UN CŒUR DECHIRE
Au petit matin, elle se leva non sans peine, les paupières lourdes, les membres engourdis. Mortifiée, elle contempla un instant le plastron de sa chemise, songeant qu’elle n’avait pas rêvé.
Comment avait-il pu la traiter ainsi sans ménagement, avec une sauvagerie qu’elle n’avait jamais soupçonnée en lui? Troublée, elle pouvait encore sentir la trace du baiser qu’il lui avait volé dans sa fougue. Le souvenir des évènements de la veille la hantait, toutes les émotions et sensations qu’elle avait éprouvées se bousculaient dans sa tête. Elle se remémora le souffle imprégné d’alcool, la pression de son torse contre le sien, ses mains qui l’avaient emprisonnée…Comment ne pouvait-elle pas se sentir trahie, bafouée après toutes ces années d’une amitié sans ombre ?
Qu’importait le fait qu’il se soit refugié dans l’alcool pour apaiser un amour qu’il savait sans retour ? Au lieu de cela, cette ivresse l’avait conduit jusqu’à la démesure. Dès l’instant où il avait pénétré dans sa chambre, sa passion irrépressible avait eu raison de lui. Tout avait basculé si vite... A la vision du corps qu’il avait brutalement dénudé, la violence de son désir avait pris le pas sur les sentiments qu’il lui portait. Les mots qu’il lui avait assénés résonnaient encore dans sa tête.
«Oscar, je ne vois plus que toi…Laisse-moi te regarder, laisse-moi te caresser. Je t’aimerai malgré toi… »
Trop bouleversée pour réagir, elle s’était effectivement rendue à sa merci. Paralysée et sans voix, il lui avait été impossible d’échapper à son emprise. Dans le flot tumultueux qui l’avait entraînée trop loin, elle avait résisté sans toutefois épuiser ses ressources : était-ce là un signe de son destin véritable? Celui d’une rose dépouillée de son innocence ? Bousculée, renversée, maîtrisée…
Il l’avait possédée sans attendre, après un corps à corps à l’issue duquel il avait triomphé, savourant sa revanche sur celle qui l’avait autrefois humilié en duel…
Victor-Clément de Girodelle avait gagné une bataille. Son mariage venait d’être enfin consommé, en dépit des réticences de sa jeune épouse, qui s’était dérobée à lui durant des mois. Cependant, Oscar savait au fond d’elle que c’était la volonté de son père qui, finalement, s’était avérée la plus forte. Une volonté qui l’avait menée jusqu’au devoir conjugal, conclu de gré ou de force. Ainsi elle se pardonnait à demi la tournure qu’avait prise son existence depuis qu’elle s’était résolue à accepter le Comte pour époux.
Désormais, elle s’efforcerait d’oublier celui qui avait été comme un frère pour elle, le seul homme qui ait fait battre son cœur depuis toujours, mais qu’on lui avait interdit d’aimer. Désormais, elle ne pourrait plus prononcer le nom d’André et le rêve serait son ultime refuge, jusqu’à la déraison. |