Voilà trois ans seulement que Merrique avait suivit les traces de sa mère et était devenue diseuse de bonne aventure. Mais, à 19 ans, la jeune gitane était déjà la meilleure de son clan, et on lui prêtait des dons de sorcière. Aussi ses prédictions étaient elles prises au serieux, parmis les sien. Mais comment la famille Grandier aurait elle pu le savoir ? Comment croire cette adolescente, belle comme un ange de la nuit, leur annonçant leur mort prochaine ? Seul leur petit garçon avait semblé être troublé mais, silencieux, il s’était contenté de suivre ses parents quand ceux ci l’avaient tiré par la main
« N’oublies pas, petit André. Fuis l’or et le saphir. Car le jour où le blé et l’océan se mêleront devant tes yeux, ton avenir s’assombrira pour devenir aussi noir qu’une nuit d’orage »
Murmura la jeune tzigane, suivant les boucles d’ébène du gamin des yeux. Puis le regard d’émeraude de Merrique se voila, et elle soupira
« Mais comment pourrais tu lui résister ? Elle sera belle comme la mort, sauvage comme un incendie … Elle est ton cœur, mais votre rencontre brisera vos vies »
A présent, elle ne pouvait plus rien faire, et sa vie l’entraînait vers d’autres cieux. Après avoir haussé les épaules, la jeune fille s’en fut en courant vers les siens, ses longs cheveux noirs volant derrière elle.
Voilà trois mois que le routes d’André et de Merrique s’étaient croisées, mais le garçonnet avait déjà oublié. Comment aurait il pu faire autrement ? Sa vie avait basculé depuis l’ors avec la mort aussi brutale qu’injustifiée de ses parents, noyés en mer, et l’arrivée de cette grand mère qu’il ne connaissait pas
A peine avait elle eu le temps de lui sécher ses larmes que déjà elle l’entraînait dans une grande calèche fermée, plus belles que toutes celles que le petit garçon avait pu voir dans sa brève expérience. Mais la fatigue et le chagrin avaient bientôt eu raison d’André, qui avait sombré dans un sommeil réparateur.
Le voyage avait duré trois jours, trois jours durant lesquels il avait apprit à connaître cette mystérieuse grand mère et l’endroit où elle l’emmenait. D’après ce qu’il avait comprit, il y aurait un autre enfant, Oscar. Mais Oscar était différent de lui, parce que c’était une petite fille mais qu’il ne fallait jamais dire ça, et qu’elle était noble. André n’avait qu’une vague idée de ce que pouvait être la noblesse, mais une seule chose lui importait. Il ne serait pas seul, abandonné comme il l’avait cru au départ.
« Alors, promet moi que tu feras attention, mon chéri. Il ne faut pas que le Général soit mécontent de toi. Mon pauvre petit garçon, que ferai je de toi s’il ne t’acceptait pas ? »
Larmoyait la vieille femme, dont les yeux rougis témoignaient de la douleur. Pour la rassurer, le petit garçon de 6 ans, glissa sa menotte dans la main ridée de sa grand mère, et appuya sa tête bouclée contre son épaule
« Ne t’inquiètes pas grand mère, je serai très sage. Je ne veux pas te quitter, et puis les Garjaies ne doivent pas être de méchantes gens si ils t’ont prêté une aussi jolie voiture
-Jarjayes, mon trésor
-Jarjayes »
Répéta-t-il docilement, avant de replonger dans ses songes. Le calme du petit garçon était une leçon certaine pour Mme Grandier, qui entoura les frêles épaules de ses bras avant de tourner son regard myope vers la fenêtre du carrosse.
Quelques heures avaient suffi à André pour le faire diamétralement changer d’avis. La maison était jolie certes, et tout le monde avait été gentil avec lui jusqu’à l’arrivé d’un grand homme qui portait une drôle de perruque grise. Mais l’expression qu’il arborait coupa toute envie de rire au petit garçon, qui se tint coi tout le temps que dura le discours du Général. C’est à peine s’il osa acquiescer de temps en temps, tout en jetant des regards furtif au petits angelot blond qui se tenait avec arrogance aux côtés de son père.
« A présent, Oscar, je vous laisse faire découvrir notre demeure à votre nouveau compagnon d’armes. »
Finit il par dire avant de faire demi tour et disparaître par une porte dérobée. André cru alors qu’il pouvait souffler, mais le regard de glace qui se posa sur lui le fit vite déchanter. Visiblement, l’héritier des Jarjayes n’était pas heureux de le voir arriver, et il risquait bien de ne pas être le compagnon de cœur dont avait besoin le petit garçon pour surmonter l’immense chagrin causé par la perte de ses parents.
D’un geste impérieux, Oscar incita André à la suivre, et tous deux partirent dans les dédales des couloirs du Château Jarjayes.
Pas un mot ne s’échappa des lèvres pâles de la petite fille, qui avait décidé de se plonger dans un mutisme rageur. Elle ne voulait pas d’ami, elle n’en avait pas besoin. Qui était il, cet imbécile qui avait l’impudence de troubler la tranquillité de son existence ? Il lui paierait. L’occasion se présenta plus vite qu’elle ne l’aurait cru, alors qu’ils venaient juste de descendre les degrés de marbre menant du perron à la fontaine principale.
En effet André, qui n’en pouvait plus de ce silence assourdissant, avait tenté d’entamer la discussion, de façon bien maladroite il faut l’avouer
« Dis moi, Oscar, Grand mère m’a dit que tu étais une fille. Pourquoi est ce que tu t’habilles comme un garçon ? Tu n’as pas de robes ? »
Vive comme l’éclair, Oscar avait fait volte face, et son regard d’azur avait viré au bleu polaire des glaciers. Sa voix, quand à elle, n’avait rien d’enfantine quand elle s’adressa au petit fils de sa nourrice
« Retires immédiatement ces mots si tu ne veux pas que je te les fasse rentrer dans ta gorge ! Je suis l’héritier des Jarjayes, et certainement pas une fille ! Crois moi, ce n’est pas avec plaisir que je suis obligée de passer mon temps en ta compagnie, mais si tu t’avises encore de parler de moi en ces termes injurieux, tu le regretteras ! »
André fut statufié par l’attitude d’Oscar, et la trouva détestable. Comme pour lui prouver qu’il n’avait pas peur, qu’elle ne l’impressionnait pas, il rejeta ses épaules en arrière et ses yeux verts prirent un éclat frondeur.
« Et pourtant, tu es une fille et je te considérerai toujours comme telle ! Une fille qui porte un nom de garçon. Une fille… »
Il ne put aller plus loin car Oscar, folle de rage, s’était jetée sur lui et, roulant dans la poussière avec lui, le bourrait de coups de poings. André, d’abord surprit, ne tarda pas à se défendre, mais déjà il venait de recevoir un coquard à l’œil droit. En effet, s’il avait le bénéfice de l’age et du poids, Oscar, quand à elle bénéficiait de l’agilité et de l’entraînement. Forte de l’effet de surprise qu’elle avait provoqué, elle prit bientôt le dessus et s’assit sur le torse d’André, l’empêchant de se relever en enserrant son cou de se deux mains serrées
« A présent, retires tes paroles !
-Jamais ! »
Sans doute Oscar aurait elle recommencé à le frapper, si elle n’avait pas soudainement été soulevé dans les airs par une poigne à la force peu commune. André en profita pour se relever et faire prestement quelques pas en arrière.
C’est alors qu’il vit le général tenir à bout de bras le dernier de ses enfants. Sans ménagement aucun, François de Jarjayes reposa Oscar sur le sol, tout en lui tenant toujours fermement le bras
« A présent, Monsieur, vous allez m’expliquer les raisons d’un comportement aussi indigne de votre nom ! »
Tonna-t-il d’une voix forte, qui fit trembler André. Mais le regard d’Oscar ne se troubla même pas. Les sourcils froncés, elle défia son père un instant avant de détourner la tête
« Ce n’est rien père. Juste un désaccord qui nous divise
-Ne jouez pas avec ma patience Oscar ! J’exige des explications ! »
La petite fille porta un instant son attention sur André qui, pétrifié, se tenait à quelques mètres de la scène. Sans le quitter du regard, elle répondit
« C’est de ma faute, André n’y est pour rien »
André vit alors la main du général se lever haut dans le ciel, puis frapper avec force le visage de son héritier qui, sous l’impact du coup, tomba à terre en soulevant un nuage de poussière blanche.
Epouvanté, l’enfant parti alors en courant loin de cette scène de violence. Il ne connaissait pas le concept d’honneur. Tout ce qu’il savait c’est que son papa à lui ne l’avait jamais frappé, et qu’il ne voulait pas habiter dans une maison où les petites filles se battaient sans raisons, où les hommes étaient aussi effrayants. En pleurs, il alla se terrer dans un des placards de la cuisine.
Grand mère n’avait rien vu de tout cela, car lorsqu’elle retrouva André, il était tranquillement en train de parler, en cuisine, avec une des servantes de la maison.
Sans rien savoir de la scène à laquelle il avait assisté dans l’après midi, la vieille femme lui donna son souper, lui fit prendre son bain et lui passa sa chemise de lui. Elle allait le reconduire jusqu’à sa chambre pour le coucher, lorsque Mme de Jarjayes l’appela. Mais André lui assura qu’il saurait retrouver sa chambre tout seul, et elle lui fit confiance.
Glissant ses bras autour d’elle, il embrassa la vieille joue à la senteur de pomme, et lui murmura
« Je t’aime grand mère »
Avant de partir par les couloirs. Mme Grandier en eu les larmes aux yeux, et se promit intérieurement de tout faire pour rendre son petit fils heureux.
André, quand à lui, était dans un tout autre état d’esprit. Cette maison lui faisait peur, il ne voulait plus y rester. Alors il avait prit sa décision, il allait partir loin des Jarjayes, loin de cette petite fille effrontée et de son père aux allures d’ogre mangeur d’enfants. Sa grand mère comprendrait, et puis lui, il était déjà un petit homme. Il trouverait bien un moyen de retourner chez lui, et il deviendrait pêcheur, comme son père.
Mais pour l’heure, il lui fallait retourner dans sa chambre pour récupérer la miniature écaillée, seul souvenir qu’il lui resta du visage de sa mère et de son père.
Silencieux, le petit garçon poussa une porte qui lui semblait être la sienne. Dans l’obscurité ambiante, il lui fallu quelques secondes pour se rendre compte qu’il ne se trouvait pas dans la pièce qu’on lui avait attribué, et il allait battre en retraire lorsqu’il entendit quelques sons étouffés.
Tendant l’oreille, il cru reconnaître le bruits de sanglots étouffés
« Y’a quelqu’un ? Vous avez mal ? »
Demanda-t-il innocemment, inquiet malgré lui. Comme les sanglots s’étaient brusquement tus et que personne ne lui répondait, il s’apprêtait à rebrousser chemin, lorsque quelqu’un renifla bruyamment avant de dire
« C’est toi André ? S’il te plait, ne dit pas que j’ai pleuré ! »
La voix était fluette, comme effrayée, et il reconnu le timbre d’Oscar. Effrayé à nouveau, André porta la main à son œil qui virait au violet, mais il n’y avait plus rien d’arrogant dans cette voix, et le petit garçon se souvint de ce qu’elle avait fait. Elle avait prit toute la colère de son père, alors qu’il était lui aussi en faute.
Prenant son courage à deux mains, il fit quelques pas en avant et vit finalement une forme pelotonnée, dans un coin du grand lit à baldaquin. La peur le quittait peu à peur, remplacée par la curiosité, et il grimpa à son tour sur le matelas pour s’approcher d’Oscar.
Tout d’un coup, la lune apparu de derrière les nuages et alla nimber la petite fille de sa lumière fantomatique. Sa chevelure d’or scintilla doucement, et les traces de larmes apparurent sur ses joues de pêche.
C’est son instinct qui poussa André à vouloir essuyer ces gouttes d’eau salées, et Oscar, si elle eut tout d’abord un mouvement de recul, se laissa finalement faire. Son regard, aussi profond que l’océan, restait inquiet, à l’affût, comme si elle faisait quelque chose d’interdit. Alors André la rassura d’un sourire
« Ne t’inquiètes pas, je ne dirai rien »
Sous la chaleur de ce sourire, Oscar sentit quelque chose se dégeler dans son cœur, et elle sourit en retour. Son regard se réchauffa, faisant fourmiller de façon étrange toute la poitrine du petit garçon
…L’or et l’océan…
Il les avait devant lui, mêlés chez un être ressemblant aux anges que lui contaient sa mère lorsqu’il était enfant.
« Je dois aller me coucher ! »
Dit il alors précipitamment, sautant en bas du lit. Soudain, les souvenirs affluaient en lui, il se souvenait des paroles de la jolie dame qui avait regardé les lignes de sa main . Elle avait déjà eu raison, pour ses parents, et il ne voulait pas être malheureux comme elle l’avait dit.
Mais le destin avait décidé de jouer avec ses créatures. Ce fut la voix d’Oscar, qui le cloua sur place alors qu’il était sur le point de quitter la pièce. La petite fille n’avait pas l’habitude de demander de faveur, et l’interrogation que sa voix contenait la rendait fragile soudain, si éloigné du petit démon qu’il avait rencontré pus tôt dans la journée
« André… Tu ne veux pas rester cette nuit avec moi ? Je ne le dirai pas à père »
Elle craignait qu’il refuse, cela était perceptible et André cherchait d’ailleurs la force nécessaire à formuler ce refus. Il lui tournait le dos, ses épaules tremblaient, mais il faisait bien trop sombre pour qu’Oscar puisse le voir. Elle entendit simplement la voix du petit garçon, qui répondait avec hésitation
« Bien entendu, Oscar. J’ai confiance en toi. »
Sans rien laisser paraître de ses doutes, il alla se glisser auprès d’elle et remonta les couvertures sur leurs deux petits corps. Les yeux de saphirs étaient si proches de lui à présent qu’il pouvait les voir briller dans le noir, scintillant de joie. Quand à ses cheveux d’or… André ne pu s’empêcher de les effleurer, émerveillé par leur douceur. Se blottissant contre lui, Oscar ferma les yeux et murmura
« Tu es mon ami, hein, André ? Un vrai ami qui ne trompe pas ?
-Oui, je suis ton ami. Et toi, tu es ma première amie »
Il avait à nouveau employé le féminin, mais Oscar ne s’en insurgea pas. Elle l’acceptait de sa part, comme elle le ferait toujours par la suite. André en avait gagné le droit, par la grâce de quelques mots murmurés juste au moment où une petite fille touchait le fond de la solitude. La main d’Oscar chercha celle d’André et la serra, alors que l’enfant s’endormait. Elle venait enfin de prendre confiance en l’avenir. Un avenir qui avait les traits d’un petit garçon de six ans.
André, quand à lui, eu beaucoup plus de mal à trouver le sommeil. La chaleur du corps d’Oscar contre le sien le plongeait dans une douce torpeur, mais les mots de Merrique s’égrenaient sans trêve dans son esprit.
Sentant que Morphée s’apprêtait à le prendre en son sein, le petit garçon ferma les yeux et se fit cette promesse
*Demain je partirai. Demain. Ce soir, elle a besoin de moi*
Jamais plus André n’eu le projet de quitter la demeure des Jarjayes
FIN |