Pour la Comtesse de Laney, en hommage à "Mon coeur est pur" dont il s'agit de la suite.
Chapitre I
Le carrosse qui emportait Rosalie vers sa nouvelle vie parcourut quelques lieues avant d'arriver devant une magnifique demeure. Pendant tout le trajet, un pesant silence avait tenu lieu de conversation entre la mère et la fille retrouvée. Madame de Polignac, la partie inférieure du visage dissimulée derrière son éventail, savourait tranquillement la réussite de la petite manigance qui avait conduit Rosalie à la suivre. Elle avait alors bon espoir de voir ses projets se réaliser. Il fallait bien sûr dompter cette jeune fille rebelle qui avait par deux fois voulu attenter à sa vie, mais cette fois elle devrait plier devant sa volonté. A présent elle était sa mère, et Rosalie n'aurait d'autre choix que d'obéir. Un léger rire de gorge se fit entendre, mais cela ne fit pas réagir la jeune fille assise à ses côtés. En montant en carrosse, Rosalie avait longuement laissé errer son regard emplis de larmes sur la vitre de la portière, de sorte qu'elle tournait le dos à cette femme que jamais elle ne pourrait considérer comme sa mère. Elle n'avait pas eu le loisir de suivre des yeux le château Jarjayes s'éloignant à sa vue, car Mme de Polignac avait fait aller la voiture bon train. L'attelage n'avait un peu ralenti qu'une fois à bonne distance. Les larmes de Rosalie parsemaient en abondance ses joues. "Oh, mon cher Oscar ! Vous reverrai-je un jour ?" songeait-elle. "Et toi, Jeanne, ma soeur, es-tu encore de ce monde ? Puisses-tu me pardonner ma trahison..."
C'était une demeure magnifique que les Polignac possédaient à la campagne, tout près de Versailles. Mme de Polignac, en tant que gouvernante des Enfants de France, résidait à la Cour, mais elle jugeait préférable de ne pas y conduire encore Rosalie. La jeune fille avait été présentée à la Reine au cours d'un bal, et le colonel de Jarjayes lui avait fait donner l'éducation qui convenait, mais elle n'était pas encore prête pour y résider. Il y avait surtout une autre raison. Mme de Polignac avait soigneusement caché l'existence de sa première fille. Il faudrait expliquer l'irruption de Rosalie dans sa vie. Elle ne pouvait la présenter en tant que parente, si elle voulait mener à bien ses projets, aussi devait-elle faire accepter Rosalie le plus rapidement possible, mais en douceur. Et pourtant ! N'était-elle pas la favorite de la Reine ? N'était-elle pas l'ange à qui l'on accorde tout ? Elle imposerait sa fille à la Cour ! Elle venait de trouver quel conte de son invention elle réserverait à la crédulité de Leurs Majestés. Rosalie, son enfant à la santé fragile qu'elle avait été obligée de confier à une parente qui vivait en Languedoc, la sénéchaussée d'où était originaire la famille de Polignac. Son enfant qui avait été élevée au couvent. Son enfant qui venait pour la première fois à Versailles... Mais la Reine avait déjà vu Rosalie, elle lui avait été présentée comme une parente éloignée de la famille de Jarjayes... Alors Mme de Polignac inventerait une généologie si compliquée qu'elle ferait se coïncider les arbres des deux familles même si cela était impossible ! Elle ferait de sa fille Rosalie une parente éloignée des Jarjayes ! Ce n'était pas bien difficile de truquer un arbre généalogique, surtout lorsque l'on voulait seulement créer une parenté fort éloignée. A son tour, comme Oscar l'avait fait pour elle, elle irait consulter les Archives royales et les livres de la noblesse. Ou plutôt elle confierait ce travail à sa belle-soeur, la Comtesse Diane. Une petite intrigante sans scrupule qui ne demanderait pas mieux. Tout serait arrangé sous peu...
Rosalie descendit de carrosse à la suite de Mme de Polignac. Elles entrèrent dans la demeure. Elles y seraient seules parmi toute une armée de domestiques. Les Polignac avaient su habilement tirer partie de l'immense faveur dont jouissait leur belle-soeur Jules. Ils résidaient à Versailles, et accumulaient les postes, les pensions et les honneurs. Mme de Polignac avait reçu le titre de Duchesse, ce qui lui donnait droit à un tabouret dans les appartements de la Reine tandis que les autres dames devaient demeurer debout.
- Eh bien, Rosalie, venez donc avec moi !
Bien malgré elle, Rosalie n'avait pu s'empêcher de demeurer en arrière dans le vestibule, admirant la beauté des ornements. En entendant la voix de sa mère, elle revint à la réalité et se souvint qu'elle s'était jurer de ne pas se laisser émouvoir. Elle l'avait suivie pour qu'elle ne fasse pas soupçonner Oscar d'indulgence envers Jeanne de la Motte, non par devoir filiale.
- Voici vos appartements et voici vos servantes, ma fille.
Elles étaient arrivées au premier étage, et Mme de Polignac s'était fait ouvrir l'une des portes.
- Eh bien, Rosalie...
La jeune fille fit un effort. Pour sauver Oscar, elle avait choisi de sacrifier son amour-propre et sa jeunesse. Elle devait aller jusqu'au bout.
- Je vous remercie, Madame.
- Allons, appelez-moi "mère" !
- ... Bien, mère...
"Maman", elle ne l'aurait pas pu. Elle n'avait eu qu'une seule maman, celle qui l'avait recueillie, élevée et aimée de tout son coeur. Par chance, ce mot n'était pas utilisé dans la noblesse. Charlotte, son infortunée petite soeur, le lui avait dit au bal de Madame Élisabeth. "Maman ?! Quelle singulière façon de nommer celle qui vous a donné le jour !" Rosalie s'en souvenait fort bien.
"Ma pauvre Charlotte, ma pauvre petite soeur..." Les pensées de Rosalie quittèrent provisoirement Oscar et Jeanne. Charlotte... La jeune fille avait pris sa place. Elle était là pour la remplacer. Elle ne pouvait croire que Mme de Polignac l'aurait accueillie chez elle si Charlotte n'était pas morte. Non, cette femme ne pouvait y avoir songé avant. Elle la croyait dépourvue d'instinct maternel. D'ailleurs elle lui avait dit qu'elle se sentait fort seule sans Charlotte. Elle voulait que Rosalie vive auprès d'elle car elle était sa fille, mais, à moins qu'il ne s'agisse d'être en règle avec le Très-Haut et de gagner son Salut, c'était surtout parce qu'elle voulait combler sa solitude. La jeune fille avait alors un espoir, celui de ne voir que fort rarement cette femme dont elle avait voulu la mort et qu'elle avait seulement appris à moins haïr. Elle pensait que lorsque celle-ci se trouvait à Versailles elle était suffisamment occupée, emportée par mille plaisirs, pour éprouver le besoin d'une autre compagnie que celle de la Reine, de ses amies, de ses amants. Rosalie pensait demeurer seule dans cette demeure, et n'être là que pour être une présence lorsque Mme de Polignac viendrait de temps à autre prendre quelque repos. Si elle avait raison, la vie lui serait supportable. Mme de Polignac aimait bien trop la vie de Cour pour rester ici. Elle ne la verrait probablement que fort peu. |