Auteur : Iria Hits : 1597
Lady Oscar > Dark Fic/Death Fic > Te souviens tu d'elle ? >
De nombreuses années avaient passé depuis la mort d’Oscar et
d’André. Les régimes s’étaient succédés et à présent, après tant
de larmes et de sang, un empereur était monté sur le trône de
France. Plongés dans tant de tourments, bien des hommes avaient
oubliés le colonel aux cheveux d’or qui avait donné sa vie pour
la liberté, ainsi que son ombre fidèle. Mais il étaient des
cœurs qui , trop marqués par l’amour qu’ils avaient portés à cet
être d’exception, n’avaient jamais cicatrisés.

Un homme d’une cinquantaine d’années, portant toujours beau
malgré son âge, marchait dans les rues de Valprivas, petit
village du centre de la France. Sa mise était soignée, trop peut
être part rapport à celle des gens du coin qui étaient, pour la
plupart, des paysans. Tout en lui dénotait l’étranger, mais il
semblait savoir où il allait, et nul ne paraissait étonné de la
présence de cet homme à l’habillement recherché dans cet endroit
reculé de France. Les cheveux qui avaient dû être châtain dans
le temps grisonnaient à présent, et de fines rides
apparaissaient au coin des yeux gris, mais cela n’empêchait pas
les femmes de se retourner sur son passage, attirées par le
magnétisme qu’il dégageait. Sans paraître s’apercevoir de
l’effet qu’il produisait, l’homme s’arrêta devant une porte de
chêne massif et y frappa avec assurance. Peu de temps après, une
jeune fille blonde comme les blés murs, au regard d’océan, vint
lui ouvrir. Comme à chaque fois qu’il croisait ces yeux bleus
qui lui en rappelaient d’autres connus il y a bien longtemps, le
cœur de l’étranger manqua un battement. Malgré le temps passé,
il se laissait toujours surprendre par la ressemblance même si
nul n’était mieux placé que lui pour savoir que la personne
qu’il voyait n’était pas celle que son âme cherchait à
retrouver.
Quand la jeune fille reconnut le visiteur elle se jeta dans ses
bras, les larmes roulant sur son visage. Celui ci, protecteur,
entoura les frêles épaules de ses bras, la protegeant de sa
carrure rassurante.
-« Tonton !! Enfin tu es là ! J’ai cru que tu n’arriverai jamais
à temps… Ca fait si longtemps que je t’ai écris.
-Calme toi Ambre, ma chérie. Tout va bien à présent, je suis là.
Notre Empereur m’a laissé partir en permission pour autant de
temps que je le souhaiterai. Comment va-t-il ? »
La jeune fille essuya vivement ses larmes, honteuse d’avoir
laissé cours à cet accès de tristesse, elle qui se targuait
pourtant de maîtriser ses sentiments. Puis elle répondit :
-« Il va mieux aujourd’hui. Mais hier… Il ne m’a pas reconnu, il
me prenait pour Elle.
-Je vais aller le voir. Ou est ton frère ?
-Dans le champs derrière l’église. Papa ne peut plus s’occuper
des récoltes, alors c’est lui qui fait tout à présent. »
L’homme caressa la joue de sa nièce, amenant un sourire sur ses
lèvres pales.
-« Dis lui de passer me voir quand il rentrera. »
Puis, sans un mot de plus, en homme habitué des lieux, il se
dirigea vers la première porte sur sa droite qu’il ouvrit puis
referma derrière lui.

En entrant dans la chambre, son regard se dirigea directement
vers le lit qui trônait au milieu de la pièce. Un homme y était
allongé, guère plus agé que lui. Mais la maladie et la fatigue
avaient terriblement vieilli ce visage d’ordinaire si énergique
et moqueur. Le malade regardait un tableau représentant un
soldat blond à cheval, un colonel au regard empli de passion et
de mystère. Cela ne faisait que six mois que les deux hommes ne
s’étaient pas vu, mais des années semblaient à présent les
séparer. L’officier de l’empereur eu du mal à reconnaître son
ami, et hésita à déranger sa rêverie.
-« Alain ? »
L’ancien grenadier se retourna et un sourire las éclaira le
visage amaigri.
-« Victor ! Tu es venu ! Ambre m’avait dit qu’elle t’avait
écris, mais je craignais que tu ne sois encore en campagne.
-Ce qui était le cas. Mais rien n’aurait pu m’empêcher de
retourner voir un vieil ami. Comment vas tu ? Tes enfants se
font du souci, tu sais. »
En disant cela, celui qui un jour avait été le Comte de
Girodelle s’assit sur une chaise, au chevet d’Alain
-« Je crains bien que mes jours me soient comptés. Et ne dis pas
le contraire, tu connais aussi bien que moi les effets de la
Tuberculose ! Nous en avons eu un exemple trop sinistre devant
les yeux pour pouvoir jamais oublier les conséquences de cette
maladie maudite entre toutes. Promet moi juste que tu
t’occuperas d’eux lorsque je ne serais plus… Quoi que je sache
que cette promesse, tu l’as déjà faite il y a bien longtemps. Tu
te souviens n’est ce pas ? »
Comme la question n’attendait pas de réponse, Alain reprit :
-« Tu as vu Ambre ? Elle me rappelle tellement sa mère que j’ai
parfois du mal a les différencier. C’est le même regard à la
profondeur insondable, la même attitude sauvage, la même
révolte… Tu te souviens ?
-Comment pourrais je oublier ? Cela fait vingt ans qu’elle hante
mes nuits….
-Jamais je n’ai vu une autre femme depuis qu’elle est partie. Il
y aura vingt ans demain… »
Ces paroles ne trouvèrent pas d’écho, mais peu importaient en
fait. Ensemble, ils revenaient à plus de vingt ans en arrière…
Et se souvenaient…



-« Ou est elle ?? Laissez moi passer, je veux la voir !!!!
Laissez moi je vous dis !!!!!! »
Alain, le regard plein de haine, releva la tête pour voir quel
était l’intrus qui osait troubler la bulle de silence qu’il
avait instauré autour de lui depuis qu’ils avaient ramené le
corps d’Oscar de la ruelle où il l’avait laissé pour prendre la
Bastille. L’homme qu’il vit semblait éperdu de douleur. Ses
vêtements étaient déchirés, il était sale et poussiéreux, son
pourpoint était taché de sang. Sans doute était ce là les effets
de la colère populaire qui avait embrasé Paris, fureur qui
s’était retourné contre les gardes postés dans la capitale et
plus particulièrement les officiers. Etrangement, L’homme lui
rappelait quelqu’un. Mais oui, bien sûr ! C’était le noble
arrogant que son colonel avait empêché de tirer sur le Tiers !
Comment avait il su qu’elle était ici ? Et que venait il faire
ici ? Savourer sa victoire ? Alain se souvenait des prédictions
néfastes qu’il lui avait fait ce jour là. Il allait lui dire ce
qu’il pensait de cette attitude repoussante.
-« Laissez le passer. »
Alors les gardes françaises lâchèrent Mr de Girodelle. Avant que
personne ne puisse l’arrêter, il se jeta sur le corps d’Oscar et
se mit à sangloter sur sa poitrine. Alain allait l’écarter avec
rudesse, lorsqu’il le vit se relever de façon stupéfaite et
s’écrier :
-« Mais elle est vivante !
-Que dites vous, ce n’est pas possible ! »
Alain s’approcha à son tour de son colonel et il ne put que
remarquer que sa poitrine se soulevait à nouveau. Oh, le souffle
de vie n’était que très faible, mais elle vivait ! Pourtant, il
aurait pu jurer que ce n’était pas le cas quand il l’avait
ramené dans le campement, quelques minutes plus tôt. Il en avait
la certitude, puisqu’il l’avait porté dans ses bras, la serrant
contre lui. Sans plus se poser de question, le grenadier fit
appeler un médecin. En arrivant près de la blessée, le savant
homme ne perdit pas de temps à leur expliquer ce phénomène
étrange qu’il avait pourtant déjà remarqué une ou deux fois dans
sa carrière. Il l’ausculta et comprit que ses chances de survie
étaient plus que faibles et qu’elles se réduiraient à néant si
la balle qu’elle avait reçu n’était pas ôtée de sa poitrine au
plus tôt. Le praticien se prépara donc à l’intervention la plus
éprouvante de sa vie… D’autant plus que le regard inquiet de
toute une compagnie pesait sur ses épaules. Aucune erreur ne lui
serait pardonnée.
Ce ne fut que trois heures plus tard qu’il put rendre son
diagnostique. trois heures qui avaient semblé durer une
éternité. Plusieurs fois il avait failli la perdre, comme si
elle faisait tout pour échapper à l’existence, et il avait du se
battre de toute ses forces et de toute sa science pour la
maintenir en vie. Maintenant son état s’était stabilisé, mais
pour combien de temps ? Deux hommes, plus que tout autres,
attendaient des réponses.
-« J’ai pu retirer la balle de sa poitrine, et si aucune
infection ne se déclare je pense que la blessure cicatrisera
facilement.
-Alors elle est sauvée ? »
Un silence embarrassé suivit cette question d’Alain. Devant ce
mutisme de mauvais augure, Mr de Girodelle perdit son calme.
-« Que ce passe-t-il ? Que nous cachez vous ? Mais parlez
docteur !!!
-Je ne pense pas qu’elle vous ai tenu au courant… Mais Mlle de
Jarjayes a tous les symptômes de la Tuberculose. Je pense même
que la maladie est à un stade avancé, vu l’état de ses poumons.
Honnêtement, je ne crois pas qu’elle puisse survivre. Mais sait
on jamais. J’ai déjà assisté à un miracle aujourd’hui alors si
le bon Dieu tient tellement à sa vie, peut être la sauvera-t-il
encore une fois. Mais il lui faudrait un climat plus sec, plus
ensoleillé.
-Je vais l’emmener ! »
Dirent Victor Clément de Girodelle et Alain de la Vigne d’une
même voix. Puis ils se tournèrent l’un vers l’autre se défiant
du regard.
-« Ecoutez, j’ai une propriété près de Nice, ou elle pourra
bénéficier de tous les soins nécessaires. Pouvez vous en dire
autant ?
-Non. Mais moi au moins je pourrais lui offrir l’amitié dont
elle aura besoin. J’ai cru comprendre qu’elle ne vous appréciait
pas trop. De plus, je crains qu’il ne soit pas très sage de
voyager avec un noble ces temps ci. »
Des deux côtés les mots avaient été jetés avec hargne, et le
médecin crut un instant que les deux hommes allaient en venir
aux mains. Mais ils se contentèrent de se toiser en silence.
Puis soudainement, Girodelle éclata d’un rire amère :
-« Mais regardons nous… La femme que nous voulons à tout prix
protéger se débat entre la vie et la mort et nous nous ne
trouvons rien de mieux que de nous quereller pour savoir lequel
de nous deux est le plus digne de l’aider. Vous ne m’êtes pas
sympathique, Monsieur, mais pour la sauver je vais vous faire
une proposition qu’il vous faudra bien accepter. Partons tous
les trois à Nice, dans ma propriété, dès ce soir, et entraidons
nous pour lui redonner gout à la vie. Mes gens me sont fidèle et
même si j’ai le malheur d’être né noble, je pense que je
pourrais vivre tranquille encore quelques temps dans cet
endroit. »
Sans ajouter un mot, Victor Clément de Girodelle tendit la main
vers Alain. Durant une éternité, la pièce sembla s’être
statufiée, puis le soldat des Gardes Françaises prit la main
tendue et la serra.
-« Pour Oscar. Et jusqu’à ce qu’elle soit sauvée. »



Alain eut une violente quinte de toux qui ramena les deux hommes
à la réalité. Il essuya son visage couvert de sueur avec un
mouchoir qui se trouvait sur la table de chevet près de son lit,
puis regarda Girodelle avec dans les yeux une étincelle
rappelant vaguement la malice qui habitait continuellement les
iris marrons avant qu’Elle ne meure.
-« Te souviens tu du voyage ? Je crois bien que je me suis juré
au moins une dizaine de fois de t’occire une fois que l’on
serait arrivé.
-Je ne vois pas comment j’aurais pu oublier… C’est toi qui
conduisais l’attelage, car des patrouilles ceinturaient Paris,
interceptant les nobles qui essayaient de s’enfuir. Quand on
t’interrogeais, tu racontais que j’avais la Peste et qu’il ne
fallait pas m’approcher. Je n’aurais jamais pensé avant ce jour
que je devrais ma vie à un roturier. Un homme que je détestais
en plus. Et qui me le rendait bien. »
L’ancien grenadier leva les yeux aux plafonds et ses paupières
voilèrent son regard, retenant de justesse une larme qui
menaçait de tomber :
-« Tu sais bien qu’alors, si tu avais été seul dans le carrosse,
je t’aurais livré sans aucune pitié. Mais elle était là aussi.
Et elle était noble. Si tu savais combien je t’ai envié toutes
ces heures que tu as passé auprès d’elle, veillant sur son
sommeil. Et tout au long de ces trois jours, entre les haltes,
je priais le ciel pour qu’elle ne meure pas alors que je tentais
de la conduire vers la liberté et la vie… Et puis nous sommes
arrivés chez toi.
-Cinq jours ont encore passés avant qu’elle n’accepte d’ouvrir
les yeux. Cinq jours que nous avons passés à nous provoquer en
duel et à essayer de comprendre nos différences.
-Oui, je t’ai détesté l’ami, d’autant plus que je découvrais en
toi des qualités qui me faisaient t’apprécier… Et le temps a
finit de nous rapprocher. Tu te souviens de tous ces mois à
attendre son improbable guérison ? »
Girodelle ferma les yeux, et se noya un instant dans sa douleur.
-« Nous voulions la sauver… Mais nous n’avons pas voulu songer
qu’elle même ne voudrais pas se sauver sans André à ses côté. Et
lui aussi je l’ai détesté… Détesté d’avoir fait naître un amour
aussi profond en elle. Et haï de l’avoir laissé seule…Et
pourtant j’aurais donné ma vie pour qu’il soit là. Tu te
souviens ?
-Chaque seconde de ces neufs mois passés à ses côtés est gravé
dans ma mémoire. »
Un larme coula au même instant sur leurs joues, leur faisant une
fois de plus remonter les années



En effet, comme l’avait annoncé le médecin, la blessure d’Oscar
à la poitrine guérissait rapidement, et il ne resta bientôt plus
qu’une cicatrice rosée à l’endroit ou la balle l’avait
transpercé. Pourtant, au lieu de se remettre, chaque journée
passée rendait Oscar plus pâle et plus fatiguée. Et la nuit des
quintes effroyables la secouaient, l’empêchant de dormir… Alain
et Victor ne trouvaient alors eux non plus le sommeil, veillant
des heures entières dans le noir, souffrant pour elle chaque
fois qu’ils entendaient la toux revenir et déchirer ses poumons.
Au matin les draps étaient pleins de sang, témoins de ces nuits
abominables. Un médecin venait la voir tous les jours pour
essayer de lui redonner la santé, mais tous ses efforts se
révélaient vains. La jeune femme se pliait pourtant à tous les
exigences qu’on lui imposaient, elle ne faisait que peu
d’exercice, acceptait de sortir respirer le grand air marin,
avalait toutes les médecines qu’on lui présentaient. Alain et
Victor faisaient tout pour la détendre, lui redonner gout à la
vie, mais elle se contentait de les remercier pour tous les
efforts qu’ils faisait et de leur sourire tristement. Qu’ils
étaient loin ses éclats de colères, et ses éclats de rire ! Elle
ne pleurait même pas, ce qui inquiétait ses deux compagnons.
André avait été tout pour elle, pourquoi refusait elle d’en
parler à présent ? Quand ils l’interrogeaient sur son amour
perdu, la tristesse qui obscurcissait ses yeux d’océan se
transformait en désespoir profond, en douleur insondable, et
elle plongeait dans le mutisme le plus complet.
Girodelle avait essayé de lui parler un jour, mais sans
résultat. Elle lui avait simplement dit qu’elle lui avait
pardonné ses erreurs, qu’elle ne lui en voulait pas. Alors il
avait tenté de la faire réagir.
-« Mais Oscar, je vous en prie, parlez moi ! Je ne sais plus
quoi faire pour vous rendre le sourire ! Vous êtes vivante que
diable, vous êtes jeune, pourquoi refusez vous de vous battre ?
Je n’aurais jamais cru que vous soyez lâche… »
Oscar s’était alors dressée devant lui, semblable à celle qu’il
avait connue des années auparavant, tremblante de colère :
-« Et pourquoi devrais je me battre ? Pour qui ? Tout vous a
toujours été donné dans la vie Girodelle, alors je vous interdis
de me juger. Moi, depuis mon plus jeune age, j’ai du me battre
pour y arriver ! Me battre pour gagner l’amour de mon père, me
battre pour me faire respecter, me battre pour mes idées ! Je
suis fatiguée de me battre, tellement fatiguée. »
D’une voix douce, le jeune comte tenta de profiter de sa colère
pour lui redonner le gout à la vie
-« Alors battez vous encore une dernière fois Oscar, pour lui.
Pour son souvenir. »
Des gouttes salées perlèrent au coin de son regard, mais elle
refusa de laisser couler les larmes salvatrices. Ses poings se
serrèrent et Girodelle crut qu’elle allait le frapper. Il
l’espérait presque.
-Et pourquoi le ferait je ? Vous ne comprenez pas ?? Il n’est
plus là !!! »
Oscar hurla ces mots puis elle baissa la tête comme vaincue par
la douleur. Elle reprit néanmoins la parole quelques minutes
après, plus doucement. La voix de contralto, si tendrement
chérie par le jeune comte, se brisait parfois sous la douleur,
mais elle alla jusqu’au bout de son explication :
-Oh, Girodelle, vous ne comprenez pas… Pourquoi devrais je
continuer à vivre ? J’ai toujours vécu avec lui, et c’est dans
son regard que je puisais ma force. De tout temps, il m’a
toujours suivit et il était le seul à me comprendre et à
m’accepter telle que j’étais, sans jamais critiquer mes actions.
Mon existence s’est éclairée le jour où, à l’age de cinq ans,
j’ai croisé ses yeux verts. Des yeux qui ont toujours veillé sur
moi. Je n’ai plus le courage de recommencer ma vie… Car ma vie
c’était lui. Je ne l’ai su que trop tard, mais de tout temps il
était mon complément. C’est par ses remarques que mes idées se
clarifiaient, par ses mains que mon courage revenait, par ses
rires que mes peurs s’envolaient, par son regard que mon âme se
réchauffait. Privée de soleil une rose dépérit… Et il était mon
soleil. J’ai si froid Girodelle à présent, si froid… »
Sur ces paroles Oscar sombra dans l’inconscience et Victor eu
juste le temps de la rattraper avant qu’elle ne s’affaisse sur
le sol.
Le Docteur Brun, immédiatement prévenu, se rendit dans les
appartements de sa belle patiente. Quand il en ressortit, un
quart d’heure après avoir commencé sa visite, il rassura les
deux hommes d’un sourire.
-« Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave. Au contraire, je
crois que Mlle de Jarjayes a enfin une raison de s’accrocher à
la vie.
-Dites nous, Docteur, qu’a t’elle ?
-Elle est enceinte »



-« Oh, Alain, tu te souviens de la jalousie qui nous a enserré
le cœur à ce moment là ?
-Par le ciel, oui je m’en souviens. Mais en même temps j’étais
tellement heureux. Peut être qu’avoir un enfant d’André
permettrait à mon colonel de trouver la force en elle de
survivre.
-Mais nous nous trompions… »
Alain attrapa soudain la manche de Girodelle et la serra avec
force
-« Ne dis pas ça !! Tu as vu comme elle s’est battu contre sa
maladie à partir de ce jour là ! Elle voulait avoir cet enfant,
et je pense que c’est cette volonté qui lui a permis de survivre
si longtemps ! Tu te souviens comme elle souffrait à la fin ? Et
pourtant, jamais elle n’a baissé les bras. Et ce n’est pas de sa
faute si cette maudite maladie a été la plus forte.
-Tu as raison. Mais elle a tout de même gagné cette course
contre le temps. N’est ce pas ?


Depuis qu’Oscar avait appris la nouvelle de sa prochaine
maternité, une nouvelle flamme s’était allumée dans ses yeux et
une tempête s’était déchaînée dans son corps. Elle voulait vivre
à présent, car André lui avait fait le plus beau des cadeaux et
elle ne voulait pas que leur amour disparaisse avec elle. Alors,
en brave petit soldat qu’elle était elle avait recommencé à se
battre, contre sa maladie d’abord, puis contre le temps,
lorsqu’elle avait comprit qu’elle était condamnée.
En effet, les deux premiers mois suivant l’annonce de sa
grossesse elle avait reprit des couleurs, son appétit était
revenu et les quintes de toux s’étaient faites moins longues,
plus espacées. Alors elle avait cru que le destin avait cessé de
s’acharner sur elle et qu’elle pourrait enfin vivre, si ce n’est
le bonheur, puisque le bonheur s’était à jamais enfui avec la
mort de son amour, du moins une existence paisible. C’est avec
joie qu’elle avait vu son ventre commencer à s’arrondir et même
si la perspective de vivre un évènement auquel son éducation ne
l’avait nullement préparée l’effrayait un peu elle n’en montrait
rien, fidèle à ce qu’elle avait toujours été. Elle avait alors
commencé à se construire une nouvelle vie dans cette région de
France si paisible, où les échos de la révolution qui secouait
le pays étaient encore diffus, où rien ne lui rappelait sa vie
d’avant. Pour l’enfant qui grandissait en elle, Oscar avait
trouvé la force de s’intéresser à nouveau au monde qui
l’entourait et notamment aux deux hommes qui veillaient sur
elle, tels des anges gardiens. La jeune femme avait bien compris
qu’ils étaient amoureux d’elle, mais son cœur n’existait plus,
elle le savait, et jamais elle ne pourrait leur rendre leur
amour. Tout au plus pouvait elle leur offrir son amitié. Oscar
avait donc réapprit à sourire, et chacun de ses sourires les
ravissait. Ces deux mois avaient été paisibles, ayant presque
le gout du bonheur retrouvé.
Mais les Dieux étaient jaloux de cette déesse qui ne se lassait
pas de reconstruire le futur que sans cesse ils brisaient sous
ses pas. Alors la Tuberculose était revenue en force, plus
virulente encore qu’auparavant. Et Oscar avait alors comprit que
même la possibilité d’un avenir avec son enfant lui était
refusé. Elle n’avait rien voulu en dire à ses amis, ces hommes
qui lui sacrifiaient tout, mais point n’était besoin de le
faire. Ils l’avaient compris tout seuls, le jour où ils avaient
vu un mouchoir ensanglanté tomber de la manche d’une de ses
chemises. Voyant leur regards fixés sur le petit carré d’étoffe
qui venait de la trahir, Oscar avait eu un pauvre sourire.
Renonçant à leur mentir elle s’était assise, et, levant les yeux
vers eux, elle leur avait simplement demandé :
-« Aidez moi à tenir »
Et c’est ce qu’ils avaient faits. Tout le courage qu’ils avaient
en eux ils le lui avaient donné, lui souriant, lui promettant
des temps meilleurs auxquels personne pourtant ne croyait. Jour
après jour ils avaient vu s’effacer les douces couleurs qu’elle
avaient recommencé à prendre. Elle redevenait pâle et fatiguée,
la tristesse reprenait ses droit dans son regard outremer. Un
toux incessante et irritante lui dévorait le souffle, lui
déchirait la gorge, lui brûlait les poumons. Mais elle se
battait. Elle tenait.
Jusqu’à ce jour à la fois maudit et bénit où les premières
contractions se firent sentirent. Oscar était déjà au bord de
l’épuisement ce jour là, et elle lutta des heures, aidée par le
Docteur Brun, pour que vienne au monde cet enfant auquel elle
avait tout donné. Tous savaient qu’elle livrait ce jour là sa
dernière bataille. Mais l’idée même de la défaite ne pouvait
exister dans la tête d’Oscar, et c’est ainsi qu’après plus de
six heures de souffrance, le docteur sortit de sa chambre et
alla retrouver les deux hommes qui attendaient devant la porte,
le cœur au bord de l’arrêt.
-« Mlle de Jarjayes vient de mettre au monde deux enfants. Un
garçon et une fille.
-Elle est… Vivante ? »
Alain osa à peine prononcer cette phrase dont il craignait tant
la réponse
-« Oui. Vous devriez allez la voir. »
Ni Alain ni Victor ne relevèrent l’urgence qui perçaient dans la
voix du médecin. Tout doucement il ouvrirent la porte de la
chambre de l’accouchée et sans vouloir comprendre les cernes
autour des yeux d’Oscar et la fatigue de son regard ils ne
virent que son sourire. Sans un mot, elle les invita à
s’approcher. Les bébés reposaient dans ses bras.
-« Prenez les, je vous en prie. »
Ils s’exécutèrent et au moment où le poids de ses enfants lui
fut enlevé, une larme roula sur la joue d’Oscar. La voix de
contralto qu’ils aimaient tant s’éleva encore une fois.
-« Mes amis, je ne mérite pas tout ce que vous avez faits pour
moi, mais je vais néanmoins vous demander encore une faveur.
Jurez moi que vous vous occuperez d’eux, que vous les aimerez…
Et que vous leur direz qui était leur père. Je vous en prie,
dites leur combien c’était un homme bon et juste… Dites leur
combien je l’ai aimé… Et dites leur aussi qu’ils ont été ma
raison de vivre… »
Les larmes coulaient sur les joues des deux soldats. Ces
derniers mois, ils avaient appris à connaître Oscar autrement
que comme leur supérieur. Ils avaient vu en elle l’être plein de
courage et de douceur qu’André avait connu et aimé. Ils
l’aimaient encore plus qu’avant, si cela était possible. Et ils
savaient qu’elle leur disait adieu. Incapables de prononcer la
moindre paroles, car les sanglots étouffaient leur gorge, ils se
contentèrent d’acquiescer, accédant à la faveur qu’elle leur
demandait.
-« Merci pour tout ce que vous avez faits pour moi. Vous m’avez
permis de donner un but à ma vie. »
Une quinte de toux, la plus violente de toutes celles qu’elle
avait eu jusqu’alors la secoua et la laissa sans force. Elle
resta un long moment les yeux clos, tentant de reprendre son
souffle. Puis le regard bleu d’Oscar vint une dernière fois
réchauffer les cœurs de Victor et d’Alain avant que ceux ci ne
sombrent pour toujours dans le froid de la vie sans elle.
-« Adieu mes amis… Souvenez vous… De leur dire… Combien je les
ai aimé…
… André… Mon amour… »
Oscar inspira une dernière fois, puis elle ferma les yeux,
emportant avec elle tous les mystères que son regard océan avait
recélé durant sa vie entière, le secret de son âme qu’André seul
avait su comprendre et qu’il avait emmené en partant.



-« Tu te souviens comme sa mort nous a anéanti ? Bien sûr que tu
t’en souviens, tout comme moi… Mais il y avait les enfants. Je
voulais les garder, mais tu m’as encore une fois jeté ma
noblesse au visage, me disant que ça serait source de danger
pour eux. Je t’en ai voulu sur le moment, mais tu avais raison…
Mon Dieu, quand je repense à la terreur… On chassait les nobles
comme on avait chassé les sorcières quelques siècles auparavant…
»
Girodelle frissonna au souvenir de cette période sombre de
l’histoire :
-« Oui, je sais maintenant qu’il valait mieux que je sois leur
oncle que leur père. Tu as joué ce rôle à merveille alors que
moi je me battais au loin pour survivre. Mais j’ai toujours aimé
venir vous retrouver dès que je le pouvais. On a passé des
heures heureuses ici, dans la maison de tes ancêtres, loin du
monde et de sa folie… »
Alain se tourna vers Girodelle et lui sourit avec
reconnaissance.
-« Ces enfants sont le plus beau cadeau que m’ait fait la vie.
Que tu m’ais fais… Et qu’Elle m’ait fait. Mais j’aurais voulu
qu’elle vive encore un peu, avec nous, pour qu’elle les
connaisse. Oh, Victor, ils sont leur vivante réincarnation, tu
sais. Oscar et André… Ambre et Oscar…Inséparés et Inséparables,
deux caractères de feu dans des corps qui les font ressembler à
des anges. Les élever a été la plus grande de mes joies ainsi
que la plus vive de mes souffrances. Ils me la rappelaient trop
du comprends ? Chaque jour je la voyait au travers d’eux. »
Alain se tut et une quinte de toux le secoua, le laissant sans
force. Girodelle lui versa un verre d’eau qu’il lui fit absorber
puis il posa négligemment sa main sur le bras de son ami, comme
pour le soutenir, et repris la conversation.
-« Ambre pratique-t-elle toujours l’escrime ? Je me souviens
encore des premières feintes que je lui ai apprise alors qu’elle
n’avait pas encore sept ans.
-Plus que jamais, et au grand dame de ses prétendants ! »
Claironna une voix au timbre familier. Victor se retourna pour
voir le jeune homme aux cheveux blonds sombres qui venait
d’entrer dans la pièce. Celui ci souriait et seule une lueur
dans ses yeux verts révélait l’inquiétude que lui procurait
l’état de son père d’adoption. Le soldat eu juste le temps de se
lever avant que des bras puissants ne se referment autour de
lui.
-« Tonton, ça fait du bien de te revoir. »
Oscar ne put empêcher sa voix de se fêler sur la fin de la
phrase. Ces derniers mois il s’était montré fort, alors que la
santé de son père déclinait inexorablement, pour protéger sa
sœur. Mais maintenant il était heureux de la présence de cet
homme qu’il aimait presque autant que son père, cet homme qui
venait les voir souvent depuis aussi longtemps qu’il se
souvienne et qui leur apprenait des choses merveilleuses. Cette
homme qui avait connu ses parents alors qu’ils n’étaient encore
que des adolescents et qui leur racontaient des choses tellement
fabuleuses à leur sujet, la force de leur amitié, la pureté de
leur amour, les aventures qu’ils avaient vécu ensemble, que
pendant longtemps ils avaient hésité à le croire. Cet homme qui
lui avait fait comprendre que sa mère ne les avait pas
abandonné, comme il le croyait, mais qu’au contraire elle avait
lutté de toutes ses forces pour vivre assez longtemps pour leur
donner les jour. Cet homme sur qui il pourrait enfin se reposer
et avec qui il pourrait partager sa peine.
Les deux hommes étaient en train de se séparer lorsqu’une quinte
de toux plus déchirante que les autres les firent se retourner.
Alain, les yeux fermés, les narines pincées, plus blanc que
jamais, peinait à respirer.
-« Oscar, appelle ta sœur, vite ! »
Sans vérifier que le jeune homme exécutait bien son ordre,
Girodelle se précipita vers son ami et le prit contre lui.
-« Tiens bon Alain, je t’en prie !
-Papa ! »
Ambre venait d’entrer dans la pièce en courant. Sans qu’elle le
sache, à cet instant là, son visage exprimait la même terreur
qu’avait eu celui de sa mère dans des circonstances semblables,
plus de vingt ans auparavant. Elle s’agenouilla auprès du lit de
son père et agrippa son bras. Oscar se tenait juste derrière
elle. Entendant la voix chérie de sa fille, Alain se força à
ouvrir les yeux et à les fixer sur sa famille. Il tendit sa main
de libre vers son fils qui l’attrapa avec ferveur, puis il se
mit à parler, appuyé sur la poitrine de celui qui au fil du
temps était devenu son ami le plus cher. Ses mots étaient
hachés, et chaque phrase semblait être une souffrance pour lui.
-« Je sens qu’il est l’heure pour moi de partir mes chers
enfants. Je vous ai aimé plus que tout, plus que si vous aviez
été de ma chair. Vous m’avez apporté un bonheur que je n’aurais
pas cru possible après la mort de votre mère, cette femme que
j’ai aimé sans aucun espoir de retour. Elle aurait été fière de
vous, tout comme vous pouvez être fiers d’elle et d’André. Mais
même si vous portez le nom de Grandier, j’espère que vous
n’oublierez pas trop vite celui pour qui vous comptiez plus que
tout au monde.
-Papa… On t’aime plus que tout, maintenant et pour toujours.. »
Ambre et Oscar ne pouvaient à présent retenir les larmes qu’ils
avaient refoulés jusqu’alors. Ils embrassèrent ces mains
calleuses qui avaient toujours veillées à leur bonheur, les
relevant quand ils tombaient, les consolant quand ils
pleuraient, les rassurant quand ils avaient peur. Alain les
regarda avec une tendresse infinie, puis il tourna sa tête vers
Girodelle.
-« Victor, mon vieil ami, je te les confie à présent. Je sais
que toi aussi tu les as toujours aimé comme les tiens. Continue
à veiller sur eux comme tu l’as toujours fais. Pour moi et pour
Elle. Raconte leur encore qui elle étaient, qu’ils n’oublient
jamais… Dis leur son courage… qu’ils l’aiment… Comme on l’a
aimé… Oscar… »
Alors les yeux marron qui naguère pétillaient de malice se
fermèrent pour la dernière fois et le corps de celui qui avait
été grenadier des gardes françaises s’affaissa doucement contre
Girodelle. Les larmes ruisselaient sur le visage de l’ancien
comte, démontrant une dernière fois s’il en était besoin que
toute la froideur qu’on lui avait prêté au cours de sa vie
n’était qu’un masque destiné a protéger une âme capable des
sentiments les plus forts et les plus destructeurs. Le noble
pleurait le roturier comme s’il s’était s’agit de son frère et
la douleur était sans doute encore plus profonde. Il perdait la
seule personne qui le comprenait, avec qui il pouvait partager
des souvenirs communs, quelqu’un qui l’avait connue. Il était à
présent vraiment seul avec ses souvenirs, son cœur à jamais
brisé et son âme emplie d’elle.
Il embrassa doucement les cheveux d’Alain et lui murmura
doucement
-« Vas mon ami. Et si tu retrouves Oscar, dis lui combien ici on
l’aimait. »
Mais à présent, deux âmes comptaient sur son soutien. Alors,
malgré sa douleur, Victor refoula l’envie qu’il avait de rester
toujours ainsi, le corps de son ami contre lui, et d’attendre à
son tour la mort. Il se leva et ouvrit les bras. Sans un mot
Oscar et Ambre vinrent chercher réconfort contre cette poitrine
offerte et passèrent leurs bras autour de lui. Il les serra
contre son cœur de toutes ses forces les embrassant, mêlant ses
larmes aux leurs. Ils étaient à présent sa seule famille. Ses
enfants… Et ceux de la seule femme qu’il ai jamais aimé…
… Oscar François de Jarjayes….
Review Te souviens tu d'elle ?


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