d’alors venait rafraîchir leurs joues enflammées par tous les secrets qu’ils s’étaient confiés, par toutes les certitudes d’un avenir commun et radieux qu’ils avaient esquissés. Vidés de leurs mots, les deux enfants savouraient à présent la quiétude emplie de la tendresse qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre.
« Oscar… Crois tu réellement que nous serons toujours ensemble ? Grand-mère n’arrête pas de dire qu’un jour tu te marieras, et que moi je devrai trouver à m’engager dans une autre maison, quand je serai grand.
- Que tu es bête, André ! Jamais je ne te laisserai partir. Et puis nous irons guerroyer contre les Anglais, comme nous l’apprend père. Je ne peux pas me marier, je suis un garçon, tu sais bien ! »
Le petit garçon ainsi interpellé ne répondit rien. Tout était si compliqué auprès d’Oscar… Oui, mais tout était si fascinant aussi. Elle portait un nom de garçon, était élevée comme un militaire, et pourtant c’était une fille. Parfois même elle pleurait, quand elle pensait que personne ne l’entendait.
Voila pourquoi il s’était promis qu’il la protégerait toujours. Après tout, il était son aîné d’un an ! Seul l’éloignement pourrait l’empêchait d’honorer ce serment qu’il ne lui avait jamais avoué.
Pour elle la vie n’était que certitudes et sourires. Elle ne pensait pas que le destin pouvait parfois contrecarrer les convictions les mieux enracinées.
André espérait, mais sans trop y croire, qu’elle n’aurait jamais à faire l’expérience d’un destin contrarié. Lui, il savait.
Le regard soudain embué, le petit garçon s’essuya vigoureusement les yeux d’un revers de la manche avant de tourner son visage vers Oscar.
Il ne la distinguait qu’à moitié dans l’obscurité nocturne, mais un seul rayon de lune suffisait à nimber son profil d’une auréole d’or. Dans un sourire l’enfant se dit qu’il avait de la chance de côtoyer une noble naturellement couronnée.
« Oscar, je veux croire que tu ais raison. Mais si tu te trompais, je voudrais que tu saches ceci. Quels que soient les kilomètres nous séparant, il suffira que nous sortions par temps clair, la nuit. En levant les yeux, en voyant les étoiles, nous saurons que l’autre est toujours la, quelque part. Et nous serrons ensemble. Rien ne pourra alors nous séparer »
Le regard ou les vagues menaçaient si souvent de se déchaîner vint alors croiser les iris sinoples (vert ^^) de son compagnon
« Rien ne pourra jamais nous séparer… »
Répéta la petite fille d’une voix absente, alors que les mots venaient directement se graver dans son âme. Puis, retrouvant son entrain ordinaire, l’enfant se releva vivement et intima à son ami de faire de même
« Mais ne t’inquiètes pas ! Un Jarjayes ne ment jamais et je t’ai promis que je ne te laisserai pas partir »
L’affirmation avait claqué, arrogante, embryon de la colonel qu’elle serait un jour, avant que les yeux aux profondeurs abyssales ne reprennent une teinte enfantine.
« Allons viens vite. Si grand-mère se rend compte que nous avons quittés nos lits on est bon pour les corvées demain »
Le mirage des souvenirs s’estompait déjà sous les paupières abaissées de la femme militaire. Alors elle laissa ses cils dorés ouvrir les rideaux à ses prunelles sombres, permettant à la lumière des étoiles de rejaillir en elle.
Oscar souriait à présent, bien que faiblement. Le capitaine avait retrouvé le cap, elle savait quelle était la bonne direction, l’évidence de sa vie. Son étoile du Berger.
Rapidement, l’ombre silencieuse quitta sa chemise de nuit pour se vêtir d’une chemise blanche, d’une jaquette pourpre et d’un pantalon grenat. Les pieds menus furent chaussés d’escarpins à talons carrés, puis la propriétaire de la chambre quitta les lieux.
Elle n’alla pas bien loin d’ailleurs. Deux couloirs plus loin, elle s’arrêtait devant une simple porte du quartier des domestiques et entrait sans frapper.
Le résident des lieux était plongé dans un sommeil profond, attesté par un léger ronflement. Oscar ne s’en préoccupa tout d’abord pas. Elle ouvrit le coffre contenant les effets de son ami pour en tirer une chemise ainsi qu’un pantalon et une cape.
Puis, sans préavis elle jeta le paquet de vêtement à la tête de l’homme endormi.
Les ronflements cessèrent immédiatement, remplacés par un juron étouffé.
Alors la jeune femme blonde éclata d’un rire sonore, le premier depuis des mois… Le premier depuis l’incident qui les avait séparé.
« Allons, lèves toi André, et souviens toi de ta promesse. Les étoiles nous attendent… »
Dehors, l’aube d’une existence nouvelle s’apprêtait à se lever. |