Chapitre1: Dentelles et frafeluches
Oscar se tenait devant la fenêtre, le regard perdu tandis que sa nourrice tournait autour d’elle aussi excitée qu’une puce.
- Ma petite Oscar, je suis tellement contente. J’ai toujours su que tu serais la plus jolie femme du monde ! Quelle idée de te faire vivre la vie de soldat ! pépia t’elle en tirant les lacets du corset.
- AIE ! Tu m’étouffes !
- Cesse de te plaindre voyons, c’est bien moins pire que de recevoir un coup d’épée ! dit-elle en nouant la carapace de satin à sa taille, et aucune femme n’en est encore morte à ce qu’on sache !
Oscar ne répondit rien, laissant faire sa nourrice comme elle l’entendait. Après tout, que connaissait-elle à tout cet attirail féminin et grand-mère, après avoir élevée cinq filles, devait sûrement savoir s’y prendre. La vieille femme s’attaqua ensuite à placer les ourlets de sa robe en donnant des coups d’aiguilles ici et là d’une main sûre.
- Mais penses-tu ! Un bal donné en ton honneur par monsieur le duc de Bouillé ! Tu seras la plus belle, ils tomberont tous à genoux devant toi c’est moi qui te le dis. Enfin, finie cette comédie sans queue ni tête ! Quand tu es née, je l’ai bien dis à monsieur ton père, ce n’est pas Dieu possible de mettre cette pauvre petite dans une situation qui …
Oscar n’écoutait plus le babillage enjoué de sa nourrice. Elle se revoyait jouant du clavecin alors que son père était venu lui annoncer qu’elle était attendue à un bal qui devait révéler à toute la cour qu’elle était en réalité une femme. Là seraient présent tous les jeunes hommes non mariés de qualité. Elle ne lui avait rien répondu alors. Mais le lendemain, après que son carrosse eut été attaqué et lui grièvement blessé, il lui avait redemandé de s’y rendre, là lui avait-il dit, était son bonheur. Comment aurait elle pu lui refuser quoi que ce soit dans cette situation. Elle avait acceptée. Devant son père abattu, elle avait choisit de suivre encore une fois le destin qu’il avait tracé pour elle.
Oscar mesurait l’abîme qui s’ouvrait à peine devant elle. Il n’y aurait pas de retour possible après ce bal. Si elle y allait sous ses habits de colonel et se moquait d’eux, il resterait toujours un doute dans leur esprit et seul quelques fables et ragots feraient mémoire de l’évènement mais en y allant ainsi … elle devenait femme et elle le resterait à jamais, il n’y aurait plus qu’une route : elle devrait se marier, avoir des enfants et porter des corsets.
Une tornade de doutes terrifiants secouait son esprit. Elle n’arrivait pas à réfléchir clairement, l’enjeu était trop immense. Dans quelle destinée allait-elle être précipitée et avait-elle seulement la capacité de l’affronter ? Qu’on lui donne un ennemi à occire, une foule à maîtriser, un duel au pistolet à remporter. Ces exploits devant lesquelles bien des femmes se seraient évanouie en tournant de l’œil lui semblaient dérisoires devant l’armée d’épingles à cheveux qui débordaient de la bouche de sa nourrice.
-Voilà ! Grand-mère se recula pour juger de l’effet et joignit les mains d’admiration. Tu es parfaite ma petite Oscar, la plus jolie des filles de la famille. Haaaa ! Ma chérie, tu es si belle !
De grosses larmes roulèrent sur les joues de la vieille femme toute émerveillée et Oscar se dit qu’elle aurait aimé se sentir aussi contente de sa nouvelle apparence. Elle se posta devant le miroir et y contempla son reflet. Ses cheveux d’or relevés délicatement sur sa nuque blanche, le rose profond de la robe froufroutante, dégoulinant de dentelles blanches. À elle aussi des larmes vinrent aux yeux. Elle se sentait terriblement vulnérable dans cet accoutrement. Elle ne connaissait rien des règles que ce costume impliquait. Comment se tenir, quel maintient adopter, comment répondre à un compliment, à une insulte ? Elle n’en avait aucune expérience.
Lorsqu’elle avait été au bal pour y danser avec Fersen, cela avait été facile, elle jouait un personnage et imitait simplement les autres dames ; mais dès qu’elle serait parue ainsi elle ne pourrait plus se cacher sous un éventail en restant muette et esquisser quelques pas de danses. Elle devrait réellement vivre ainsi et forcer son être à entrer dans ce nouveau moule dont elle ignorait les subtilités. Si encore elle avait porté attention aux dames … mais elle s’en était souciée comme d’une guigne car il était beaucoup plus important d’agir en homme et de le faire mieux qu’aucun d’entre eux.
- Oscar !
Elle se tourna lentement vers l’homme qui jouait de son destin au gré de ses caprices. Les yeux humides, il la regardait comme si il n’arrivait pas à croire que cette femme soit son enfant.
-Père.
- Monsieur, vous n’auriez pas dû vous lever voyons ! cria la vieille dame en se précipitant vers lui.
- Je vais bien grand-mère, ne vous inquiétez donc pas. Pour rien au monde je n’aurais manqué ce moment.
- Mais monsieur … ! D’un regard, monsieur de Jarjayes fit taire la gouvernante et leva les yeux vers sa fille.
- Ha Oscar, ma fille chérie. Je te vois enfin tel que tu aurais toujours dû être.
Il s’avança et la prit dans ses bras, l’étouffant presque sous ses remords.
- Je suis si heureux pour toi. Tu es si belle mon Oscar.
- Merci père.
- Allons, ne faisons pas attendre monsieur le Duc !
Oscar s’avança lentement pour éviter de chanceler sur ses hauts talons et sortit sous l’œil ému de son père. En s’avançant vers la grande porte, la tête lui tourna. Elle ne sortait pas de chez elle, en fait, elle sortait de sa vie. Elle franchit la porte l’œil sec et le cœur tordu de craintes en essayant de respirer de son mieux dans sa prison de satin. |