Le Général entra furieux dans son bureau. Il ne vit pas sa femme qui brodait dans un coin de la pièce. C’est là qu’elle allait lorsqu’elle souhaitait ne pas être dérangée. Il alla à la fenêtre et regarda dehors.
« Alors, que vous fait d’avoir le sang de notre fille sur les mains ?
-Je ne l’ai pas fait. Je…André m’en a empêché.
-Il est très attaché à elle.
-Il l’aime. Et je crains que ses sentiments soient réciproques ?
-Vous craignez. Que craignez-vous exactement, qu’Oscar l’épouse et reprenne son rôle de femme ? Pourtant vous aviez accepté Girodelle comme gendre. Est-ce le fait qu’André ne soit pas noble et réclame la main d’Oscar qui vous choque ?
-Non, vous savez très bien que non. Et il ne veut pas se marier… pour l’instant. Mais j’ai toujours considéré André comme mon fils. Autant qu’Oscar
-En quoi cela vous gêne-t-il ? Vous devriez au contraire être rassuré. Vous connaissez André depuis longtemps. Vous savez qu’il la rendra heureuse.
-Justement, cette relation ressemble trop à mon goût à un… inceste.
-Un inceste ? Mais ils ne sont pas frère et sœur.
-Mais ils se sont connus il y a si longtemps.
-Il n’y a pas qu’eux. J’avais neuf ans à l’époque. Ma mère m’emmena dans sa maison de campagne de Normandie. Je cherchais des mûres quand j’aperçus un jeune garçon qui s’entraînait durement à l’escrime contre son père. Il semblait âgé de douze ans, il n’en avait pas dix. Son épée vola dans les ronces où j’étais. Il la chercha et ne m’avait pas vue. Je la prit et lui tendis. Il me sourit et me fit sortir du buisson d’épines. Il me tendit la main pour grimper jusqu’à son jardin qui surplombait le ravin où nous étions. Son père se fâcha, disant qu’un général devait apprendre le métier des armes et non celui d’un courtisan. Ce à quoi il répondit qu’un général, en présence de dames, devait faire preuve d’une galanterie élémentaire. Il me raccompagna jusque chez moi. En arrivant devant la porte, il me fit un baisemain et partit en courant, ma criant qu’il espérait me voir le lendemain. Je n’ai jamais été si rouge que ce jour là. Et ce jeune homme est aujourd’hui mon mari et le père de mes six filles. »
Elle s’était levée durant son discours et caressait maintenant le visage de son général de mari, ses yeux remplis d’amour.
« Si ce jour là vous aviez obéi à votre père, nous ne serions peut-être pas mariés
-Mais eux ont tous leurs souvenirs d’enfance en commun, ils ont presque toujours vécu ensemble »
Il soupira
« J’aurais aimé qu’André fasse un bon mariage, avec une noble s’il l’avait désiré. Je l’aurais adopté et transmis mes titres si besoin est.
-N’importe quelle noble mais pas Oscar
-Je veux la protéger. Ce mariage avec Girodelle était une erreur, j’en suis conscient. Mais je l’aime tant, je ne veux pas la voir mourir. André ne l’empêchera pas de partir au front, si tel est son désir
-Vous ne voulez pas la voir mourir au front mais vous étiez prêt à la tuer de vos mains ?
-Me croyez-vous capable d’infanticide ?
-Que vouliez vous faire ?
-Lui faire peur, la faire renoncer à cette folie, je ne sais.
-Croyez vous vraiment que c’est la mort qui l’effraie ?
-Non, je lui ai apprit à ne pas craindre la mort, et elle a trop bien suivi mes leçons
-Qu’allez vous faire ?
-Que puis-je faire ?
-Si vraiment Oscar devait mourir, faites qu’elle ne regrette pas de s’être fâchée avec vous.
-Je vais leur donner ma bénédiction. Le sort d’Oscar n’est plus entre mes mains. Son destin appartient désormais à André. |