[i]Petit oneshot issu d'un délire du Temple, ce texte a été écrit pour l'anniversaire de ma Sofia adorée ^^ je te fais de gros bisous![/i]
"- Mademoiselle de Jarjayes..."
Une main fine et blanche émergea de l'ombre du carrosse. Acceptant le bras qui lui était offert, elle s'y appuya, et une longue silhouette, sombre, fragile, parut glisser sur le sol. L'homme qui l'accompagnait s'inclina avec respect.
L'orchestre jouait depuis quelques minutes déjà, et entamait un menuet, lorsqu'ils firent leur entrée. La musique s'arrêta net, et les couples qui dansaient au milieu de la grande salle se figèrent sur place, avant de reculer vers les murs. On ne danse pas devant des dieux...
L'homme qui venait d'entrer était l'objet du désir secret d'un grand nombre de femmes de la cour, et tous les hommes posaient sur lui des regards mi-admiratifs, mi-jaloux. Il portait un costume noir à col haut, sobre, et pourtant élégant, si scandaleusement élégant... Des boucles châtain clair encadraient le visage, accentuant le port de tête et le front haut, le regard gris en reflétait la noblesse et la droiture.
Mais que dire de la créature qui l'accompagnait, quels mots à cet instant les lèvres muettes de stupeur des courtisans prononçaient-ils? La femme au bras du comte de Fersen semblait sortir tout droit d’un songe. Un de ceux dont on ne voudrait jamais s’éveiller, de peur d’en perdre un jour le souvenir… Elle était vêtue d’une robe bleu nuit rebrodée de fils d'or, qui dévoilait plutôt que ne cachait son corps élancé. Laissant nues ces épaules si rondes et blanches, le tissu de velours qui la ceignait étroitement jusqu'à la taille, retombait librement au sol en une ample jupe défiant toutes les lois de la mode d'alors.
Belle... Le mot était bien fade pour elle. Ses cheveux étaient astucieusement relevés sur la tête, laissant retomber de longues anglaises sur ses épaules découvertes. Leur or flamboyant contrastait avec les couleurs cendrées des cheveux poudrés et des perruques des courtisans, et sa coiffure semblait négliger les hauts édifices bâtis sur la tête de ces dames. Ses yeux, imprévisibles, tantôt présageaient les dangers d'une tempête, tantôt se muaient en un océan de tendresse lorsqu'ils croisaient ceux de son cavalier. Leur bleu profond captait le regard et l'attirait invariablement, il fascinait, pire! il hypnotisait...
"Mademoiselle de Jarjayes... M'accorderez-vous cette danse? Je vous en prie..."
A entendre ces paroles, qui réveillaient en elle tellement de souvenirs, Oscar esquissa un sourire mystérieux, dont elle seule avait le secret... Et inclina la tête.
L'orchestre se leva de nouveau, et reprit le menuet.
Incroyable sensation que de se sentir de nouveau dans les bras de l'homme aimé, n'est-ce pas un rêve... Il enserre cette taille de guêpe, effleure la main droite de sa cavalière en la faisant tournoyer, et dévore du regard ces yeux bleus brillant d'une intensité peu commune. A cet instant, une seule peur l'assaille, un seul tourment, celui de se réveiller... Mais elles sont bien là, la douceur de son étreinte, la caresse des mots prononcés à mi-voix, la passion qui se lit sur son visage... S'abandonnant entièrement à ces bras, Oscar se laisse doucement porter par la musique, et un sourire d'émotion se glisse sur ses lèvres, non pas fugitif comme l'étaient tous ses sourires autrefois, mais intense, plein d'espoir. Seuls au milieu de la piste, ils semblent flotter, glisser sur les brillants parquets comme des cygnes sur un lac, paraissant ignorer les murmures de l'assistance qui leur parviennent à peine. Leur sombre tenue contraste avec les pastels et les blancs des robes de cour, et pourtant, ils illuminent la salle d'un tel éclat que tout lustre semble inutile à présent... Un couple d'or et d'argent...
"Regardez, ma chère, comme ils sont beaux...
- Oh oui, je ne peux le nier, ils semblent sortis tout droit d'un conte de fées... Et regardez le comte de Fersen, comme il a l'air sous le charme...
- Sous le charme, c'est peu dire, il est littéralement subjugué par mademoiselle de Jarjayes...
- "Mademoiselle", très chère? Seulement bientôt, ce ne sera plus "mademoiselle", savez-vous?
- Comment? Non, racontez donc, mon amie!
- Et bien, regardez bien! Ne voyez-vous pas quelque chose qui brille au doigt d'Oscar?
- Non! Ce serait..."
Oui, ça l'était. A la main droite de la jeune femme brillait un cercle d'or, que le comte lui avait passée à la main quelques heures plus tôt. Elle avait rougi et ses joues gardaient encore la trace de ce charmant trouble...
Combien de temps avaient-ils dansé ainsi, enivrés l'un de l'autre, seuls au milieu de la salle? Ils avaient tout oublié, leur devoir, leur vie même, qui ils étaient, tout avait sombré dans un étrange et délicieux oubli... Toutefois restaient, dans leurs esprits embrumés, le souvenir de leurs coeurs enflammés, et une infinie douceur, celle d'un dernier amour. |