Noirs desseins
Par une belle journée d’été 1772, le soleil triomphant illuminait, comme pour rendre justice à la jeunesse et la beauté, le visage d’un apollon de 22 ans, aux longs cheveux châtains et aux yeux bruns( ?).
Victor Clément de Girodelle se tenait près d’un bosquet de roses, dans les jardins de Versailles. Récemment nommé lieutenant de la garde royale, il profitait de quelques moments de répit, avant de prendre connaissance des lieux et des hommes qu’il allait avoir sous ses ordres.
Il aurait du être heureux, lui qui rêvait de s’envoler loin de l’autorité paternelle…un père…oui, mais un père qui n’arrêtait pas de l’humilier constamment. Il essayait de se dire que c’était dans l’optique de le pousser à se surpasser, cependant, jamais, depuis sa plus tendre enfance, il n’avait fait un geste qui lui aurait prouvé son affection.
Girodelle aurait du être heureux, en cette journée magnifique, mais , en colère, il malmenait, froissait, déchiquetait une rose de ses mains, indifférent aux épines qui lui labouraient pourtant la peau.
En fait, il fulminait de rage :quelques jours auparavant, son père, le regard narquois, mais l’air satisfait (Girodelle en fut d’ailleurs très surpris) lui avait annoncé, de sa bouche même, sa nomination comme lieutenant à la garde royale. Mais, il avait tout de suite enchaîné, en disant que le capitaine, donc son supérieur direct, serait un …gamin !…un gamin de cinq ans son cadet, son air satisfait prenant tout à coup, aux yeux de Girodelle, une teinte de mépris amusé.
Certes, il espérait de tout cœur gagner un peu d'estime de la part de son père : commencer sa carrière militaire était une occasion rêvée pour cela…mais comment ne pas être discrédité lorsque, à la narration d’un quelconque glorieux événement, son père pourrait lui jeter tout de suite à la figure, que son supérieur avait cinq printemps de moins que lui !
NON ! Il ne se laisserait pas faire !
Il ferait tout pour ruiner la réputation de ce capitaine à la cour, et clamer haut et fort que cette place lui revient de droit. Il saurait bien trouver un moyen de prouver à la face du monde son propre mérite, et l’humilier, ce petit blanc-bec !
Il avait passé des années à se perfectionner à l’escrime, à l’équitation…il avait appris par cœur l’histoire de l’Europe, et les grandes œuvres des auteurs classiques, en latin SVP, …même s’il préférait les contes de Pérault et les histoires qui finissent bien(il gardait, au fond, l’âme d’un garçonnet très fleur bleue),il savait réciter l’alphabet à l’envers…et il se savait joli garçon !
Il n’en ferait qu’une bouchée de cette tapette…GNIARK…et il gagnerait l’estime de son père.
Sur ces pensées réconfortantes, Victor Clément de Girodelle inspira un grand coup et se dirigea, déterminé, vers l’endroit où il rencontrerait pour la première fois Oscar François de Jarjayes...
Rencontre
Rageur, Girodelle n’arrivait pas à dormir :il se retournait et se re_retournait sans cesse dans son lit, se remémorant pour la n-ième fois les détails de leur première rencontre…
L’après-midi même, il se tenait dans la cour, auprès de ses hommes, quand il le vit arriver :
en tout premier lieu, il ne put s’empêcher d’admirer sa flamboyante chevelure blonde !
Avait-il un secret ? Lui-même passait près de deux heures par jour en soins de tous genres…D’autre part ,il ne pouvait nier son allure… une silhouette fine et élancée, une démarche souple et légère, laissant deviner une incroyable habileté et rapidité, des traits tellement fins !…mais surtout des yeux…des yeux…bleus…tellement bleus !…frangés de longs et délicats cils noirs…Girodelle se dit que quiconque verrait le capitaine pour la première fois aurait eu la même réaction admirative :il avait tellement de charisme et de prestance ! Un tel magnétisme dans le regard ! Une telle droiture, une telle intransigence dans ce maintien noble et fier !… et pourtant, une telle finesse dans les traits et le corps…Ce mélange de rigueur et de délicatesse ne pouvait laisser personne indifférent, subjugué par tant de grâce, désireux de s’abreuver à jamais de telle beauté…
MAIS QU’AVAIT-IL DONC ?
Aucun homme ne l’avait marqué à ce point !Une femme, oui, mais pas un homme ! Girodelle secoua la tête comme pour chasser ses pensées !Il se sentait bizarre…
Néanmoins, sa première surprise passée, il avait commencé à observer minutieusement les moindres faits et gestes de son capitaine. Il l’avait regardé s’exprimer, se comporter envers les soldats. Le bilan s’avérait plutôt de mauvaise augure: l’officier savait faire valoir son d’autorité, et avait manifestement assez de poigne pour diriger la garde. En outre, il faisait preuve d’une grande dextérité quant aux maniements des armes.
Girodelle avait estimé tout de suite que, même s’il pensait pouvoir commander au moins aussi bien, il n’était pas sûr de le battre aussi facilement à l’épée…
Dans son lit, Girodelle froissa les draps de colère. Puis, il sourit.
En effet, à la fin de la journée, de forte mauvaise humeur, furieux contre lui-même, il avait enfin agi pour faire avancer ses plans :
« Oscar François de Jarjayes, je suis nouvellement arrivé ici, et je ne vous cacherai pas d’être étonné d’avoir un chérubin comme supérieur. Je vous préviens tout de suite que je n’obéirais pas à vos ordres, tant que vous ne m’aurez pas prouvé que vous méritez plus que moi cette place de capitaine. Je vous lance donc un défi de cinq épreuves, qui, je pense, permettra de nous départager. Si vous perdez, vous vous engagez devant tous les soldats ici présents, à abandonner votre poste à mon avantage. Si je perds, eh bien, je promets de vous servir de la manière la plus loyale, et de ne plus jamais mettre en doute votre autorité. Oseriez-vous relever ce défi ? »
Oscar avait alors levé un sourcil interrogateur, une lueur amusée brillant soudainement dans ses yeux. De nature impulsive et amatrice des défis, elle avait accepté à l’instant, sans se poser de questions. Depuis quelques temps , elle s’ennuyait ferme à s’occuper de la reine et de ses menus soucis de petite fille, et, enfin elle trouvait un moyen de calmer sa fougue naturelle.
Plusieurs heures plus tard, Girodelle tomba enfin dans les bras de Morphée… mais il ne pût empêcher un certain ange blond au regard bleu azur d’entrer dans ses rêves. |