Auteur : Catherine Hits : 1246
Lady Oscar > Alternate Universe > Un voeu pour Noël >
Tombant sans discontinuer la neige de la veille avait rafraichi les températures jusqu'à devenir glaciale.
Les bûches dans l'âtre avaient beau se consumer les unes après les autres, aujourd-hui comme hier, elles réchauffaient avec peine les différentes pièces de la maison Jarjayes.


- J'ai froid, murmura Oscar en resserrant les pans de la courtepointe sur ses épaules.
Chuchoter était devenue une seconde nature pour elle. Pendant sa convalescence, elle avait pris cette habitude par peur de déranger sa mère et Grand-mère, toujours à se précipiter au moindre de ses soupirs. Ho, bien sûr, elle avait souffert, beaucoup certes, ses multiples blessures avaient mis plusieurs mois à guérir. Mais sa plus grande souffrance venait d'André. Levant légèrement les yeux, elle s'attarda sur son profil. Elle ne distinguait que cette mèche de cheveux et cette bouche qui lui avait procuré tant de délice au cours d'une nuit. S'attardant sur lui, elle fut saisi par le pli dur qui marquait ces lèvres. Plus aucun sourire n'éclairait son visage. Pourquoi refusait-il de s'abandonner dans ses bras ? De lui ouvrir son coeur ? Perdre la vue n'avait pas seulement anéanti André, elle avait aussi mis un terme à leur liaison. Refoulant les larmes qui cherchaient à fondre sur son visage. Oscar serra les poings pour étouffer l'envie de secouer André. Elle l'aimait telle qu'il était, aveugle ou non... Sans cesser de le surveiller, elle le vit se lever, avançer maladroitement un pied devant l'autre. Compter ces pas jusqu'à la cheminée, s'accroupir et prendre une bûche dans la panière.


- Laisse, je vais le faire, ne put-elle s'empêcher de lui dire.
- Non.


Ce non lui renvoya en pleine figure l'année écoulée. Ces efforts, son découragement, Oscar avait beau tout tenter pour lui redonner le sourire, rien n'y faisait. Invariablement, il répondait négativement à toutes ses suggestions. Galoper dans la campagne, une passe d'arme dans le jardin, un livre qu'elle souhaitait lui faire découvrir. Des tentatives qui se réduisaient à un prosaïque non. Lasse, elle regarda l'épée d'André dans la vitrine familiale. Elle refusait d'abdiquer. Redressant les épaules, elle se mordit la lèvre avant de...


- André !, voilà c'était dit.
A lui de jouer, maintenant.
- Ne crains rien, certes je suis aveugle, pourtant je n'ai aucune intention de mettre le feu à Jarjayes...
Après tout, qui voudrait s'encombrer d'un aveugle.
- Tais-toi !
- Si tel est votre ordre, maître je m'y pli.
Il accompagna sa réponse d'une révérence moqueuse.
- André, tu sais que tel n'est pas mon intention.
L'ignorant, André se laissa tomber sur le fauteuil capitonné de velours mordoré où il y passait des journées
entières et quelques fois la nuit.
- Pourquoi refuses-tu de me parler ?
- Pour te dire quoi ?, répondit-il aussitôt.
Oscar en frémit d'anticipation, c'était plus que ce qu'elle avait obtenu tout au long de l'année. Les fêtes étaient-elles le signe qu'elle attendait désespérement. Ce Noël 1790 s'annonçait-il meilleur ? Le voeu fait l'année dernière allait-il porter ses fruits ? Elle espérait tant qu'ils se retrouvent, qu'ils redeviennent ce couple éclos pendant la révolution.
- Que tu m'aimes, tenta naïvement Oscar.
- Bien sur que je t'aime, ne suis-je pas sensé aimer celui qui me nourrit ?
Oscar ferma les yeux, c'était trop tôt ou trop... tard.
Elle allait se lever pour se réfugier dans sa chambre quand elle entrevit une silhouette dans l'entrebaillement de la porte.

- Diane.
Oscar sourit en pensant à la gentillesse de la jeune soeur d'Alain. Elle était un rayon de soleil dans la grisaille de l'hiver. Elle se tordait nerveusement les mains.
- J'ai pensé que cette année il nous fallait un sapin.
Tout un symbole, celui de Rudolphe menant son traineau et le Père Noël à bon port. Le Père Noël et sa besace emplie à ras bords de friandises et de desserts. Oscar eut subitement faim en pensant aux douceurs de Grand-mère mijotant doucement dans de grandes casseroles de cuivres.
- Vous avez raison, lui répondit Oscar en se levant. Après tout, si André refusait cette seconde chance, pourquoi devait-elle en faire autant ? La révolution avait failli les emporter tous les deux. Grâce aux bons soins prodigués par une famille aimante, ils avaient retrouvé la santé. Quoique précaire, mais palpable, pensa Oscar en se pinçant la paume de la main. La douleur la fit sourire, ce n'était qu'une escarmouche comparée aux cicatrices qui sillonnaient sa poitrine.
- Je demanderais au jardinier de s'en occuper dés demain.
- En fait, j'ai pris les devants.
Oscar retint un fou rire en voyant Alain, ahanant, pestant contre les traditions. Il tirait néanmoins un énorme sapin derrière lui, aussi haut que large, il peinait à le faire entrer dans le manoir.
Repoussant son couvre-chef, il s'essuya le front couvert de sueur.
- Colonel, si ce n'était la promesse d'un bon souper, j'en ferais du petit bois... de ce monstre.
- Ce serait un crève-coeur, répondit Oscar en caressant amoureusement les branches résineuses.
Il est magnifique, portez-le jusqu'au salon.
- Portez-le, portez-le... La belle affaire, maugréa t-il en lui faisant franchir la double porte vitrée.

Alain l'installa au beau milieu de la pièce, debout il paraissait encore plus imposant. Majestueux, il brillait de mille feux sous les candélabres. Des cristaux de givre en raidissaient les pointes. De la neige saupoudrée dessus par Cupidon peut-être allourdissaient les branches d'un manteau blanc.

- Merçi Diane, dit Oscar en lui serrant tendrement les mains dans les siennes.
- Et moi, demanda Alain.
J'ai fait tout le boulot, et je n'ai droit ni à un petit remontant, ni à un simple merçi.
- Je ne vous ais pas oublié, répondit Oscar en s'approchant. Elle se pencha et posa ses lèvres sur sa joue.
Elle vit les pommettes d'Alain rosir. De froid ou de pudeur.
- Ca ira, demanda t-elle ingénument.
- Ouais, bougonna t-il en mâchonnant un invisible brin d'herbe.
- Les plus grands séducteurs sont souvent les plus timides, lâcha innocemment Diane.
- Sans les bonnes femmes, le monde se porterait mieux... Qu'en penses-tu André ?
Alain ne désespérait pas de lui faire retrouver le sourire. Il fallait parfois d'un rien...
- Je n'ai pas d'opinion.
Oscar eut une fois de plus un sursaut. Les réponses d'André devenaient de plus en plus longues.
Etait-ce l'étincelle, l'espoir que tout le monde attendait depuis des mois ? En tous les cas, Oscar y croyait.
Elle n'allait pas renonçer, alors qu'elle était proche du but. Elle voulait être à lui, comme elle voulait qu'il soit sien pour l'éternité.... Et l'amour n'était-il pas le plus grand des pouvoirs ? Sûre d'elle, Oscar commença à garnir le sapin de surcreries et de décorations faîtes par des mains enfantines, il y avait des décennies.

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C'est au milieu de la nuit qu'Oscar se faufila dans la chambre d'André. Comme d'habitude, elle le trouva allongé au milieu du lit, les bras repliés sous la nuque. Le regard vide de toute expression... Il paraissait si lointain qu'Oscar en eut le coeur serré. Pourquoi refusait-il de communiquer, de lui parler de ces peurs ? Ensemble, ils pourraient les combattre, les atténuer. Retenant un soupir de lassitude, Oscar avança à pas feutrés sur le parquet de chêne. A part un murmure grinçant de tant à autre, nul n'aurait pu dire qu'elle se trouvait dans la garçonnière de son ami d'enfance.

- Je n'ai rien à te dire Oscar.
C'était un point final, enfin pour André, sauf que pour Oscar c'était un début, jusqu'à présent il l'avait ignoré, feignant d'être seul dans sa chambre, il se tournait vers la fenêtre et fermait les yeux. Epuisée par son inaction, elle faisait demi-tour.

- En ce cas, c'est moi qui vais parler !
- Faudrait-il que je t'écoute ?
- Tu es aveugle, non sourd, alors à moins de sauter par la fenêtre, je ne vois pas comment tu pourrais ne pas m'entendre ?
Elle l'entendit gronder.
- Très bien dis ce que tu a dire, puis sort et ne reviens jamais, répliqua André en se redressant subitement.
Oscar faillit reculer devant son regard vide, l'émeraude de ces yeux paraissait si vide. Aucune étincelle de vie y brillait. A part un souffle de peur et d'incertitude vacillait sur son iris.

S'approchant doucement, elle s'asseya sur le bord du lit, nerveuse elle tritura la courtepointe du bout des doigts. Par où commençer ? Que lui dire ? Il n'allait pas lui façiliter la tâche. Soudainement, elle se retrouva privée de la parole, les mots se bousculaient dans sa tête, mais elle n'arrivait pas à les mettre en forme. Oscar ne savait plus comment aborder André. L'ami d'enfance, l'amant était devenu un roc silencieux. Plus dure, plus abrasif chaque jour passant.

Sa main glissa lentement jusqu'à trouver celle de son ami, y caressa la peau rugueuse, dessina des arabesques sur d'anciennes cicatrices, suivit le sentier de veines bleutées. Il frémit sous ses doigts.
Elle la serra convulsivement entre ses doigts fins, si effilés, entre les siens fort et épais.

- André nous avons survécu à la révolution, nous y avons aussi perdu tant d'amis.
Le souvenirs de ses hommes combattant à ses côtés la hantait.
- Lassalle a donné sa vie pour nous... Ne lui fais pas ça, ne nous fais pas ça.
J'ai promis de suivre et d'obéir à l'homme que j'ai choisi... Toi !
Tu ne me protéges pas en m'excluant. Chaque jour loin de toi est une mort lente, plus douloureuse que ces blessures.
Elle porta la main d'André sur sa poitrine, à travers la fine chemise de batiste, il sentit les cicatrices
sur sa peau.
- Tu m'aimes, je le sens là dans le tremblement de tes doigts, dans le son de ta voix rauque et basse... dans ton indifférence.
Elle le vit ouvrir la bouche.
- Non, tu as promis de m'écouter, c'est toi que je veux, l'homme que j'ai vu grandir à mes côtés, celui que tu es aujourd'hui, celui que tu seras demain. Je veux être la lumière guidant tes pas. J'ai fait un voeu pour noël, celui de m'éveiller dans tes bras... ne me le refuses pas. Ne nous le refuses pas.

André avait beau essayer de l'oublier, de l'ignorer, Oscar se rappeler à son souvenir. Le bruit de ces pas, le frémissement de sa voix, son rire, un simple soupir, elle était ancrée dans ses veines tel un poison. L'éloignement lui avait paru l'unique solution. Il souhaitait qu'elle soit heureuse. Il ne pouvait imaginer qu'elle passe sa vie à s'occuper d'un infirme. Il avait dû faire un mauvais calcul entre ce qu'il voulait et ce qu'Oscar souhaitait. En fait, son équation n'avait pas le bon résultat. Sans plus tergiverser, il se jeta dans ses bras.

- Je t'aime Oscar, chuchota t-il à son oreille.
Je suis à toi, si tu le veux encore.
Oscar couvrit son visage de baisers. Il n'y avait pas besoin d'autre réponse.

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24 Décembre 1795,


Oscar, André pelotonnés sur le divan du petit salon riaient aux éclats. Les grognements et les ahanements d'Alain ainsi que ces gesticulations étaient du plus comique.

- Peste soit les bonnes femmes.
Un sapin, un sapin dans une maison, et puis quoi encore. On ne m'y reprendra plus.
Il lâcha subitement le dit conifère et se planta devant André.
- T'as beau être aveugle, mais que ça ne t'empêche pas de me donner un coup de main.
J'ai besoin de deux bras musclés, alors mon vieux DEBOUT !


- Joyeux Noël mon amour, souffla André avant de se dégager de l'étreinte chaude d'Oscar, il se dirigea
d'un pas leste jusqu'au seuil de l'entrée. Ne le quittant pas des yeux Oscar ne put réprimer un soupir de bonheur. Qui pourrait deviner que son mari était aveugle ? Il se déplaçait dans la maison comme n'importe lequel d'entre eux. Qui pourrait imaginer qu'il y a seulement cinq ans, ils vivaient comme deux inconnus sous le même toit ? Parfois, les voeux se réalisaient. Sur un sourire, Oscar rejoignit son compagnon et Alain.


Oui, parfois, il suffisait d'un voeu pour changer le cours d'une vie, ne put-elle s'empêcher de penser
en levant les yeux vers l'étoile polaire. .


FIN
Review Un voeu pour Noël


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