Prologue : Oscar François Jarjayes
La maternité de Versailles City était habituée à Louise Jarjayes. La femme n’en était pas à son coup d’essai. Elle avait en effet mis au monde six magnifiques filles, au grand désespoir de son époux, August Jarjayes. Ce dernier pestait toujours à chaque fois que sa femme accouchait, se demandant pourquoi elle s’entêtait à ne mettre au monde que des filles. Et puis, ce n’était pas très sociétal de la part de Louise : les femmes étaient déjà en surnombre, alors pourquoi en rajouter ?! Elle n’en avait donc rien à faire, de l’écosystème ?
Pour la septième grossesse, August avait refusé de vérifier le sexe de l’enfant avant. Cela lui « avait porté la poisse » les six premières fois, alors il n’allait pas s’y laisser prendre encore une fois ! Louise accouchait donc pour la septième fois, criant et soufflant. Habitué au procédé, August s’était fait anesthésier la main et ne sentait donc rien des griffures et autres morsures que sa tendre épouse y infligeait pour supporter son accouchement.
Lorsque le travail fut terminé, la sage-femme, annonça :
– C’est une sublime petite princesse. Elle a les yeux bleus, comme les six autres.
– Oh non, c’est pas vrai ! s’époumona August.
– Je vous demande pardon ? s’étonna la sage-femme, qui, étant nouvelle, ne connaissait pas la malédiction des Jarjayes. Au pire, elle pourra toujours mettre des lentilles…
– Mais non, drôlesse ! s’indigna Jarjayes. Je ne parle pas de ses yeux !
La sage-femme fronçait les sourcils. Cet homme était un sacré excentrique.
– Veuillez nous laisser, demanda soudainement Louise. Je vous prie, je dois m’entretenir en privé avec mon mari.
La sage-femme haussa les épaules. Elle mit la petite dans les bras de sa mère et sortit en leur disant qu’ils avaient trois jours pour lui donner un nom.
– Tu ne vas pas recommencer, August ?
– Mais Louise…
– C’est une fille, une adorable fille ! cria Louise en embrassant son bébé. Et nous allons l’aimer ! Tu ne vas pas ressasser tes histoires de fraternité jusqu’à la fin des temps !
August fronça les sourcils en rougissant.
– Louise, je te dis que les Delta Sigma Beta m’ont refusé de manière tout à fait injuste, tout ça parce que ce pleutre de Michael Rozenblum était jaloux que je sois allé avec toi au bal de promo du lycée !
Louise soupira bruyamment.
– Cette histoire est vieille de plus de douze ans !
– Mais quand même ! Je veux qu’un Jarjayes entre dans la fraternité des Delta Sigma Beta. Et comme elle est masculine, c’est impossible si tu t’entêtes à faire uniquement des filles !
– Ah parce que c’est ma faute ?! hurla Louise. Non mais je rêve ! Tout ça parce que tu n’es pas fichu d’entrer une imbécile fraternité !
– Quoi, quoi ?! J’avais tout pour y être ! J’étais quatterback, j’étais cool, j’étais meilleur de ma classe et j’avais une voiture !
– Une vieille buick toute défoncée !
– En attendant, c’est sur cette vieille buick que nous avons conçu l’aînée !
Rougissant, Louise le foudroya du regard.
– Tu sais quoi ? Cette comédie a assez duré ! Nous ne concevrons plus rien. Je me fais ligaturer les trompes aussitôt que possible.
– Quoi ? Mais non, Louise, tu ne peux pas faire ça !
– Non mais je rêve ! Mon utérus n’est pas une usine ! Je jure qu’aucun enfant supplémentaire ne sortira de moi !
– Tu n’as pas le droit !
– Non mais tu te crois où, là ? Dans la France du XVIIIe siècle ? On n’est pas en 1700 et quelques !
August soupira ; que n’eût-il pas donné pour y être. A l’époque, les femmes savaient se taire…
Le couple Jarjayes se disputa à faire vibrer les murs de la maternité. Puis, comme toujours pour les couples solides (c’est ce que disait Louise), ils finirent par trouver un compromis. C’est ainsi que naquit Oscar François Jarjayes, fille destinée à devenir un garçon. |