Chapitre 20 : Le pacte
La scène du crime était en place. Il ne restait aux acolytes qu’à laisser passer le temps. Les gens, paysans et nantis ne devaient pas pouvoir faire le lien entre le retour prodigue du comte et le début du Châtiment divin. Sardis mit ces mois à profit pour s’attirer les bonnes grâces de Madame la comtesse et de sa cour de flatteurs. Ceux-ci, nobles et intellectuels de provinces n’aspiraient qu’à servir une cause, tromper leur ennui de la campagne dans la religion. Ils avaient une ferveur, un fanatisme que Sardis n’espérait pas trouver ailleurs qu’à Rome. Ces gens avaient besoin de croire et de faire partie du dessein divin. Le vieux filou en soutane, par des serments insidieux et des discours fallacieux eut tôt fait de les rallier à sa cause imaginaire. Ils créèrent une société secrète, qu’ils lièrent par un pacte, le Pacte des Loups. Sardis avait réussit à leur faire croire que s’il demandait le châtiment divin, ils l’obtiendraient par un Deus ex machina. Et ils croyaient en lui et en sa prophétie. Jean François écoutait ses serments en étouffant des bâillements son double passait le plus clair de son temps avec la femme de son cœur. Il avait signé le pacte comme sa mère l’avait fait. Mais il avait fait promettre à Sardis de ne pas en parler à Marianne et d’éviter d’aborder le sujet avec son père. Le vieux comte n’était pas dupe de ces fadaises et à peine sa femme avait –elle tenté de lui en parlé qu’il avait tout bonnement interdit de parler de tout cela devant lui. Il avait donc été laissé à l’écart de toutes les machinations des Loups du Gévaudan. Toutes les pièces de l’échiquier divin étaient maintenant en place. Il ne restait plus à Sardis qu’à commencer la partie.
Les meurtres débutèrent en juin 1764. Cela faisait un an que Jean François avait réapparu dans le paysage du Gévaudan. Il était respecté par la population à défaut d’en être aimé. Tous les paysans et les nantis qui l’entouraient mettaient son changement de personnalité sur le dos de son handicap. Ils le plaignaient plus qu’ils ne le jugeaient. Ils acceptaient ses frasques et ses habitudes qui désarçonnaient les premières fois. En effet, Jean François avait prit ses habitudes au lupanar de la Teissier, où il entrait et sortait, silencieux et mystérieux tel un fantôme. Jamais il n’avait de contacte physique avec quiconque seule Marianne avait ce privilège, il détestait toucher ou être touché, il était voyeur et en aucun cas acteur. Les prostituées avaient eu beaucoup de difficultés à accepter cette ombre omni-présente et sa présence étrange et silencieuse. Il avait remis la chasse et les grandes battues au goût du jour. Son père, Marianne et lui aimait s’y retrouver. C’était une activité familiale, inattendue mais qu’ils aimaient et où ils se retrouvaient, cela permettait de surcroît à Jean François de repérer les futures victimes de La Bête. Celles-ci étaient choisies avec soin, tout cas au départ. Le trio les rencontrait tandis qu’elles gardaient les bêtes dans les champs, Jean François leur subtilisait un linge, mouchoir, gant, fichu qui permettaient au fauve de ne pas se tromper de cible. Le comte les avait choisit car toute ressemblaient à celle qu’il désirait tuer le plus au monde pour tuer toute faiblesse en lui : Marianne. Blonde, le regard azuré, jeune et jolie chacune d’entre elles étaient une représentation bucolique de la jeune femme. De cette manière, le comte servait Dieu enfin, Sardis et ses propres pulsions de Liberté. Ce compromis lui convenait tout à fait d’autant plus que maintenant qu’il maîtrisait son don d’ubiquité le gentil Jean François pouvait rester docile auprès de sa belle tandis que le comte de Morangias donnait à La Bête sa pâture. Celle-ci masquée par la monstrueuse armure recouverte de peaux d’animaux diverses dont elle était paré pour les attaques étaient décrites dés 1765 par Monseigneur de Choiseul-Beaupré, évêque de Mende, comme
" Une bête féroce, inconnue dans nos climats, y paraît tout à coup comme par miracle, sans qu'on sache d'où elle peut venir. Pourtant où elle se montre, elle laisse des traces sanglantes de sa cruauté : la frayeur et la consternation se répandent, les campagnes deviennent désertes ; les hommes les plus intrépides sont saisis, à la vue de cet horrible animal, destructeur de leur espèce, et n'osent plus sortir sans être armés ; il est d'autant plus difficile de s'en défendre qu'il joint à la force la ruse et la surprise. Il fond sur sa proie avec une vitesse incroyable, dans un espace très court ; vous le savez, il se transporte dans des lieux différents et forts éloignés les uns des autres ; il attaque de préférence l'âge le plus tendre et le sexe le plus faible, même les vieillards en qui il trouve le moins de résistance."
La population n’avait aucune chance face à l’animal. Bien sûr, les enfants avaient des baïonnettes pour tenter de se protéger, et les hommes tentaient de la poursuivre et de l’anéantir, mais pendant trois ans, la Bête assassina dans des trésors de cruautés plus de cent paysans.
Les victimes, Jean François les avaient diversifiées, des femmes, des adolescentes, des filles étaient dans sa prédilection mais il visait aussi les garçons, images de sa souffrance à lui, du garçonnet qu’il est toujours devant Marianne.
Les autorités se virent contraintes d’intervenir devant ce carnage. Le comte de Morangias père organisa des battues pour débusquer le monstre. Mais celles-ci restèrent vaines et pour causes. Il fut donc décidé d’en référer à Versailles d’où des hommes armés furent envoyés pour régler le problème rapidement. Les soldats du roi commandés par Duhamel ne furent confronté qu’une fois à La Bête qui leur échappa. Ils rentrèrent bredouilles et d’autres équipes plus importantes furent missionnées. Mais elles aussi se trouvèrent mise en échec. Ils avaient commis l’erreur d’engagés des gens de la région pour guider les hordes de traqueurs. Or parmi les bons paysans volontaires à la battues se cachaient Antoine et Pierre Chastel, les fils du soigneur et rallié aux sbires de Sardis. Le vieux lui aussi c’était acquis une réputation dans le Gévaudan en tant que cabaretier. Pierre et La Bavarde, sa fille muette, travaillaient avec lui au service. C’était dans ces lieux que les messages passaient de mains en mains. Cette couverture parfaite permettait de distiller les informations et d’en recueillir d’autres. Jean François s’amusait follement de toute cette énergie et de tous ces moyens mis en œuvres pour anéantir le monstre du Gévaudan devenu légendaire.. Marianne s’effrayait et s’affolait tout en continuant sa vie de noble provinciale à l’abris des remparts de son château. Madame La comtesse passait de plus en plus de temps avec son confesseur et amis Sardis. Ensembles, ils avaient engagé un écrivain, sans talent mais plein d’ambition membre du pacte et surtout très crédule et très amoureux de Mademoiselle De Morangias, Maxime Desforêts. Tous trois, en secret, travaillaient à l’élaboration d’un pamphlet assassin mettant en cause le roi dans les interventions divines de La Bête. Le livret parvins à Paris heurtant le roi dans son orgueil.
Pendant ce temps au repaire de La Bête, Jean François et Jean Chastel prenaient soin du monstre.
« - Sardis, il faut préparer les bonnes gens à être les instruments de la colère de Dieu. Ils se défendent de façon désordonnée et agressive et La Bête pourrait être blessée… » Jean François caressait son lion, débarrassé de sa carapace, il se roulait amicalement aux pieds de son maître. Le vieux soigneur, Jean Chastel posait un regard bienveillant sur l’animal en essuyant la graisse dont il se servait pour la souplesse de l’armure. La Bavarde se tenait à l’écart, minaudant devant le jeune homme. Elle le regardait avec de grands yeux, ondulant de façon suggestive. Le vieux prêtre, mal à l’aise se tenait loin du groupe. Il craignait le fauve plus que Dieu. Il se tordait les mains, inquiet de la façon dont Jean François le regardait avec son sourire agressif.
« - Voyons Monsieur le comte, vous ne pouvez pas demander aux victimes de lui offrir leur gorge en chantant des hymnes ! Ils défendent leur vie quoi de plus naturel !
« - C’est pourtant ce que vous me faisiez miroiter. Il ne doit rien arriver à cet animal ! Est-ce clair ? » Jean François s’était levé d’un bond, pointant sa main gantée vers le visage buriné de l’homme d’église qui pâlit.
« - Je… Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir Jean François je vous le promets ! »Le curé sortit précipitamment, accompagné par les rugissements du lion. Jean François se tourna ensuite vers la fille dont il croisa le regard. S’approchant d’elle il fit un geste de retenu vers Jean qui allait intervenir. Jean François posa sa main gantée sur le visage et la gorge de la jeune femme, appuyé sur son épaule. Elle gémit doucement au contact du cuir froid sur sa peau ambrée. Le vieux Jean fit un pas vers eux pressentant l’embrouille. Soudain, sans prévenir, Jean François se saisit de la bouche de la jeune femme avec une violence et une poigne incroyable.
« - Ne me provoque pas ! Ne me provoque Jamais si tu ne veux pas que je t’arrache cette langue qui ne te sert à rien puisque tu ne parles pas !
« - Monsieur le comte, je vous en prie, lâchez-la ! Elle n’agit pas par provocation mais par instinct, elle ne sait pas comment vous faire comprendre que vous lui plaisez ! S’il vous plait Monsieur le comte ! » Jean François avait tourné la tête vers le soigneur, attentif aux excuses qu’il lui présentait.
« - Sache que si elle n’était pas ta fille, elle serait déjà dans l’auge de Ma Bête ! »Puis se tournant vers elle il planta son regard bleu dans les yeux effrayés de la jeune femme. « Ne refait plus jamais ça ! Ces obscénités me mettent terriblement en colère. Je n’aime qu’une femme et une seule et n’accepte cela que de sa part. De la tienne je trouve ça vulgaire ! » Il la lâcha en la jetant par terre. « Hors de ma vue ! » Elle rampa jusqu’à sortir de la pièce puis, se mettant sur ses pieds elle se mit à courir jusque chez elle. Jean François la regarda s’enfuir, une moue de dégoût aux lèvres. Il essuya son gant sur son manteau avant de reprendre ses jeux avec le fauve.
« - Monsieur le comte, je crois que je devrais la rattraper !
- J’ai plus besoin de toi qu’elle. » lui répondit-il sans même lui jeter un
Regard. Le vieux quant à lui ne cessait de regarder la porte et le comte tour à tour.
« - Je le sais bien, mais monsieur l’a mise en colère et elle est capable de s’enfuir bien plus loin que chez nous ! »Jean François leva la tête.
« - Tu penses qu’elle pourrait être un danger pour nous ?
- Quant le cœur et l’amour d’une femme est bafoué, Dieu seul sait de quoi
elle est capable. »Murmura le vieux. « Et si elle ressemble au moins un peu à sa mère, sa vengeance peut être terrible. » dit-il en hochant la tête d’un air mystérieux.
« - Très bien… » soupira Jean François en se levant. « Il faut donc la
retrouver. » Il allait porter le sifflet d’os à ses lèvres quand le vieil homme se jeta sur son bras.
-« Non Monsieur le comte, je vous en supplie, pas comme ça ! Pitié ! C’est ma fille, laissez moi tenter de la raisonner. » Jean François caressa doucement les cheveux de neige de Jean.
« - D’accord, mais tu n’iras pas seul, tu es trop âgé pour courir après les jeunes femmes ! La Fêlure, Blondin, appelez vos hommes.
« - Ils servent d’appât à la bête pour Duhamel, déguisés en femme ! » Jean François eut un rire moqueur : ces soldats étaient vraiment trop stupides !
« - Eh! Bien retrouvez les et partez à la recherche de La bavarde. Je la veux dans cette pièce morte ou vive, mais ici ! » Les yeux de Jean François lançaient des éclairs et aucun n’eut la curiosité de la questionner plus avant sur ses intentions. Armés de bâtons et de gourdins, ils partirent. Accompagné de Jean Chastel, préoccupé par le sort qu’ils réservaient à sa fille, ils suivirent la trace de La Bavarde jusqu’au cabaret, puis il la poursuivirent à travers la campagne tandis qu’elle cherchait à fuir la région, hors d’elle et de ce refus humiliant qu’elle ne comprenait pas. Ses larmes muettes se mêlaient à la pluie qui tombait comme si le déluge était seul capable de noyer sa peine et son dégoût d’elle-même. Elle courait, aveuglée par le mur de pluie, insensible au froid qui lui mordait cruellement les pieds. Imperceptiblement, elle ralentissait. Son père passant seul par un raccourcit la rattrapa et l’entraîna à courir à sa suite pour échapper aux poursuivants qui ayant pris une autre route étaient à quelque distance du couple. Ils ne virent pas les cavaliers et ne cherchaient pas à les rejoindre, ils voulaient juste distancer leurs poursuivants et retourner au cabaret en paix. Mais les hommes plus jeunes et mieux entraînés finirent par les rattraper. Les coups de bâtons plurent sur leur tête aussi sûrement que l’eau du ciel. Elle allait mourir battu à mort par ceux qui étaient ses amis il y a encore une heure. Mais le destin devait être autre et ce fut malgré eux que les cavaliers vinrent à leur rescousse. Un seul descendit de sa monture. Armé d’un seul long et fin bâton. Elle ne vit pas son visage, emmitouflé dans son manteau de pluie comme il l’était, ses yeux masqués par le tricorne qui l’abritait des éléments déchaînés. Il se mit entre eux et la horde de bandits encore déguisés d’oripeaux féminins et maquillés plus sûrement que des filles de joies. Elle lui trouva beaucoup d’allure. Le vieil homme essoufflé et ensanglanté se jeta auprès de sa fille celle-ci qui avait tenté de se défendre était échevelée et trempée. Le cavalier ne fit pas un geste pour l’en empêcher, il était plutôt attentif aux autres assaillants qui encerclaient le groupe maintenant hétéroclite qu’il formait. Le combat commença. Le cavalier jeta dans la boue les assaillants, un à un, sans avoir ressentit aucune difficulté à cette tâche que le groupe de bandits espérait impossible. Le second cavalier rejoignit son comparse penché au-dessus de la Fêlure qui menait l’assaut.
« - Pourquoi poursuivez-vous ces gens, un vieil homme et une femme, n’avez vous pas honte ! » La Fêlure hésita.
« - C’est une sorcière, elle doit mourir !
« - Ma fille n’est pas une sorcière, elle est juste malade, monseigneur, croyez-moi, je vous en prie. Ils nous ont volés et voulaient nous assassiner ! » Le cavalier de la pointe de son épée détacha la bouse que La Fêlure portait au côté et la jeta au vieux qui fut interloqué de cette justice. Les voyous s’enfuirent sans demander leur reste, ne laissant derrière eux que quelques accessoires de femmes. Le cavalier qui s’était battu observait la jeune femme qui se relevait. Leur regard se croisèrent et quelques choses sembla passer entre eux. Les deux cavaliers montèrent sur leurs chevaux et reprirent leur route jusqu'au château du Marquis d’Apcher. Le chevalier Grégoire de Fronsac qui avait observé son ami Mani se battre était envoyé par Versailles en représailles de l’affront du pamphlet pour découvrir les dessous de cette histoire de Bête du Gévaudan qui devenait embarrassante pour Louis XV. C’est ainsi qu’ils entrèrent dans la vie de Marianne et Jean François de Morangias. |