C’était une belle soirée, à Varennes, en ce 20 juin 1791. Nicole Sauce, la femme de l’épicier, préparait un délicieux bœuf mode pour le repas du soir, quand elle vit son époux (également maire de la ville) accourir en toute hâte, accompagné de Drouet, et d’une berline d’où sortent un homme, trois femmes et deux enfants :
– Entrez, Messieurs-dames, dit-il aux étrangers. Nicole, nous avons de la visite :voici Mme la baronne de Korff et ses enfants, sa gouvernante Mme Rochet, son intendant Durand, et sa femme de chambre. Mets donc le couvert pour tout ce petit monde, puis prépare-leur une chambre, ils resteront ici ce soir. Drouet, il se fait tard : veuillez renvoyer vos hommes et rentrer chez vous, nous verrons tout cela demain.
Nicole Sauce avait pâli en croisant le regard de cette Mme Rochet : son visage ne lui était pas inconnu… Puis elle se souvint : Mme Rochet ressemblait étrangement à la reine Marie-Antoinette, dont elle avait été le sosie le temps de quelques heures, afin de tromper le Cardinal de Rohan… Elle s’appelait alors Nicole d’Oliva. Après le procès, où elle fut acquittée, elle préféra néanmoins se faire oublier, et monta dans sa famille à Epernay, où elle aidait désormais aux champs et faisait le marché.
Ce fut là-bas, au marché, qu’elle rencontra Monsieur Sauce, alors jeune épicier à Varennes. Ils se plurent, se courtisèrent, puis avec la bénédiction des parents se marièrent. Nicole partit alors s’installer chez son époux, à Varennes.
Mme Sauce et Mme Rochet se dévisagèrent un long moment. Mme Rochet (en réalité Marie-Antoinette) avait également blêmi, car elle avait bien reconnu Nicole d’Oliva, mais celle-ci était trop perturbée pour s’en apercevoir. Se pouvait-il que la reine l’ait retrouvée et cherche maintenant à se venger d’elle ?
Monsieur Durand (en réalité Louis XVI) rompit le silence en déclarant qu’il était temps de passer à table : le voyage lui avait ouvert l’appétit... |