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A mon père, un homme d'exception




« Non ! »

Le cri avait raisonné dans les couloirs de la vieille demeure de pierre, se répercutant de pièces lambrissées en pièces lambrissées. Puis une porte claqua violemment au premier étage, on pu entendre le bruit d’une course effrénée venant du bureau des Jarjayes et un enfant déboucha en haut des degrés de marbre. Sans s’arrêter, les yeux brouillés par des larmes qui ne déborderaient pas, Oscar dévala les marches pour disparaître ensuite par la porte d’entrée. A travers la vitre on pu l’apercevoir sauter par dessus le perron avant de courir vers les écuries

« Oscar ! »

Le Général, terrible, se tenait à présent à l’endroit même où s’était trouvée sa fille quelques secondes auparavant. Le regard d’acier survola les serviteurs terrifiés par cette nouvelle colère du maître, puis s’arrêta subitement sur un petit garçon d’environs 8 ans. Celui ci, contrairement aux autres, le toisait sans peur et même avec un soupçon de désapprobation. Mais François Renier de Jarjayes ne s’en formalisa pas de la part de cet enfant dont il avait fait le compagnon de son fils.
D’une voix qui aurait fait trembler bien des adultes, il lui demanda :

« Ou est partie Oscar ?
- Dans l’écurie »

Etait ce de la délation ? Jamais encore André n’avait dénoncé son amie dans de tels moments, préférant affronter les colères du général plutôt que de lui indiquer où elle se trouvait. Mais le petit garçon n’avait pas fini

« Mais c’est elle qui a raison, Général. Essayez un peu de la comprendre »

Ce conseil avait été donné calmement, avec un courage hors pair. Quand on savait que le général n’acceptait même pas de conseils de la part des ses colonels on pouvait craindre le pire pour cet enfant de roturier qui osait ainsi défier le terrible homme. Pourtant, quelque chose vacilla dans les prunelles d’acier, celles ci s’adoucissant sous la bravoure que déployait André pour aider son amie.
Si son enfant était capable de provoquer un tel dévouement, c’était donc qu’il ne s’était pas trompé dans la voie qu’il lui avait fait suivre … Cet enfant de sa chair qui lui était pourtant étranger. Sous le sérieux du regard d’émeraude, le Général se radoucit

« J’aimerai, André, mais je n’ai pas ton talent »

Il n’avait fallu que quelques secondes pour que le maître de maison se clama, et déjà le château cessait de retenir son souffle. Les servantes recommencèrent à vaquer à leurs affaires, les laquais aux livrées aux couleurs de la maison reprirent leurs tâches silencieuses, la tête de Grand Mère disparu à nouveau en cuisine et Mme de Jarjayes entra à nouveau dans son boudoir.
Le Général descendit légèrement les marches blanches et, sans même le regarder, ébouriffa la chevelure sombre du petit garçon quand il passa à sa portée. Puis, sans rien dire il sortit à son tour et se dirigea vers la bâtisse de bois où se trouvaient les montures des Jarjayes.


Lorsque l’homme d’arme entra dans l’écurie, il fut accueilli par quelques piaffements et l’odeur des animaux mêlée à celle de la paille fraîche le prit à la gorge. Une échelle menant à l’étage, là où on entreposait le fourrage, était appuyée contre la trappe du plafond, ouverte.
François avait été un petit garçon, voilà bien des années de cela, dans cette même maison. Sans hésiter, il attrapa le premier barreau patiné par les ans et commença à grimper à l’échelle. L’image de cet homme en habits de cour montant comme un enfant dans un grenier plein de foin en aurait fait rire plus d’un… Mais ce qu’il fallait voir, ce n’était pas ce courtisan un peu ridicule avec ses chaussures à boucles bien lustrées, avec sa veste de velours pourpre, avec sa perruque brune, mais bien un père qui rejoignait son enfant.

Bientôt, sa tête passa par dessus la trappe et il se retrouva dans un monde qu’il avait oublié depuis des années. C’était le même endroit empli de foin, à la chaleur sèche, un peu étouffante, à la lumière douce qui filtrait par une lucarne ronde sur le plancher de bois brut. Même les grains de poussières, que l’on pouvait voir en suspension dans l’air grâce à la lumière chaleureuse du soleil qui tombait de la vitre, semblaient être semblables.

Les souvenirs sautèrent au visage de cet homme que la vie avait poussé à devenir un adulte trop tôt. Il se souvenait des courses poursuites avec son frère aîné, de leur connivence contre leur père, leur façon de se protéger l’un l’autre. Lui revenaient aussi en mémoire les après midi entières qu’ils avaient passé ici à s’inventer un futur glorieux, alors que leur précepteur Mr de Ramier les cherchait partout.
Souvent, Oscar et André lui faisaient penser à son frère Oscar ainsi qu’à lui même. François espérait simplement que le destin ne serait pas aussi dur pour eux que pour lui. En effet, ses parents étaient morts tous deux de l’Influenza alors qu’il n’avait que 14 ans. Oscar avait lui aussi contracté la maladie et n’y avait pas survécu. François s’était retrouvé seul, aîné d’une famille de 8 enfants, chef de famille avant même d’être un homme. Toute son enfance avait disparu en quelques semaines, et son honneur l’avait poussé à prendre les rênes de la maison des Jarjayes. Une femme l’avait toutefois aidé, lui apportant conseil, soutien, ainsi que son épaule consolatrice quand d’aventure le fardeau se faisait trop lourd. Cette femme, que tous connaissaient à présent sous le sobriquet de Grand mère, avait en fait pour nom Prudence Grandier…
A partir de 14 ans, François avait changé, consacrant sa vie à bien élever ses frères et sœurs, à leur construire un avenir souriant, avant de songer enfin à lui même. Ce n’est que tard dans sa vie, vers 30 ans, qu’il avait rencontré Louise Marguerite de Laborde. Il lui avait fait la cours l’avait épousé, sans véritable amour mais du moins avec de la tendresse dans le cœur. Louise qui lui avait donné 5 filles et un trésor. Son enfant, son Oscar. Oh, bien entendu, il était bien vieux quand elle était née, près de 40 ans, certains à la Cour se gaussaient d’ailleurs de cet enfant tardif. Mais le général n’en avait cure… Seule lui importait Oscar.

Jamais François n’était retourné dans ce grenier depuis la mort d’Oscar, et c’était poussé par le désir de retrouver un autre Oscar qu’il passait à nouveau la tête dans ce monde de paille, de silence troublé par le trottinement des souris. L’ironie du sort fit sourire le Général, bien qu’une boule à laquelle il ne donnait pas de nom lui serra la gorge.
C’était le même endroit, la même atmosphère. L’espace d’un instant, il espéra entendre la voix de son frère, le voir apparaître les cheveux en bataille de derrière une botte de foin. Mais les années avait passé, lui donnant des cheveux gris, des rides au coin des yeux, de la sévérité dans le cœur. Il n’était plus un enfant, mais un vieil homme incapable de comprendre les certitudes, les refus de compromis de l’enfance.

« Oh, Oscar, tu dois bien rire de moi.. Je ressemble à père, à présent »

Murmura-t-il, contrit. Oui, il réagissait de la même manière que celui à qui il s’était juré de ne jamais ressembler. Il était père à son tour, comprenait mieux le sien, mais répétait ses erreurs. C’était le plus dur des métier que François avait jamais eu à effectuer, le plus gratifiant aussi. Etre père. Mais face à Oscar, ne laissait il pas trop le Général prendre la place du père ? Elle n’était encore qu’une enfant de 7 ans, son enfant.

Après cette constatation dont l’amertume donnait un arrière goût désagréable à ses paroles, le général retourna de plein pied dans le présent. Il se hissa complètement dans le grenier, géant dans ce lieu qu’il n’avait connu qu’enfant, puis avança sur la parquet qui grinçait sous son poids d’adulte. Son regard gris fouilla les lieux de demi pénombre jusqu’à ce qu’il aperçoive la silhouette de celle qu’il cherchait.
Oscar avait observé son père, silencieuse, depuis le moment où il avait passé jusqu’aux épaules la trappe de bois. Elle s’attendait à des remontrances, à une correction peut être, aussi n’était elle pas pressé qu’il la retrouve.
Quand le regard d’acier se posa sur elle, elle su qu’elle était découverte, mais elle resta immobile. Qu’il vienne donc la chercher, la semoncer. Elle ne changerait pas d’avis. C’était ce qui pouvait se lire dans ses prunelles d’océan, dans son petit corps replié sur lui même, dans sa façon frondeuse de toiser son père qui s’avançait à présent vers elle

Bien entendu, ces détails n’échappèrent pas au général, mais au lieu d’en éprouver du courroux, comme il lui serrait arrivé quelques minutes auparavant, cela le fit sourire… Un sourire un peu triste, un peu douloureux, qu’Oscar n’avait jamais vu sur le visage de son père.
Avec une lassitude certaine, l’homme d’arme s’accroupit auprès de son héritier, détaillant avec une tendresse nouvelle la fine figure enfantine… Elle lui ressemblait tant avec ses yeux outremer, son air volontaire, ses cheveux d’or, son visage d’ange.. Comme si un peu de son frère s’était réincarné en elle.
C’est d’ailleurs cette ressemblance qui l’avait frappé dès sa naissance et l’avait poussé à ce geste que tous trouvaient fou. Personne ne l’avait compris, et lui même, parfois, s’interrogeait sur le bien fondé de sa décision. Aurait elle vraiment été heureuse, emprisonnée dans le carcan étroit des règles de bienséance imposées aux femmes ? A la voir ainsi, si fière, si entière, si tranchante dans ses décisions, il en doutait.
Soupirant, le Général posa ses mains sur ses genoux pliés et son regard croisa celui d’Oscar

« Dites moi, Oscar, est ce vraiment important si vous ne suivez pas le cours de Mr de Priam, cet après midi ? »

L’enfant, qui s’attendait à se faire gronder, fut plus que surprise par cette question. Mais ce qui l’étonna encore d’avantage ce fut l’expression des yeux de son père, cette profondeur nouvelle que la froideur disparue laissait transparaître.

« Non père »

Répondit elle, prudente, sans lui avouer qu’André et elle avaient de toute façon décidé depuis trois jours qu’ils fausseraient compagnie à Mr de Priam cet après midi là pour aller chevaucher.

« Bien mon enfant »

Répondit le général en caressant les boucles de blé avant de poser une main sur le sol pour passer de la position accroupie à la position assise. Il savoura quelques secondes le simple fait d’être assis à cet endroit, encore empli des parfums et des rires de sa jeunesse, et ce en compagnie de la seule personne qui lui soit aussi chère que son frère à présent disparu. Puis François baissa la tête vers Oscar, rencontrant son regard interrogateur

« Si tu acceptes de m’accorder quelques heures, je crois qu’il est temps que nous parlions enfin »

Oscar reconnaissait son père, sa voix un peu sèche, un peu sévère, son regard qui n’acceptait pas les échecs. Pourtant quelque chose au fond de son cœur lui disait qu’il venait de se passer quelque chose dont elle n’avait pas vraiment idée.
C’était toujours son père, mais en même temps elle se trouvait devant un nouvel homme … Un peu comme si une fenêtre trop longtemps condamnée venait d’être à nouveau ouverte après des années d’oubli.

La petite fille, au lieu de répondre, fit quelque chose qu’elle s’était toujours interdit. Sans même le regarder, elle glissa sa petite main blanche dans celle de son père.

A SUIVRE…
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