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Note au lecteur: La présente fic fut écrite dans le cadre d'un concours (concours de Noël 2012 sur le site de Nicole). Il y avait des contraintes à respecter dont une liste de sujets imposés et une banque de mots à inclure. Cette dernière contrainte expliquera le caractère sans doute un peu étrange de certaines phrases.

Sur ce, bonne lecture !

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Ton sourire en étendard

«Et c’est parfois dans un regard, dans un sourire que sont cachés les mots qu’on n’a jamais su dire.» Yves Duteil

I. L’ironie de l’adage

24 décembre 1787

Bien à l’abri de la tempête qui soufflait, une mésange s’était posée sur l’appui enneigé d’une fenêtre. Le volatile, avec sa petite tête noire courbée, avait des airs de nonne en prière. Mais c’était prêter là de bien nobles – et complètement futiles - intentions à un oiseau qui n’avait été en somme qu’alléché par le chapelet de baies rouges qu’une main intentionnée avait parsemées sur ledit rebord de pierre. Les baies paraissaient d’autant plus rouges qu’elles tranchaient avec l’immaculée de la neige, pareilles à de minuscules rubis enchâssés dans un écrin de velours blanc. La mésange se pencha à nouveau, picora un deuxième, puis un troisième fruit. Se redressa pour trottiner vers le suivant lorsqu’un éclat de voix la fit stopper. Curieuse, elle s’approcha avec précaution de la paroi froide de la vitre, inclina sa tête sur le côté, puis regarda ce qui avait bien pu provoquer tout ce boucan. Dans l’obsidienne de ses yeux, se refléta une bien curieuse scène.

De l’autre côté de la fenêtre embuée, gesticulait une petite femme replète, dont les lunettes posées sur un nez mutin et la mine rougeaude rappelaient étrangement la Mère Noël. La comparaison s’arrêtait néanmoins là, car jamais, au grand jamais, on aurait vu le bras de la mythique femme prendre son élan avant d’assener un violent coup de louche sur le coin d’une table. Geste qui aurait été sans doute anodin si, sur ladite table, n’avait été affaissée une tête blonde – affaissée pour un temps seulement, car aussitôt que la louche claqua sur le bois du meuble, la tête s’était immédiatement redressée en un arc doré parfait.

- Allez, réveille-toi, Oscar ! Hop, hop, hop ! Non mais ! Depuis quand ma table fait-elle soudainement office de lit, hein ? Ça écluse à qui mieux mieux dans les tavernes, ça joue à l’homme – quelle folie de t’avoir élevée en garçon aussi ! -, et ensuite, ça vient cuver sa vinasse dans ma cuisine ! Une veille de Noël par-dessus le marché ! Et puis quoi encore ?

- Je ne cuve absolument rien, Grand-Mère ! protesta véhément la dénommée Oscar pour sa défense. Enfin... un verre... ou peut-être deux... Rien de plus, je t’assure !

La louche, brandie par cette vieille femme que tous surnommaient Grand-Mère, s’arrêta soudain à quelques pouces du visage de la défenderesse :

- Ne fais pas l’hypocrite, Oscar de Jarjayes ! Tu sens le fond de tonneau jusqu’ici ! Et regarde ton accoutrement : une vraie honte ! (La louche, telle un doigt divin rendant justice, pointa le col bâillant de la chemise ainsi que la tignasse indomptée de l’interpellée.) Aurais-tu oublié que nous recevons ce soir toutes tes sœurs ainsi que leur famille ?

Puis, sans laisser le temps à Oscar de répondre, Grand-Mère enchaîna, toujours dans un même souffle:

- Sûrement parce que si tu t’en étais rappelé, tu n’aurais pas été te vautrer dans quelque gargote crasseuse !

- Mais...

Vlan ! D’une main leste, la vieille femme assena un second coup de louche sur la table. Si Oscar de Jarjayes était passée maître à l’épée, sa nourrice, elle, excellait dans l’art de terroriser son petit monde par le seul brandissement de sa célèbre louche. D’ailleurs, plus d’une fois avait-elle dû corriger les enfants qu’avaient été André et Oscar avec cet instrument de cuisine. « Il n’y a pas de plume tombée sans oiseau plumé ! » les sermonnait-elle alors de sa voix chevrotante. Un proverbe galvaudé afin de faire comprendre aux deux gamins d’autrefois que ces mesures coercitives n’avaient que pour but de parfaire leur éducation.

- Et n’essaie pas de te racheter en me disant que tu vas me prêter main forte ! Parce que ce n’est certainement pas toi, jeune fille, qui va m’être utile ici ! Si je me souviens bien, la dernière fois que je t’ai demandé de fouetter les œufs, tu es allée chercher un fouet dans l’écurie. Seigneur Marie Joseph, si je ne t’avais pas vue à temps, je me demande bien quelle sottise tu aurais commise !

- Franchement, Grand-Mère ! s’offusqua Oscar d’une voix haut perchée. J’avais quoi ? Huit ans ? Tu me ramènes toujours cette vieille histoire dès que je...

- Dix ans, la corrigea André.

Le jeune homme, les bras croisés nonchalamment sur sa large poitrine, était adossé contre le chambranle de la porte. Une lueur d’amusement lui égayait l’œil, alors que ses lèvres charnues étaient retroussées en un sourire moqueur. Ah ! N’avait que sa grand-mère pour oser parler ainsi à l’indomptable colonel de Jarjayes – elle et Monsieur, le maître de céans, en fait - et André trouvait toujours cela extrêmement divertissant – à plus forte raison lorsque les coups de louche étaient destinés à quelqu’un d’autre que lui.

- Oh toi, gronda aussitôt Oscar en dardant sur le nouveau venu un regard courroucé, si tu es venu ici pour te liguer contre moi, tu peux très bien rebrousser chemin !

- Bonjour, Oscar. Content de te voir. Toujours d’aussi excellente humeur à ce que je constate, persifla son ami en prenant place à ses côtés.

D’un geste rapide, il chaparda une pomme de la corbeille en osier qui trônait sur la table et y mordit à belles dents. Tout cela sans se départir de son insupportable sourire goguenard.

« C’est ça, moque-toi, André Grandier ! »

- On voit bien que ce n’est pas toi qui vas devoir faire bonne figure pendant des heures, marmonna la jeune femme. Tu sais pourtant à quel point j’ai tout ce cérémonial en horreur. J’entends déjà ma sœur, Constance, me vanter les talents de son petit dernier : « Oh mais vous savez, Oscar, que Machin-Chouette peut maintenant se moucher tout seul ? » Et moi de rétorquer d’un air intéressé: « Oh, vous m’en voyez fort enchantée, ma chère ! Enfin, monsieur votre fils va cesser de se servir de mon uniforme comme d’un vulgaire mouchoir ! » Ou encore, mon pédant de beau-frère discourir sur la conjecture économique inhérente au commerce triangulaire et tout cela en me toisant de haut parce que je n’y connais foutrement rien !

Et la louche de marquer son mécontentement une énième fois.

Vlan !

- OSCAR ! Surveille ton langage ! Je te rappelle que tu es dans ma cuisine ici et non dans une taverne ! Et toi, espèce de mauvais plaisant, ajouta Grand-Mère en se tournant vers son petit-fils, cesse de pouffer ! Si tu penses que je n’y vois pas assez clair pour voir ton petit air suffisant, jeune homme, eh bien, tu te trompes !

Et revlan ! Non pas sur la table cette fois-ci, mais sur la tête d’André qui avait, le temps d’un sourire, oublié la place qui lui incombait, c’est-à-dire celle de l’humble serviteur.

- Aïe, Grand-Mère !!! se lamenta-t-il en se frottant le sommet de la tête.

- Maintenant, si tu as fini de faire le malin et de te moquer de ma petite Oscar...

Alors que la vieille femme avait le dos tourné, la « pauvre petite Oscar » en profita pour tirer la langue à son ami.

« Nan, nan ! Bien fait pour toi, fripon ! »

-...j’aimerais que tu ailles me chercher la bouteille d’huile de pépins de raisins dans le garde-manger. Une bouteille en faïence, jaune si je me souviens bien, qui doit être sur la tablette du haut – donc inatteignable pour moi. Allez, fais ça pour moi, mon petit, veux-tu ? Moi, pendant ce temps...

Grand-Mère déposa sa louche sur son plan de travail, essuya ses mains enfarinées sur le devant de son tablier, puis dénoua les cordons de ce dernier. Elle prit le temps de le suspendre à l’accroche torchon fixé au mur avant de poursuivre :

-...je vais aller dresser la table. MAIS ! (Grand-Mère les regardait par-dessus ses lunettes tout en brandissant vers eux un index sentencieux.) Je vous interdis de toucher à quoi que ce soit dans cette cuisine, est-ce bien compris ?

André et Oscar, qui n’étaient plus des gamins depuis bien longtemps, répondirent en chœur :

- Oui, Grand-Mère. C’est compris, Grand-Mère.

Non, en effet, ils n’étaient plus des enfants. Mais les années et les mauvaises expériences avaient appris à Grand-Mère qu’il valait mieux se méfier de ces deux-là, à plus forte raison lorsqu’ils étaient réunis.

Oh qu’elle ne croyait pas si bien dire !

Néanmoins, malgré toute sa sagesse, jamais Grand-Mère n’aurait pu prévoir le dénouement de cette histoire.

Non, ça jamais.

Mais comme le disait si justement la brave femme: «Il n’y a pas de plume tombée sans oiseau plumé!»
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