Chapitre I
Stockholm, septembre 1799, sous le règne de Gustav IV Adolf.
Le salon où se trouvaient le Comte et la Comtesse de Fersen avec deux de leurs enfants était bien silencieux. * Dans un fauteuil, près de la cheminée, Rosetta s'occupait de travaux d'aiguille. Son dernier-né, Hans-Vilhelm, âgé de 18 mois, venait de s'endormir près d'elle. Tout près, installés à une petite table de jeu, Hans-Axel jouait aux dames avec sa fille aînée, Sofia-Brigitta, âgée de 13 ans. La scène, que l'on pourrait volontiers embrasser du regard, était digne d'un tableau. Tout n'était que tranquilité et tendresse. Un salon, deux époux, deux de leurs enfants. Un silence paisible. La douce voix de la Comtesse le dissipa à peine.
- Mon ami... Notre bébé s'est endormi !
Hans se détourna du jeu, certain que sa fille n'aurait pas l'audace de déplacer les pions. Il s'approcha tout doucement du petit garçon. Il sourit.
- Vous l'appelez encore "notre bébé", ma chérie...
- Mais il est si petit !
- Il a 18 mois... mais enfin vous avez raison, il est si petit...
Le Comte ferma un instant les yeux. Avec nostalgie, il se souvint du premier bébé qu'il avait déposé sur la poitrine de son épouse. Karl-Axel... Leur fils... Il avait quatorze ans et demi, maintenant... Que le temps passait vite ! Il se souvenait de ce 21 Décembre 1784. L'accouchement avait été éprouvant pour la jeune femme. Mais elle avait repris des forces, et elle était devenue mère de trois fils et de deux filles. Elle en aurait eu d'autres si la révolution qui avait eu lieu en France n'avait pas séparé les deux époux pendant cinq longues années...
- Oui, il est si petit...
Hans-Vilhelm était né le 25 Février 1798.
Une heure vint à passer. Rosetta avait elle-même porté son fils jusqu'à son petit lit. Elle l'avait bordé et embrassé sans que cela ne le réveille. Elle était ensuite allée embrasser sa fille que le Comte avait prié d'aller dormir; maintenant que la partie de dames était finie, partie qu'il avait d'ailleurs perdu. Deux autres de leurs enfants, Fredrik-Gustav, 11 ans, et Fredrika-Lovisa, 3 ans, dormaient déjà depuis longtemps. L'aîné, quant à lui, lisait dans ses appartements.
- Monsieur...
Rosetta avait repris ses travaux d'aiguille tandis que le Comte inspectait minutieusement le jeu de dames pour comprendre comment il avait bien pu perdre.
- Monsieur, je suis lasse, moi aussi. Je crois qu'il est temps pour moi d'imiter nos enfants et de me retirer pour la nuit..., ajouta-t-elle en se levant.
- Je comprends... Faites-donc, je viendrai vous voir, tout à l'heure... Je verrai si vous êtes encore lasse ou si quelques instants de repos auront suffi à vous faire du
bien !
Disant cela, le Comte s'était approché de son épouse. Il avait posé ses mains sur sa taille et enfoui son visage dans son cou. Il fut interrompu par l'irruption de sa soeur Sofia.
- Mon frère !
Sofia paraissait très agitée et fort contente.
- Savez-vous ce que j'ai vu, aujourd'hui ? Aaaaah ! J'ai voulu accourir pour vous le dire, mais j'ai eu quelque obligation qui m'ont retenues chez le Baron de... Enfin...
- Et qu'avez-vous vu, ma chère soeur ?
- J'ai vu Karl-Axel lutiner une servante ! Il était dans le corridor qui mène à ses appartements et il pressait sa poitrine à pleines mains ! Malheureusement, il n'a pu en faire plus, car l'effarouchée s'est enfuie.
Rosetta avait rougi violemment en entendant parler sa belle-soeur.
- Mon fils ! Mais... C'est un enfant... Qu'est-ce que cela veut dire... Oh, mon Dieu !
Mais tout comme Sofia le Comte semblait fort content. Son visage était devenu très animé en apprenant la nouvelle.
- Non, ma chère, notre fils a l'âge d'être un homme.
- Mais... Monsieur...
- Voyons, vous ne pouvez pas les garder toujours comme vos bébés ! Karl-Axel aura 15 ans dans trois mois ! Moi-même, lorsque j'avais 14 ans, je... Enfin, cela fait presque 30 ans que, très régulièrement, je...
Mais il se tut, sachant combien son épouse, malgré bientôt seize années de mariage, était facile à émouvoir lorsqu'il s'agissait d'appeler les choses par leur nom. Il se tourna alors vers Sofia.
- Je crois qu'il est temps que mon fils devienne un homme. Voilà l'occasion que j'attendais ! Je savais bien qu'il allait essayer !
Sofia jubilait, mais Rosetta rougit encore plus fortement.
- Hans... Que... Qu'allez-vous faire ? demanda-t-elle timidement.
- Eh bien... Lui parler.
- Oh ! Vous allez lui dire d'où viennent les bébés ?
Hans sourit avec tendresse. A 37 ans, son épouse était encore si naïve ! Elle n'avait rien perdu de sa charmante candeur malgré les bons soins qu'elle avait reçu entre ses mains. C'était ce qui faisait son charme, et il ne l'en aimait que davantage : encore ingénue par moment, mais savante de ce qu'il lui avait appris lorsqu'ils étaient dans l'intimité.
- Cela, Madame, je crois qu'il le sait déjà !
Elle rougit de plus belle.
- Allons, allez vous coucher, je vous rejoins bien vite ! Vous me ferez plaisir, n'est-ce pas ?
Lorsque le Comte entra dans le lit de son épouse, celle-ci crut qu'il parlerait dès le lendemain à son fils. En vérité, Hans n'avait pas ce projet. Il lui avait envoyé une servante très jolie, très complaisante et très expérimentée. Il le savait pour avoir lui-même jouit de ses charmes pendant que Rosetta était enceinte. Cette nuit-là, pendant que Rosetta gémissait de volupté entre les bras de son mari, son fils vit entrer dans sa chambre une fort belle personne... Servante et épouse gémissaient à l'unison. "Oooooooooooh, Monsieur !!!!!!!!!"
* Au début, je voulais écrire ici "Seul le tic-tac régulier de l'horloge ornant la cheminée se faisait entendre." Savez-vous pourquoi ai-je autocensuré cette
phrase ? Parce que je trouve les "tic-tac, tic-tac" affreusement stressant ! Je ne voulais pas infliger cela à Rosetta, de devoir rester tranquillement dans une pièce à côté d'une horloge ! |