Auteur : gilrayn Hits : 2289
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4 francs 72 sous. C'est tout. Oscar avait recompté au moins cinq fois, mais rien à faire, la somme ne changeait pas. Elle avait beau s'interdire d'y penser, mais Oscar ne pouvait oublier qu'il y a un an à peine, elle vivait dans le luxe et l'opulence, sans jamais songer qu'elle viendrait un jour à manquer d'argent. Et aujourd'hui, après avoir consciencieusement économisé des mois durant, elle n'avait que ça. Les dépenses s'étaient avérées plus élevées que prévu...( ainsi sont les dépenses en général).
4 francs 72 sous, et demain c'est Noël.
Combien d'heures avait-elle passées à rêver au cadeau qu'elle allait acheter à André? Son André... C'était leur premier Noël à deux... Il méritait quelque chose de très spécial, quelque chose qui soit vraiment digne de lui appartenir. Sauf qu'avec 4 francs 72 sous, on n'allait pas bien loin pour un cadeau de Noël...
La seule chose qu'Oscar pouvait faire, c'était se laisser tomber sur le lit et admirer la blancheur du plafond, ce qu'elle fit aussitôt. Pourtant quelques instants plus tard elle était debout, comme mue par un soudain ressort. Elle s'approcha du miroir suspendu au mur et d'un geste rapide retira les pinces qui lui retenaient les cheveux.
Il faut préciser que tous pauvres qu'ils étaient devenus, Oscar et André avaient encore deux trésors. Le premier était la merveilleuse chevelure blonde d'Oscar -longue jusqu'aux reins, épaisse, brillante, qu'elle attachait maintenant pour rompre encore un peu plus les ponts avec celle qu'elle avait été jadis - et la belle montre d'André, héritée de son père, mort alors qu'il était enfant.

La lourde masse blonde enveloppait à présent Oscar d'un doux manteau. Elle regarda son reflet une dizaine de secondes, puis se mit à remettre nerveusement ses cheveux en place. Enfilant son manteau, elle ne put s'empêcher de jeter un dernier regard vers le miroir, puis s'en détourna d'un air décidé et deux larmes tombèrent sur le vieux tapis rouge.
Une fois dans la rue, Oscar se dirigea en tremblant un peu, vers une enseigne clamant fièrement "M.Léonard. Coiffures et perruques à la dernière mode." Elle en poussa timidement la porte et une clochette sonna.
Le petit bonhomme chauve qui se trouvait dans la pièce sembla interdit un moment quant à la façon d'accueillir la femme devant lui. Elle avait un visage noble, déterminé et fier, mais ses vêtements s'accordaient bien mal avec ce visage : vieux, élimés, recousus par des mains malhabiles (Oscar n'avait jamais appris à coudre...), et qui plus est elle portait un pantalon, non une jupe, ce qui était bien étrange. Il décida de la laisser se présenter.
" Monsieur, je suis navrée de vous déranger, je viens vous demander une faveur.
("Mais qui est-elle donc? songea M.Léonard. Il y a tant de manières dans son discours, mais elle n'est pourtant pas bien riche...")
- Je suis désolé, madame, je n'emploie plus personne chez moi. J'ai assez des coiffeuses.
Un triste sourire se dessina sur les lèvres d'Oscar. Il la prenait pour une coiffeuse...
- Mais monsieur, je ne venais pas pour cela... voyez vous-même."

Oscar lâcha ses cheveux une seconde fois. Découvrant le spectacle, Léonard ne put s'empêcher de retenir un petit sifflement d'admiration.
"Vous vendez vos cheveux?? s'exclama-t-il, s'approchant et soupesant la cascade bouclée qui tombait jusqu'au bas du dos.
- Combien m'en donneriez vous?
- Hmm... Disons, 40 francs. Je deviens généreux quand je vois de telles merveilles...
- Finissons-en vite, alors."

Les deux heures qui suivirent passèrent sur un nuage. Oscar égrena tous les magasins à la recherche d'un objet qui aurait cet immense honneur d'appartenir à André. Au terme de la journée elle trouva enfin la perle rare : une chaîne de platine, simple, sobre, élégante, tout comme l'était André. Son mari avait bien cette magnifique montre, mais il n'osait pas la sortir pour lire l'heure car elle était suspendue à une vieille ficelle de cuir noire et sentant la pauvreté à deux miles. Il n'aurait plus honte maintenant, avec cette si jolie chaîne!
Oscar rentra et commença à arranger le résultat de son mélange d'amour et d'inconscience. Les cheveux longs lui allaient tellement mieux! Elle avait l'impression d'être revenue à ses huit ans... "Enfin, c'était toujours mieux que d'être chauve comme Léonard", songea-t-elle pour se consoler.
Depuis qu'elle était rentrée elle se rongeait les sangs. Comment André allait-il réagir? Elle n'y avait pas pensé en allant les couper... Pour se calmer elle entreprit de préparer le dîner, mais elle ne réussit à faire qu'une infâme bouillie de légumes. Tout comme la couture, jamais elle n'avait appris à cuisiner... Vivre comme une femme était décidément plus difficile qu'elle ne l'aurait songé! Difficile, oui, mais quel bonheur elle vivait...
Les pas d'André résonnèrent bientôt dans les escaliers. Oscar surprit ses jambes en train de trembler et les réprimanda sévèrement. Avant d'ouvrir la porte elle s'arrêta devant le crucifix suspendu dans la chambre : "Seigneur, faites qu'il m'aime encore!", puis poussa la porte d'un coup.
André avait l'air fatigué par sa journée mais un sourire malicieux se dessinait sur son visage. Sourire qui s'effaça d'un coup dès qu'il vit Oscar, qui remarqua amèrement ce changement.
"Bonsoir, André, tu vas bien?
- Bonsoir... Oui oui ça va... Je peux m'asseoir?"
"- Il ne m'aime déjà plus... pensa Oscar et ses yeux brillèrent."
André s'était assis sur le lit et regardait Oscar sans en détacher les yeux, comme pétrifié par cette vision.
"André?
- Dis-moi, Oscar, où sont passés tes cheveux?
- Et bien, je les ai fait couper, André, comme tu peux le constater...
- Tu les a coupés? se borna-t-il à dire
- Oui, je les ai coupés et vendus...
- Ca veut dire... que tes boucles... ne sont plus là? Elles n'existent plus? dit André, comme s'il refusait d'admettre cette éventualité.
- Oui!! Oscar commençait à être un peu agacée par cette étrange passivité. Je les ai coupés (elle mima un ciseau) et je les ai vendus (elle mima qu'elle recevait de l'argent). André, tu comprends, je n'avais que quatre francs pour t'acheter un cadeau de Noël et je n'aurais pas supporté de ne rien t'offrir! Tu comprends??
Puis elle ajouta, beaucoup plus bas : "Tu m'aimes encore, André?"
André sembla enfin sortir de sa torpeur. Le sourire se redessina sur ses lèvres au soulagement d'Oscar.
- Je comprends, oui... Mon petit soleil... Tu ressembles de nouveau à un garçon ainsi... - Il déposa un baiser sur le front de sa femme. - Mais tu sais, je t'ai acheté un cadeau aussi, ouvre-le donc. Je pense que tu comprendras pourquoi je me suis conduit un peu bizarrement en te voyant.
Oscar dépaqueta rapidement le petit sachet que lui tendait André et poussa un cri de joie, suivi, hélas, tout de suite après d'un torrent de larmes, qu'il fallut arrêter à l'aide de toute la tendresse et des tous les mots doux qu'il connaissait. Et pour cause! Dans le sachet était soigneusement emballé un assorti de trois pinces à cheveux, mais pas comme les noires toutes simples avec lesquelles Oscar attachait habituellement les siens lorsqu'ils étaient longs! Celles-ci étaient en véritable écaille de tortue, incrustées de petites pierres ambrées. Elles coûtaient cher, Oscar savait cela (André avait réussi à économiser bien plus qu'elle!), et en passant devant la vitrine du magasin tous les matins elle ne pouvait s'empêcher s'arrêter pour de les admirer, telle un enfant devant une confiserie. Cela la ramenait à des souvenirs qui lui paraissaient si lointains... Elle songeait qu'il y a un an à peine, elle pouvait s'offrir au moins 300 de ces pinces, mais chassait bien vite cette pensée de son esprit.
Et maintenant ces merveilleuses pinces étaient à elle, mais elles n'avaient plus d'utilité, il n'y avait plus de longs cheveux pour les attacher!
- Tu comprends maintenant, Oscar, n'est-ce pas? Mais tu sais bien qu'aucune coiffure au monde ne pourrait altérer mes sentiments pour toi, petit soleil!
Oscar avala ses larmes et dit, les yeux encore voilés :
-Mes... mes cheveux poussent très vite, And... Ré...
Il caressa tendrement les petites boucles.
Oscar se rendit soudain compte - André n'avait pas encore vu son cadeau! Elle s'essuya les yeux du revers de la main et sortit l'enveloppe de l'armoire.
- Voilà... J'espère qu'il te plaira!
André décacheta doucement, comme s'il avait peur de ce qui pourrait s'y trouver. Quand il déroula la chaîne dans sa main, il eut un sourire mi-amer, mi-amusé, passa la main sur la joue d'Oscar puis s'étendit sur le lit, les mains derrière la tête.
- Tu sais, Oscar, je crois que nous allons devoir attendre un peu avant de profiter de nos cadeaux... J'ai vendu ma montre pour t'acheter les pinces. Je t'aime infiniment, tu sais? Si nous allions faire honneur au repas de Noël, maintenant?


Le couple possédait aussi un troisième trésor. Un trésor que personne ne pourrait jamais leur enlever : leur amour.
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