Le dos au mûr, le menton reposant sur les genoux, il la regardait. Dieu qu’elle était belle, endormie ou évanouie, il se savait plus trop. Il avait du la frapper, elle refusait de le suivre, elle avait refusé de comprendre. De nouveau les voix explosèrent dans sa tête :
« Avez vous bien compris votre mission X5-494 » (Sandeval)
« Je t’aime…tes mains tremblent…. » (Rachel)
« Eliminez la cible demain….les 2… » (Sandeval)
« Pas de responsabilités, aucun souci…c’est beau la jeunesse Simon… » (Robert Berrisford)
« Vous n’êtes pas le chef de cette mission X5-494, votre travail et votre seule pensée doivent être d’exécuter les ordres… » (Sandeval)
« Ecoute moi….ton père et toi, vous devez quittez la ville immédiatement.. » (494 alias Simon)
« Tu me fais mal ! » (Rachel)
« Viens avec moi ». (494 alias Simon)
494 poussa un léger soupir, mit sa tête entre ses mains, ils voulaient tant que les voix partent. Il resta ainsi jusqu’au lever du jour, prostré, sujet à d’autres crises où tout se mélangeait, où il avait soudainement envie de rentrer à Manticore, laisser Rachel, au moins elle était sauve, jusqu’à ce que le prochain assassin soit envoyé.
Il n’en fit rien. A mesure que les heures filaient, 494 regagnait son calme. Après tout, il était génétiquement modifié et amélioré, il n’avait rien à craindre…sauf peut-être les sentiments et les émotions. Manticore ne dispensait aucun cours sur les thèmes de l’amour, de l’amitié, de l’envie, du désir ou de la jalousie. C’était si nouveau pour lui. Quand Rachel lui avait déclaré ouvertement ce qu’elle ressentait pour lui dans la piscine, il n’avait pas bien compris. Quand leurs lèvres s’étaient rencontrés, il avait pris conscience de son corps, celui se réveillait. A y repenser, la situation était d’un ridicule, il avait plus de 17 ans et jamais au grand jamais il n’avait embrassé une fille avant Rachel, il ignorait tant de choses.
Rachel se réveillait enfin, le coup qu’il lui avait administré avait dû être plus violent qu’il ne l’avait souhaité. Il fit un pas vers elle, mais elle se recula, et grogna telle une bête blessée.
« Rachel….
-Nonnnnnn, au seco…… »
Il était sur elle, un main sur sa bouche pour l’empêcher de crier, de l’autre, il la bloqua totalement. Il plongea son regard dans le sien et tenta d’expliquer :
« Rachel, n’aie pas peur. Je ne te veux pas de mal, c’est moi… » mais sa voix se brisa. Moi qui pensa t il tristement…puis il reprit :
« Je vais enlever ma main et desserrer ma pression, de toutes façons si tu tentes de d’échapper, c’est inutile, je suis…je suis plus rapide que toi ». Et plus entraîné ajouta-t il mentalement.
La terreur se lisait sur le visage de la jeune fille, mais quand la main se retira, elle ne dit rien de plus que :
« Vous me faîtes mal…. »
Elle le vouvoyait de nouveau, marquant la distance. Quelque chose sembla lui pincer le cœur ; décidément rien n’était simple en dehors de Manticore. Rachel s’était repris et un flot de paroles brisa le silence :
« Où sommes-nous ? Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Mon père ? Comment va-t il ? Que voulez-vous ? Une rançon ?
- oh ohohohoh…Rachel c’est si long….
- Assez ! » cria-t elle, un sanglot dans la voix.« Dites moi ce que vous voulez ? je veux rentrer chez moi, pitié… »
494 allait de découverte en découverte, voilà qu’elle le suppliait ! Elle était belle, et une fois de plus, oubliant ce qu’on avait pu lui apprendre concernant la gestion de la panique (bien qu’on lui ait aussi appris à susciter la peur chez sa proie), il colla ses lèvres au siennes. Elle leva les bras pour le repousser, peine perdue, il était si fort qu’il aurait pu briser son si frêle poignet. Bizarrement devant cette bouche qui cherchait la sienne, son odeur, Rachel se laissa aller. C’était bien Simon Lehane qui l’embrassait et pas cette espèce de furie qui alors qu’elle allait rejoindre son père, avait déversé un flot de paroles incompréhensibles et qui lui avait fait peur au point de vouloir fuir. Le baiser achevé, 494 la serra dans ses bras, la tête enfuit dans son cou et elle réalisa soudain qu’il pleurait comme un enfant. Rachel avait peur, mais elle était décidée à ne pas le montrer. Il était fou, elle était tombée amoureuse d’un dangereux fou. Son unique issue de sortie allait être de jouer le jeu qu’il lui proposerait. Elle était maintenant persuadée qu’il lui fallait gagner du temps. Les larmes se tarissant, 494 s’arracha à regret à cette étreinte, il devait maintenant annoncer la vérité
« Rachel, j’ai été conçu dans un laboratoire. On m’a fabriqué, on m’a construit pour être un soldat, un parfait soldat. C’était bien avant l’impulsion. Mon univers c’est un grand camp militaire à la lisière de la forêt. Je n’ai pas de parents, d’amis ou de vie comme celle que tu connais. On ne m’a enseigné que l’art de la guerre, la tactique et la stratégie, la mort….Je ne connais rien de ton monde Rachel. Mon seul but était d’accomplir les missions que mes supérieurs m’assignaient. Et puis, je t’ai vu Rachel et tu as réveillé toutes sortes de choses en moi, tu m’as fait découvert la saveur de la vie, de l’amour… »
Elle ne disait rien. Il ne pouvait déchiffrer son regard. Le silence entre eux une nouvelle fois s’abattit, seuls les bruits de la rue qui s’éveillait, commençaient à monter jusqu’à eux.
Rachel était maintenant totalement convaincu qu’elle était devant un cinglé. Intérieurement elle s’en voulait de ne pas avoir vu le danger. Il était si beau, un visage d’ange, il avait été si bien éduqué lors des ses cours de piano, elle l’avait même trouvé coincé ou insensible à son charme.
« Admettons que je te crois… »
494 sourit à ses paroles, elle le tutoyait de nouveau. Il tourna la tête et lui montra son code barre, puis remis son regard bleu vert dans celui de la jeune fille.
« Qu’est ce que c’est que ce tatouage ?
- Ma désignation. Je n’ai pas de prénom Rachel. Juste un numéro.
- Tu veux dire que « simon » n’a jamais été ton vrai prénom ?
Non, je ne suis pas Simon Lehane »
Rachel comprit que Simon Lehane avait existé mais n’osa pas demander quel sort lui avait été réservé. Pourtant confiant dans les sentiments de la jeune fille, 494 enchaîna bientôt :
« Il a existé, il était même réellement professeur de piano. Ma première mission a été de prendre sa place…de le supprimer…. ».
494 sentit le froid envahir la pièce. Une foule de questions se bousculait dans la tête de Rachel, d’un côté une curiosité toute féminine la poussait à en apprendre plus, de l’autre, l’instinct de survie lui commandait la prudence, si elle commettait un faux pas, le masque tomberait peut-être et l’ange deviendrait démon.
« Quel est ton nom alors ?? Ou ton code ? Comment suis-je sensée t’appeler ?
- 494 » murmura-t il d’une petite voix tout en baissant les yeux.
« 494 » répété la jeune fille d’un air songeur. Puis reprenant :
« Mais pourquoi nous ? Pourquoi m’avoir enlevée ?
- Je ne sais pas exactement Rachel. Mais ton père ou plutôt les travaux génétiques de son entreprise semblent être une menace pour Manticore. Quand l’ordre m’a été donné de vous éliminer, je n’ai pas pu Rachel, enfin j’ai placé les charges sous la voiture de ton père, mais je n’ai pas pu appuyer sur le détonateur. J’ai paniqué, je ne pouvais pas accepter d’être ton bourreau. Je suis venu à toi et tu connais la suite. J’ai dû te faire horriblement peur, mais je n’avais pas le choix Rachel. Tout ça c’est tellement nouveau pour moi. Je ne connais rien de ce monde, j’ai perdu tous les repères…par amour pour toi….
- Est-ce que tu sais si mon père est vivant ?
Je ne sais pas Rachel.
Puis recouvrant sa capacité d’analyse, 494 ajouta :
« Néanmoins il est fort probable qu’un autre assassin ait été envoyé, ou que Sandeval ait rebondi et profité du fait que je t’ai emmenée pour faire pression sur ton père. A l’heure qu’il est, il a peut-être déjà négocié ton retour contre la certitude que ton père va mettre la clé sous la porte et oublier Manticore.
- Et toi ? Que fera-t il de toi ?
- Ce qu’on fait aux traîtres…
La mort ? » prononça d’une voix blanche Rachel.
494 produisit ce petit sourire en coin qui avait chralé Rachel dès la première leçon de piano.
« Non, je coûte beaucoup trop cher pour qu’on m’élimine aussi vite. Manticore a de la ressource, quelques mois en section psychologique avec lavages de cerveau et ré endoctrinement, et j’aurais oublié jusqu’à ton nom. »
Convaincu qu’elle le croyait, 494 retrouvait peu à peu ses capacités d’analyse et sa confiance en lui. Il se disait qu’il était maintenant temps de bouger. Déjà savoir où ils se trouvaient exactement, dans sa fuite, il avait oublié les règles de base, il fallait maintenant raisonner en tacticien et élaborer un plan de sortie. 494 pensa aux X5 qui avaient pris la fuite en 2009, son clone ou jumeau faisait parti de ce groupe, il le savait bien, il avait goûté « à la délicatesse » du personnel de la section psychologique, par la faute de 493. En y repensant, il y avait peut être effectivement une fêlure génétique dans leur ADN, l’envie de liberté….
Ce qui restait des portes et des fenêtres vola en éclat. Avant qu’il n’ait pu réagir, il était au sol, 3 décharges électriques étaient venues à bout de sa force. Il était maîtrisé. C’était trop tard, il avait trop attendu ; en perdant le contrôle de ses émotions, il avait tout foutu en l’air. Il entendit la voix de Lydecker :
« Rassurez-vous mademoiselle, c’est fini, vous êtes sauve. Nous allons le ramener à l’hôpital psychiatrique dont il s’était enfui et le surveiller. Plus jamais vous n’entendrez parler d’Alexander Grave. Mes hommes vont vous ramener auprès de votre père. Il était mort d’inquiétude, mais tout est fini.
Noonnnnnnnnnn, Rachel, je t’ai dit la vérité, ne m’oublie pas, je t’aime. Il ment…… »
494 ne pouvait bouger et il implorait du regard Rachel mais celle-ci répondit avec une extrême froideur :
« J’avais cru comprendre, tard il est vrai, que c’était un fou doublé d’un meurtrier, il m’a raconté des histoires abracadabrantes, mais j’ai préféré ne pas le contrarier. J’ai eu si peur » et elle fondit en larmes.
Déjà un ambulancier plaçait une couverture sur ses épaules et l’emmenait. Lydecker se pencha sur 494 :
« He bien cette cinquième série X pose réellement des problèmes » puis se tournant vers d’autres hommes :
« Emmenez-le».
Sous-sol de Manticore.
4 soldats déposèrent le corps de 494 dans la cellule d’isolement. Il semblait que toute vie l’avait abandonné. A y regarder de plus près, le regard était vitreux, il ressemblait à un drogué qui aurait fait un mauvais trip. La grille se referma. Il en était à sa sixième séance de ré endoctrinement et pourtant il se battait pour ne pas oublier la saveur des baisers de Rachel, son visage…En quelques mois, il avait appris tellement de choses sur la vie, la vie hors de Manticore. Malgré le cruel apprentissage du rejet et de la trahison de l’autre, 494 ne voulait pas oublier, il s’accrochait à ce premier amour. Comme une plainte il murmura :
« Rachel…….. » |