Auteur : ZalZal Hits : 2281
Lady Oscar > Romance > Vaillant petit soldat et colonel de porcelaine >
Note au lecteur: Cette fic a été écrite pour le concours de Noël 2011, concours qui est organisé chaque année sur le site de Nicole. Certaines conditions devaient cependant être respectées, à savoir le sujet (il y avait une liste de sujets dans laquelle nous pouvions choisir) ainsi qu'une banque de mots à insérer (je vous épargne ici la liste de ces derniers).

Finalement, je tiens à féliciter les autres auteurs qui ont également participé à ce concours: Liberta, Karaline, Amber Queen, Maria et Giallo.

Je terminerai en vous envoyant mes meilleurs voeux en ce début d'année.

********************

Vaillant petit soldat et colonel de porcelaine


Il était une fois – car n’est-ce pas ainsi que commencent les contes ? Par ce sésame qui vous amène dans les méandres d’un récit, par cette fenêtre embuée qui dévoile peu à peu la vie de personnages de papier ?

Laissez-vous donc bercer par les mots de ces pages, tout doucement. Laissez-vous porter par le traîneau de ces phrases jusqu’au dernier tournant dissimulé dans le mot fin.

Laissez battre votre cœur à l’unisson de celui de ce vaillant petit soldat.

Laissez-le devenir réalité...

...le temps de cette histoire.

******

Il était une fois, un petit soldat qui répondait au nom d’André Grandier. Oh ! Il n’avait de petit que son grade – petitesse de la hiérarchie militaire - et son patronyme auquel manquait une particule de noblesse. Outre ces détails qui sembleront trivialités pour certains (mais ô combien désespérants pour celui à qui ils manquaient !), cet homme ne pouvait certes pas être défini par l’épithète « petit » aussi bien en ce qui avait trait à son physique – qu’il avait avantageux, selon ces dames – qu’à sa bonté de cœur.

Larges d’épaules et pourvu d’une charpente ciselée de muscles, il possédait tous les attributs afin d’exceller dans un corps soldatesque... si ce n’était qu’il était borgne. Il tentait bien de camoufler son œil aveugle par une voletée de mèches qu’il avait d’un noir de jais, mais les regards compatissants qu’il croisait lui rappelaient sans cesse sa condition, son imperfection.

La deuxième faille de notre soldat, son talon d’Achille en quelque sorte, était son cœur. Mais comment un cœur pur comme le sien s’avérait-il être un défaut ? À vrai dire, cela en était plus un pour lui que pour les autres qui louaient continuellement sa grandeur d’âme. C’est que la capacité d’aimer de ce vaillant grenadier le faisait davantage souffrir que l’emplir de bonheur. Il aurait d’ailleurs préféré être un soldat de plomb comme ces jouets avec lesquels il s’amusait enfant. Car le plomb l’aurait immunisé, défendu de cet amour qui lui étreignait la poitrine chaque fois qu’il caressait de son œil d’absinthe la porcelaine de son visage à ELLE.

« Elle » en lettres capitales dans son esprit, car si chère à son coeur ! Si chère d’ailleurs que le brave soldat avait destiné sa vie à la protéger. Elle, le fier et fougueux Colonel. Elle qui l’éblouissait tant par sa grâce lorsqu’elle maniait l’épée. Elle dont la droiture et l’honneur avaient été les moteurs de ses actions. Elle qui semblait invincible, mais que son œil veillait tendrement. Elle qui était tout pour lui, bien qu’elle demeurât sourde à son amour.

Mais comment un misérable comme lui aurait pu rivaliser avec le gentilhomme dont s’était éprise son aimée ? Ce comte qui, tel un diablotin sorti de sa boîte, avait quitté sa Suède natale, et qui avait réussi à émouvoir, pour la première fois, le cœur de femme du colonel de porcelaine.

« Ah, Oscar ! »

Le petit soldat soupira, émit une sorte de gémissement plaintif qui vida ses poumons de toute son amertume. Son souffle s’échappa en volutes hors de sa bouche tant l’air était froid, d’un froid glacial qui vous mordait la peau de ses milliers de dents et vous faisait ployer l’échine en quête d’un peu de chaleur.

« Ah mais, je suis tel que je suis ! Pourquoi Oscar daignerait poser ne serait-ce qu’un seul œil sur moi ? J’ai été élevé à ses côtés, certes, mais je n’en demeure pas moins un roturier. Pire, elle me considère comme son frère. Tombe-t-on amoureuse d’un frère, André, hein ? Non et tu le sais très bien ! Alors, cesse de croire aux contes de fées, bon Dieu ! »

Il finissait de harnacher le cheval d’Oscar, ce bon vieux Furie (dont la placidité et le caractère docile auraient dû lui valoir un autre nom. Cette appellation seyait sans doute davantage à sa cavalière...), lorsque le grincement de la porte des écuries lui fit suspendre son geste. Le panneau entrouvert laissait filtrer un rai de lumière, nimbant ainsi d’un faible halo l’arrivant. Le soldat Grandier plissa les paupières, tentant de deviner à qui appartenait cette silhouette filiforme qui se dessinait à contre-jour.

- André ? interrogea l’apparition. Tu as terminé de seller les chevaux ? Nous pouvons y aller ?

Le prosaïsme de ces questions n’éluda point la musicalité de la voix. Une voix de contralto qui n’appartenait à nul autre qu’au colonel de porcelaine, Oscar de Jarjayes.

Aussitôt au fait de l’identité de son visiteur, le soldat se redressa, bomba imperceptiblement le torse (ah ces hommes ! Tous les mêmes ! Aussitôt qu’une demoiselle se pointe et ils sont là à jouer les paons !) et répondit d’un ton protocolaire :

- Oui, Colonel. Tout est fin prêt. Je n’attendais que vous.

- Oh, André, cesse ces simagrées, veux-tu ! Nous ne sommes plus à la caserne que diable ! le réprimanda le blond officier en s’approchant.

Oscar n’était maintenant qu’à quelques foulées de lui. Il pouvait voir les escarboucles de ses prunelles miroiter dans la pénombre du bâtiment.

D’une voix plus basse, elle précisa :

- Tu n’as pas à m’appeler ainsi quand nous sommes seuls, tu le sais bien. Pas toi, André...

- L’habitude, Oscar, l’habitude, maugréa-t-il en haussant les épaules.

Il la débarrassa de son havresac qu’il fixa d’un geste habitué à la selle puis lui tendit les rênes. De sa main gantée, le Colonel s’empara de ceux-ci, effleurant furtivement au passage les doigts rougis par le froid de son compagnon. La main masculine s’envola aussitôt, comme choquée par ce simple toucher, pour venir se poser sur le flanc frémissant de Furie.

- Passe devant. Je te rejoins à l’instant, l’enjoignit le soldat en se raclant la gorge.

Et c’est ainsi que, la veille de Noël, s’en allèrent nos deux comparses, trottant côte à côte sur le chemin qui menait à la demeure familiale des Jarjayes. Ils laissaient derrière eux le supérieur et le subordonné pour redevenir, le temps d’un congé, les frères qu’ils avaient toujours été.

Du moins, dans l’esprit de l’un d’entre eux.

Car dans le cœur du deuxième, il y avait belle lurette que le frère avait disparu...

******

Les deux compagnons avaient d’abord devisé d’un ton badin de leur quotidien à la caserne. Oscar se montrait très fière des progrès que ses hommes avaient accomplis sous son commandement, eux qui, il n’y avait pas si longtemps, étaient pourtant définis par des qualificatifs comme « fainéants », « désordonnés », et « compagnie de débauchés » (nous vous épargnerons ceux qui ne pourraient être retranscrits ici tant leur familiarité serait impropre au contexte de ce récit). Puis, la conversation avait dérivé sur la finalité de leur voyage: le retour au bercail, la fête de Noël que l’on passerait entouré des siens.

- Je n’ai pas l’affront de me plaindre de ce que l’on nous sert au casernement, mais je me régale déjà à la pensée de retrouver la cuisine de Grand-mère, commenta André dont le ventre ne manquerait pas de faire honneur aux plats mitonnés par sa chère aïeule : la traditionnelle dinde farcie aux marrons, le jambon tendre qui aura mariné dans son bouillon des heures durant dans la vieille marmite d’airain - marmite que la cuisinière prévoyante aura suspendue dès l’aurore dans l’âtre -, l’oie fumante dont le doré trancherait avec l’immaculé de la nappe, les bijoux colorés des groseilles rubicondes et des perles de pois, la rissole aux pommes et aux prunes, les tourtes au miel et à la confiture, la bûche de Noël dont la crème chocolatée mousserait à chacune des extrémités, les amandes grillées que la main du jeune homme chiperait dès que Grand-mère aurait le dos tourné, les biscuits glacés, les bols de cristal qui irradieraient de l’arc-en-ciel d’une myriade de friandises – dragées bigarrées, fruits confits et minuscules louches en chocolat.

- Tu ne penses qu’à ton estomac ! Avec ton appétit, ça m’étonne que tu ne sois pas plus gros ! se moqua Oscar en se tournant vers son ami.

- « Plus gros » ?! tiqua André. Non mais, attention Colonel ! Serait-ce une déclaration de guerre ?

- Pff ! Pourquoi commencerai-je une guerre que je suis sûre de gagner ?

- Si nous nous battions à l’épée sans doute, mais...

La main du jeune s’était tendue vers les arbres qui bordaient la route et en dénuda de neige l’une des branches.

-... pas à une bataille de boules de neige !

Puis, dans un arc parfait, la main projeta la blanche munition sur le bicorne de feutre du Colonel. Touchée, la coiffe s’échoua sur le sol dans un chuintement à peine perceptible car couvert par le rugissement de sa propriétaire.

- ANDRÉ GRANDIER !!! Comment oses-tu ?! Tu n’es plus un enfant que diable !

« Ah ça, je te l’accorde, chère Oscar. Je me demandais seulement si tu t’en étais rendue compte... »

Elle s’était retournée vers le coupable sur lequel elle dardait un regard furibond.

- Je ne fais que répondre à vos provocations, Colonel. Soyez beau joueur, rétorqua malicieusement André en lui envoyant une deuxième boule de neige.

Projectile qui atteignit le visage de sa cible. Dans le mille !

- Ah oui ? Alors, on va bien voir qui va gagner, marmonna la jeune femme en mettant pied à terre.

Rageusement, elle s’essuya le visage du revers de sa manche. Elle ploya ensuite son corps gracile pour cueillir le chapeau tombé au sol et se le rabattit prestement sur la tête – ce qui lui donnait un air passablement ridicule, puisque le bicorne était beaucoup trop enfoncé, mais ce n’était certainement pas le moment de lui en faire la remarque. Les femmes sont toujours chatouilleuses en ce qui a trait à leur apparence et, sur ce point, Oscar ne divergeait pas de ses consoeurs.

- Tu vas me le payer, chenapan, se promit-elle en modelant une balle de ses deux mains. Ah ça oui, tu vas me le payer...

Mais le « chenapan » en question (Dieu que cela faisait une éternité qu’on l’avait appelé ainsi ! Habituellement, cette épithète introduisait un cuisant coup de louche...) ne resta évidemment pas immobile sur sa monture. Il ôta lentement ses pieds des étriers, passa sa jambe droite par-dessus la croupe de l’animal puis sauta avec souplesse sur le sol. Tout cela, sans que la moindre boule de neige ne l’effleurât. En fait, les projectiles fouettaient l’air à ses côtés, mais le manquaient invariablement.

- Sans doute ne suis-je pas encore assez gros, Oscar, car tu ne cesses de me manquer... Ou est-ce le fait qu’habituellement tu t’exerces sur des cibles fixes ?

- Je vois que la fréquentation d’Alain t’aura délié la langue...

La fin de la phrase se perdit dans une pléthore d’injures lorsque Oscar fut touchée à nouveau par son adversaire.

- Que disais-tu, ma chère ? Je n’ai pas compris ce que tu grommelais. Tu sais qu’il est impoli de parler la bouche pleine ? Si, si, même s’il s’agit de neige !

- Je disais que tu ressembles à Alain lorsque tu parles ainsi ! Et ce n’est pas un compliment, crois-moi !

Elle manqua une fois de plus son compagnon. Argh ! Si celui-ci pouvait cesser de la déconcentrer avec ses inepties, aussi !

- Pour une fois que quelqu’un ose t’affronter, tu devrais en louer l’exploit ! Évidemment, je fais référence à Alain; moi, je ne faisais que noter ton manque d’aptitudes pour ce type de combat. Ce qui, en somme, ne porte pas vraiment à conséquence, tu en conviendras...

- « M’affronter », « exploit », « oser » ?! Tu parles de moi comme d’un tyran, morbleu ! Tu sauras que je suis au contraire très...euh...très...

- Susceptible ? avança André.

- Voilà !

Soudain, elle saisit ce que son ami avait dit :

- « Suscep... » Mais non !!! Pas du tout !!!

Elle canalisa toute sa rage – le mot « rage » est évidemment relatif. Il faut seulement comprendre qu’Oscar n’aimait pas du tout perdre – dans la sphère de neige qui se trouvait dans l’écrin de ses mains.

Puis, elle inspira profondément...

...leva lentement le bras droit au-dessus de sa tête telle une catapulte que l’on tendait...

...exerça dans l’air plusieurs moulinets de ce bras armé...

...plissa les yeux afin de focaliser toute son attention sur ce bipède gesticulant qui sifflotait "Vive le vent" comme si de rien n’était (ce qui eut évidemment pour effet de l’exaspérer davantage. Et non, elle n’était pas susceptible, mais sa patience avait des limites, sapristi !)...

...et lança finalement ladite boule de neige.

La trajectoire était parfaite. L’arme percuta de plein fouet André.

- TOUCHÉÉÉÉÉÉ !!! hurla Oscar en lançant son bicorne dans les airs.

Mais quelque chose clochait...

André était à genoux dans la neige et une main crispée dissimulait le côté gauche de son visage. Le côté de son œil invalide.

- Argh... mon... œil, gémissait-il.

Les yeux d’Oscar s’agrandirent d’horreur. Oh Dieu du ciel, qu’avait-elle fait ? Jamais elle n’avait voulu viser l’œil de son ami. Ce n’était qu’un jeu après tout...

N’est-ce pas ? Qu’un jeu...

Muselant ses craintes, la jeune femme laissa la place au Colonel. Ne devenant ainsi que réflexes, que jambes filant à toute allure, elle se précipita vers le corps recroquevillé dans le linceul de la neige.

- Oh André, arriveras-tu à me pardonner ? Je te jure que je n’ai pas cherché à atteindre ton œil, je... Oh mon Dieu, oh mon Dieu..., ne cessait-elle de psalmodier.

Ses folles mains tentaient de dégager le visage du blessé afin de constater de visu son état.

La large main d’André s’ouvrit, tel un volet sur une fenêtre, pour rester là, béante...

...sur un sourire éclatant de blancheur.

Quant au visage d’Oscar, il sembla se figer : les yeux ne cessaient de fixer ce satané sourire; les lèvres s’étaient pincées en une ligne exsangue. Seules les narines se mouvaient : elles palpitaient frénétiquement, véritables baromètres de la colère qui montait, montait, montait...

- TRIPLE BUSE !!! MAIS QU’EST-CE QUI T’A PRIS ?! AS-TU PERDU LA TÊTE OU QUOI ???

Puis, de ses petits poings, elle frappa le torse du farceur tout en poursuivant son chapelet d’injures :

- IMBÉCILE ! SANS CERVELLE ! ESPÈCE DE...DE BABET, DE COQUART !!! DE DÉBILE ENDIMANCHÉ !!!

(Quand nous affirmions que ce n’était point le cheval qui aurait dû se prénommer Furie, vous en avez ici un parfait exemple.)

- Tu connais encore beaucoup de mots pour me dire à quel point je suis idiot ? rétorqua placidement le jeune homme. C’est qu’à chaque fois, l’étendue de ton vocabulaire dans ce domaine n’a de cesse de m’étonner...

- J’AI CRU QUE TU ÉTAIS BLESSÉ ET TOI, TU TE MOQUES DE MOI ?! COMMENT PEUX-TU ?!

André tenta bien de contenir tout cet emportement, ces poings qui pleuvaient sur lui, cette grêle interminable qui lui martelait le corps. Il emprisonna du carcan de ses bras cette tornade qu’il avait inconsciemment (euh...pas si inconsciemment que cela en fait...) libérée, essaya de maîtriser les ardeurs de ce frêle corps contre le sien, mais rien n’y fit. Il n’eut d’autre choix que de renverser son assaillante sur le sol...

- Aïe ! Mais tu me fais mal, Oscar !

- Bien fait pour toi, vaurien !

...et de l’immobiliser – enfin ! Non mais, quelle tigresse ! – en s’assoyant sur elle.

Et c’est là qu’André prit véritablement conscience de la position dans laquelle ils se trouvaient : elle, fragile oiseau haletant sous lui, l’éventail de sa chevelure éparse tapissant la neige telle la queue d’une comète qui aurait fendu le ciel; lui, sur elle, qui lui emprisonnait la taille de toute la force de ses cuisses contractées. On n’entendait que leurs respirations saccadées, étrange duo interprété par l’instrument de leurs deux corps éreintés. L’émeraude de son œil s’attarda sans le vouloir sur cette poitrine palpitante, sur le velouté de ces joues, sur cette bouche entrouverte... Une bouche luisante de provocation, rouge comme cette passion qui tambourinait à ses tempes. Une invitation pulpeuse à être goûtée, caressée, scellée par ses lèvres. Le regard masculin, redevenu soudain bien sérieux, s’ancra à l’océan du sien. Des yeux si intenses, si troublants dans toute leur fixité ! Des yeux dans lesquels toute colère s’était dissipée pour laisser poindre un miroitement fugace... de curiosité ? D’intérêt ?

De désir ?

Mais la lueur mourut, comme ces éclats solaires sur l’écume des vagues. Avait-elle seulement existé ?


Embarrassé, le soldat (qui avait souhaité être de plomb, mais qui n’était certainement pas fait de bois) s’empressa de se remettre sur pieds. Galamment, il tendit une main vers sa partenaire afin de l’aider à se relever.

- Tu veux une claque ou quoi ?! Je ne suis pas une de ces péronnelles qui a constamment besoin d’une main secourable pour poser un pied devant l’autre ! Alors, pousse-toi ! ordonna Oscar d’un ton acerbe.

De son bras, elle repoussa la main offerte puis se remit tant bien que mal debout.

- Avec tous ces enfantillages, nous allons être en retard, bougonna-t-elle en époussetant de petites tapes son uniforme. Et je ne peux pas croire que tu as osé me faire une farce pareille. C’est d’un mauvais goût !

Comment André avait-il pu croire, ne serait-ce qu’un instant, qu’il s’était produit quelque chose, là, dans cette neige qui portait encore l’empreinte de leurs deux corps ? Qu’il aurait pu embrasser cette bouche féminine et qu’elle lui aurait répondu ? Qu’il aurait pu écrire son amour à coup de baisers sur le papier de sa peau ? Que cette femme l’avait regardé comme un homme et non plus comme un frère ?

« Balivernes ! »

- Tu as raison, Oscar, je n’aurais pas dû. Je suis désolé, s’excusa le jeune homme en se recoiffant de sa casquette.

- Ravale tes excuses ! J’ai assez perdu de temps à écouter tes sornettes !

Un flocon voltigea alors devant les yeux de la jeune femme, suivi d’un second qui atterrit sur le bout de son nez.

- Manquait plus qu’il se mette à neiger ! Non mais, vous vous êtes tous donné le mot pour me rendre cette journée insupportable ou quoi ? demanda-t-elle en levant la tête vers les cieux. On aurait dit qu’elle réprimandait Dieu lui-même pour ce revirement atmosphérique.

Mais si une quelconque main divine s’ingéniait à contrarier les plans du colonel de porcelaine, c’était peut-être parce qu’elle avait ses propres desseins...

******

Ce qui avait tout d’abord débuté par le ballet de quelques flocons hésitants, s’était rapidement mué en une violente soufflerie. Le tracé du chemin fut bientôt effacé par un désert blanc; l’horizon s’était dissipé derrière le rideau mouvant de cette tempête, rideau à travers lequel on ne distinguait plus que la luminosité effilochée du soleil.

Puis, la nuit s’installa tranquillement dans ce berceau secoué par les forces de la nature. Une nuit qui capturait dans son filet de neige deux voyageurs.

Or, pour se prévaloir du titre de « voyageur », nos héros se devaient de connaître l’issue de leur périple. Oh bien évidemment, ils connaissaient leur destination, à savoir le château des Jarjayes, mais dans ce nouveau paysage qui se dessinait sous chacun de leurs pas, dans cette marée où l’ancre du moindre point de repère venait d’être engloutie, il leur fut bien ardu de s’orienter. Partout où l’œil se posait, ce n’était que pour y être ébloui par une myriade de cristaux étincelants. Un spectacle d’une infinie blancheur... à perte de vue.

Le point B de l’itinéraire à présent éclipsé, le voyage se transforma logiquement en une errance. Le petit soldat et le colonel de porcelaine durent bien se rendre à l’évidence : ils étaient perdus.

- Oscar... ?

L’interpellée, dont l’humeur ne s’était point adoucie – au contraire : ces bourrasques imprévues n’avaient fait qu’exacerber son impatience -, faisait la sourde oreille. Le visage engoncé dans sa cape afin de se protéger tant bien que mal des assauts du vent, elle pestait. Son monologue ne se limitait qu’à une poignée de mots, mais la teneur de ceux-ci traduisait très clairement ses pensées. Le nom propre d’André, bien qu’invariable, s’accordait exceptionnellement dans ce soliloque avec les termes « foutu », « satané » et autres injures épicées.

- ...foutu gamin trentenaire qui me fatigue avec ses imbécillités...

Son compagnon obtint finalement une réaction lorsqu’il parvint à sa hauteur et qu’il tira sur les rênes de Furie.

- Non content de nous perdre, il faut en plus que tu tentes de me désarçonner ! le fustigea Oscar en lui assenant une tape sur la main.

- Et toi, veux-tu bien cesser de me faire la gueule ? Ou dois-je ramper à tes pieds pour que tu acceptes mes excuses ?

Oh les gros yeux qu’elle lui fit ! Oscar n’avait certainement pas l’habitude qu’on lui parlât sur son ton et surtout pas par André qui était habituellement un monument de patience. Mais la fatigue et la situation dans laquelle ils étaient tous deux acculés sablaient les fioritures du langage pour ne libérer que paroles brutes.

- Je te ferais remarquer que si nous nous n’étions pas arrêtés pour « folâtrer » dans la neige plus tôt, nous ne serions pas encore ici à tourner en rond !

- Ce que tu peux être de mauvaise foi ! Ce n’est pas cinq misérables minutes qui auraient changé quoi que ce soit à notre situation ! Alors, cesse de rejeter le blâme sur moi ! Je reconnais volontiers mes torts – et m’en suis déjà excusé -, mais là, désolé ma chère, je n’ai rien à voir dans le fait que nous nous soyons égarés !

Oscar inspira profondément. Digéra les paroles de l’ami. Puis, finalement, son visage se tourna lentement vers André. Elle avait à nouveau revêtu le masque stoïque du fier officier.

- Et que proposes-tu ?

- Il n’y a pas dix mille possibilités : soit nous continuons à l’aveuglette notre chevauchée – ce qui serait complètement irréfléchi -, soit nous dormons à la belle étoile – option également à écarter puisque nous n’avons pas du tout l’équipement nécessaire et risquons de mourir gelés-, soit nous nous réfugions dans cette cabane.

Et le bras du jeune homme de se tendre vers un point situé à la gauche d’Oscar.

Camouflé par les congères, l’abri aurait très bien pu échapper à un œil inattentif. Mais quand on a rien d’autre à faire que de fouiller la nuit parce que votre compagnon de voyage vous ignore, cette masse sombre sise dans la neige ne pouvait que capter votre intérêt.

- J’imagine que nous n’avons pas le choix..., admit Oscar à contrecœur. Nous reprendrons la route lorsque la tempête se sera apaisée. En espérant qu’il ne nous faille pas attendre des heures... On risque de s’inquiéter de notre retard.

Lentement, une à une, les pièces du destin se mettaient en place. Car parfois, la vie a besoin de ces étranges coïncidences, de ces revirements inespérés pour fleurir. Les sceptiques argueront qu’il ne s’agissait que d’événements fortuits. Certains parleront de magie, alors que les dévots crieront au miracle. Peu importe de quel côté vous pencherez. Mais, il existe des choses indéfinissables en ce monde qui dépassent tout entendement. Et c’est exactement ce qui était en train de se passer en cette veille de Noël.

Le petit soldat et le colonel de porcelaine n’étaient pas perdus.

Au contraire...

La providence veillait à ce qu’ils se trouvent enfin.

******

La cabane portait très bien son nom. Le bâtiment n’était en effet qu’assemblage de pierres sèches surmonté d’un toit biscornu. De l’intérieur, des planches de bois condamnaient l’ouverture de la seule fenêtre. Pourtant, malgré la rusticité des lieux, l’abri offrait la protection miraculeuse de ses murs pour nos deux voyageurs errants. Si l’œil ignorait les guirlandes de toiles d’araignées qu’éclairait maintenant la faible lueur d’une lanterne et que le nez se laissait le temps de s’adapter à l’odeur de renfermé qui y régnait, cet endroit se révélait somme toute beaucoup plus accueillant que ce dehors secoué par la tempête.

Acculée contre l’un des murs, une table bancale faisait office d’unique mobilier. Surplombant cette dernière, une tablette posée de guingois exposait une parade d’objets hétéroclites : bouts de chandelle consumés, jarres, ficelle, cartouches de fusil et un jeu de cartes aux couleurs fanées. « Probablement la cabane d’un garde-chasse », conclurent André et Oscar en balayant du regard tout ce ramassis de babioles.

Opposé à l’entrée, un foyer de pierres trônait. Vision enchanteresse que celui-ci avec ses promesses d’un feu de cheminée crépitant ! Car nos deux amis étaient frigorifiés. La neige avait trempé leurs habits et collé leurs cheveux en mèches éparses sur leur crâne; le froid les secouait encore d’incontrôlables tremblements.

Prévoyant comme à son habitude, André s’empressa d’allumer un feu et bientôt, la pièce fut baignée d’une douce chaleur. La cabane s’était soudain transformée en un immense jeu d’ombres dont le théâtre se trouvait à être ces parois de pierres. La fureur qui sévissait à l’extérieur était maintenant assourdie par le chant joyeux et pétillant des flammes.

Oscar s’était assise en face du foyer, les mains tendues devant elle afin de les réchauffer. Perdue dans la contemplation de ce feu rougeoyant, elle fut néanmoins tirée de sa rêverie par un bruit saugrenu...

Un bruissement de tissu.

- Veux-tu bien me dire ce que tu fabriques ? demanda-t-elle en tournant un visage agacé vers son compagnon.

La tête de ce dernier s’empêtrait dans la chemise qu’il s’apprêtait à retirer, exhibant ainsi les découpes d’un torse nu que venait parer d’un appétissant mordoré la luminosité des flammes.

- Mais...mais...qu’est-ce...qu’est-ce que tu...qu’est-ce que tu fais ?! balbutia la jeune femme, le regard écarquillé.

Elle pointait cette nudité dévoilée comme un prêtre aurait brandi sa croix pour chasser un démon. "Vade retro, Satanas" ! Mais quel démon tentait-elle d’exorciser au juste ? Celui qui se tenait devant elle dans toute sa beauté sculpturale ou celui qui venait de s’immiscer insidieusement dans ses pensées ?

« Seigneur, Marie, Joseph... Est-ce réellement André qui se tient là, devant moi ? Où est donc passé l’adolescent dégingandé de mes souvenirs ? »

- Je n’ai certainement pas l’intention..., commença le jeune homme d’une voix étouffée par l’épaisseur de son vêtement.

Finalement, une tête échevelée s’extirpa de la chemise, coiffure qui rendait André encore plus – « Oh mon Dieu ! Parlait-on ici de son ami de toujours, de son frère ?! » - aguichant.

-...de garder sur moi cette chemise trempée, Oscar. D’ailleurs, tu devrais en faire autant : tu ne cesses de grelotter, avisa son compagnon.

- Merci bien, mais je vais passer mon tour...

- Je peux me retourner, mademoiselle, si c’est ce qui vous dérange, ironisa André en accentuant le « mademoiselle » et démontrant par le fait même qu’il savait très bien pourquoi Oscar tenait à rester habillée. Je jure que je ne regarderai pas.

- Puisque je te dis que ça va aller !

- Si tu le dis...

Le jeune homme prit place aux côtés d’Oscar et - Dieu merci ! - il avait recouvert ses épaules, ainsi que celles de la jeune femme, de couvertures miteuses qu’il avait dénichées on ne sait où. Les pensées de notre Colonel purent donc reprendre le sentier pur et chaste qu’elles connaissaient habituellement. Un sentier confortable que celui-là. Connu. Routinier. Point à la ligne. Pas comme celui vers lequel son imagination s’était risquée un peu plus tôt. Oscar n’avait-elle pas souhaité, sur ce lit de neige, qu’André pose sa bouche sur la sienne ? Ne s’était-elle pas demandé quel goût pouvait avoir ses lèvres ? Là, à l’instant, lorsque ses yeux s’étaient posés sur ce corps d’homme à moitié dévêtu, ne l’avait-elle pas trouvé beau ? Et le comble de tout, la jeune femme n’avait-elle pas tenté d’imaginer le reste ?

« Ignominies que tout cela ! Il s’agit d’André, bon sang ! Un André diablement tentant, j’en conviens, mais André quand même ! Celui qui a grandi à tes côtés, ton meilleur ami, ton frère... »

Une voix perfide – sa conscience ? – s’insinua alors dans le flot de ses pensées :

« Oh André est beaucoup plus que cela, non ? Sûrement plus qu’un ami. Mais certainement pas un frère... Désire-t-on qu’un frère nous embrasse, Oscar ?»

- Foutaises, jura à voix basse la jeune femme.

André tourna vers elle un regard interrogateur.

- Hum ? Tu disais, Oscar ?

- Rien. Rien du tout. Rien qui en vaille la peine, à tout le moins, éluda-t-elle d’un geste las de la main.

Puis, elle se replongea dans la contemplation de ces fanions de flammes, de ces rouges, orangés, ocre de lumière qui dansaient sous ses yeux, qui l’hypnotisaient... mais qui ne la réchauffaient point.

Probablement parce qu’elle avait conservé son uniforme mouillé, Oscar ne cessait d’être secouée d’irrépressibles tremblements. Mais têtue comme elle était, elle préférait rester ainsi plutôt que de se départir du moindre morceau de vêtement. Déjà que toute habillée, de drôles d’idées lui passaient pas la tête...

- Approche, murmura alors André à ses côtés.

Perplexe, elle se retourna vers son compagnon. Il avait ouvert les bras et l’invitait à venir se réfugier contre lui.

Sous cette couverture de laine. Contre son torse nu...

- Allez, viens. Tu gèles. Cesse donc de jouer au fier colonel pour une fois... Tu auras l’air moins fière après si tu dois rester clouée au lit parce que tu es tombée malade.

Qu’elle le détestait quand il raisonnait ainsi ! Parce que, encore une fois, il avait raison, lui, le si réfléchi André, si sage et raisonnable comparativement à elle (quoique plus tôt, il s’était montré d’une parfaite bêtise...à son plus grand étonnement d’ailleurs. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait vu son ami sourire si franchement) !

Sans mots dire, elle se pelotonna donc contre lui, contre sa peau délicieusement tiède. Et toujours confinée dans ce silence que l’embarras confesse à certains gestes, elle se laissa étreindre par les bras de l’ami (« Tut, tut, tut ! N’avions-nous pas convenu qu’il représentait beaucoup plus que cela ? »), s’autorisa même à égarer sa tête contre la muraille de son poitrail.

Boum, boum, boum...

Boum, boum, boum...

Boum, boum, boum...

Le cœur du petit soldat s’affolait. S’affolait parce que jamais ses bras n’avaient enlacé de cette façon le corps du colonel de porcelaine. Non, jamais. Oh, ils l’avaient bien portée quand après une soirée de beuverie et de coups sur la gueule, elle s’était effondrée, ivre morte, sur le pavé. Il y a bien des années de cela, ils l’avaient même sauvée d’une noyade certaine. Mais prise ainsi, les bras amoureusement noués autour d’elle, non.

Jamais.

D’abord, parce qu’en cet instant, elle était pleinement consciente. Et qu’il ne saurait dire pourquoi ni comment, mais il y avait bien quelque chose qui prenait place entre eux deux. Un quelque chose d’indescriptible, mais qui était indiscutablement là. Dans cette lueur éphémère qu’il avait lue plus tôt dans son regard. Dans ces yeux bleus qui avaient fui pudiquement la révélation de sa peau nue. Dans ce silence que ni l’un ni l’autre ne voulaient maintenant briser. Dans cette tête échouée contre lui. Dans cette respiration saccadée qu’il écoutait comme s’il se fut s’agit d’une symphonie. Dans ce pouls accéléré qu’il percevait sous sa main, ces battements aussi fous et désordonnés que les siens.

Boum, boum, boum...

Était-ce donc cela la magie de Noël ? Ces morceaux de miracle auxquels il n’aurait jamais cru pouvoir goûter ? Ces moments qui lui semblaient intemporels tant il se sentait hors de tout, mais seulement ancré à elle ?

Le moment était sans doute opportun pour lui donner son cadeau. Il n’aurait pas voulu le lui offrir devant témoins. Pas ce genre de présent. Il aurait attendu d’être seul avec elle.

Comme maintenant.

D’une main fébrile, il farfouilla donc dans son sac et en sortit une boîte en bois de rose ornée d’une miniature peinte à la main.

- Joyeux Noël Oscar, lui souhaita-t-il en lui présentant la boîte.

Elle eut un faible rire.

- Tu as sans doute raison : depuis le temps que nous sommes partis de la caserne, il est probable que Noël soit déjà entamé...

Curieuse, elle s’empara néanmoins du petit compartiment de bois. Qu’elle soupesa. Qu’elle s’apprêta à secouer jusqu’à ce que André ne l’arrête.

- Ne vaudrait mieux pas. C’est fragile.

- Oh ! Fragile ? Mais qu’est-ce que ça peut bien être ?

Oscar était en en effet peu habituée à ce qu’on lui offrît un objet répondant à la caractéristique « fragile ». Parce que c’était habituellement féminin, donc impropre à son statut d’homme, en plus d’être inutile. Son père, le Général de Jarjayes, n’avait pas pour habitude de « pourrir son fils avec des futilités ». « Vous êtes un homme que diable ! Que voudriez-vous donc faire d’une poupée ? » avait-il répondu à la fillette de quatre ans qu’elle était jadis. Ce Noël-là, elle s’en souvenait encore, elle avait reçu une épée de bois... Un cadeau pratique et solide, nécessaire pour le futur militaire qu’elle deviendrait.

- Ouvre-la, tu verras bien ce qu’elle contient.

La jeune femme manoeuvra donc le fermoir ciselé de la boîte, puis en rabattit tout doucement le couvercle. Sur un écrin de velours noir, reposait une boule à neige en verre. À l’intérieur de celle-ci, flottait une fleur à peine éclose dont la corolle se déclinait en un camaïeu violacé. Si l’on secouait légèrement la sphère, un blizzard de flocons venait colorer l’eau de ses tourbillons poudreux.

Délicatement, Oscar extirpa le fragile globe de son carcan de velours. Curieusement, sitôt que sa main en toucha la paroi, les pétales diaphanes de la fleur frémirent, puis s’épanouirent pour exposer un cœur d’étamines dorées.

- Je n’ai jamais eu de cadeau si magnifique..., murmura une Oscar tout émue.

Elle n’était pas la seule à l’être...

Puisque la jeune femme était toujours blottie contre André, elle n’avait pu voir son œil s’écarquiller lorsque la fleur s’était lentement animée.

« Elle s’est ouverte. La fleur s’est ouverte », ne cessait-il de se répéter, incrédule. Avec émotion, il se rappela alors ce que lui avait dit l’étrange maître-verrier qui lui avait vendu le précieux objet.

- Cette boule contient une rose de Noël, jeune homme. Une fleur rare. Fragile. Capricieuse. Mais, elle n’en demeure pas moins inestimable, avait-il déclaré en pointant un index sentencieux vers André.

Puis, le vieil artisan s’était penché vers lui pour lui chuchoter à l’oreille :

- Elle n’éclora que pour un cœur qui vous aime, mon garçon. Alors, de grâce, n’offrez pas ce cadeau à la première jouvencelle qui vous fera les yeux doux ! Ce serait une insulte pour cette rose ainsi que pour mon travail !

Pensez-vous un instant qu’un être rationnel et sensé comme André Grandier a cru à l’histoire du vieil homme ? Le soldat n’avait acheté l’objet que pour sa beauté et pour cette singulière fleur qui semblait être le parallèle floral de sa chère Oscar. Certainement pas pour ces sornettes qui n’avaient probablement que pour but d’arnaquer un client crédule !

Pourtant, contre toute attente, la délicate corolle de la rose s’était ouverte.

Elle s’était ouverte lorsque la main d’Oscar avait effleuré le verre de sa prison.

« Elle n’éclora que pour un cœur qui vous aime, mon garçon. »

Se pouvait-il que cette fable devienne réalité ?

Et si c’était vrai... ?

- J’ai un autre cadeau pour toi, Oscar, mais cette fois-ci, il s’agit d’un cadeau d’anniversaire.

- Oh André, tu n’aurais pas dû ! Anniversaire ou pas, tu m’as déjà suffisamment gâtée. Je sais à quel point ta solde est maigre et je me doute bien qu’un cadeau comme celui-ci a dû te coûter une fortune. Alors, m’en offrir un deuxième, c’est beaucoup trop.

- Chut, l’intima-t-il en la retournant vers lui. Je te jure que je n’ai pas dépensé un sou pour celui-là, alors cesse de t’en faire pour ma bourse. Je ne te demanderai qu’une chose...

- Quoi donc ? s’enquit-elle en haussant un sourcil perplexe.

- Ferme les yeux.

- Que je ferme les...

- Arrête de questionner et fais ce que je te dis. Fais-moi confiance.

Sceptique, la jeune femme obtempéra. Elle baissa finalement ses paupières et attendit.

Le cœur battant, André contemplait ce visage tourné vers lui, ces fragiles paupières dont le diaphane de la peau lui évoquait les fragiles pétales de la rose de Noël. Puis, son regard caressa amoureusement ces lèvres, ces lèvres au tracé parfait vers lesquelles il se pencha...

...tout doucement...

...jusqu’à ce que sa bouche s’unisse à la sienne.

Il en papillonna d’abord timidement les commissures, la gauche, la droite, craintif que la jeune femme ne l’arrête aussitôt. Mais étrangement, elle le laissa faire, rapprocha même imperceptiblement son visage du sien. C’était comme si de son corps, elle l’enjoignait de continuer.

Encore.

Les lèvres du jeune homme se posèrent alors plus sûrement sur celles d’Oscar. Puis, d’hésitant, le baiser devint rapidement emportement. De closes, les bouches s’entrouvrirent, s’offrirent à ces caresses capiteuses, se goûtèrent, ne se séparèrent que l’instant de reprendre leur souffle...

Encore.

Cette fois-ci, ce fut Oscar qui revint cueillir la bouche du jeune homme, ce délice pulpeux qui se moulait au modelé de la sienne. Elle s’enhardit à l’ouvrir de la pointe de sa langue, arrachant ainsi un gémissement de contentement à son partenaire. Leurs corps s’étaient tendus l’un vers l’autre, ancrés par les blanches mains sur la nuque masculine, noués par l’étreinte des vigoureux bras d’André autour d’elle.

Encore.

La bouche virile ne dessina que tentations sur la neige de cette peau : une bise légère sur le front, un papillonnement sur l’arête délicate du nez, un chatouillis dans le creux du cou où bouclait une mèche rebelle, un frôlement sensuel sur la gorge offerte, une langoureuse passion traduite en un long baiser sur cette bouche vers laquelle il revenait inévitablement... Son port d’attache, son pays, son univers. Tous ces mots-gigognes contenus dans cette bouche, dans cette femme qu’il aimait.

Son Oscar.

Un rêve devenu tangible. Car concret que ce corps qui se moulait au sien, s’agrippait à ses épaules. Car bien réels que ces délicieux soupirs qu’elle échappait involontairement.

« Oh Dieu du ciel, depuis quand ? Depuis quand est-ce que tu as changé ? Depuis quand as-tu cessé d’être mon frère, André ? Depuis quand est-ce que je me voile la vérité ? Depuis quand est-ce que je t’aime ? »

Ces mots... les avait-il imaginés ?

Qu’avait-elle échappé, là, à l’instant ?

Son baiser se suspendit et c’est d’une voix enrouée qu’il lui demanda :

- Oscar, regarde-moi. Regarde-moi dans les yeux.

Un impératif qui était beaucoup plus qu’un commandement : c’était une prière qu’il venait de prononcer. « Regarde-moi pour que je sache. Regarde-moi pour que je puisse te lire. Regarde-moi pour que je puisse voir ces mots illuminer tes yeux. »

Une voûte outremer, ajourée de l’étincelle des étoiles qui y brillaient, le contemplait, sans ciller.

- Qu’as-tu dit, Oscar ? Qu’as-tu dit ?

Perdue dans ses pensées, la jeune femme n’avait pas remarqué que ses questions s’étaient faites paroles... Oh ce n’avait été que chuchotis égarés, mais certains mots, mêmes murmurés, ont tendance à percuter...

Mais à quoi bon les taire maintenant qu’ils étaient là, suspendus entre eux ? Pourquoi les rattraper alors qu’elle voyait le visage d’André se peindre de joie ? Pourquoi continuer à se mentir lorsque la vérité se lisait dans son cœur emballé, dans ses yeux qui s’emplissaient de la vision de l’être aimé ?

Toutes ces questions, ces « depuis quand », ces « pourquoi », n’étaient que futilités. Ce qui importait, là, maintenant, c’était la réponse, ces mots qu’il avait attendus le temps d’une éternité.

- Je t’aime..., avoua-t-elle.

Sa main dégagea le côté gauche du visage d’André, caressa délicatement du bout des doigts la paupière refermée, la saillie de la pommette, l’ossature de la mâchoire pour venir se poser sur les lèvres. Elle en dessina lentement le contour, comme si elle voulait conserver l’empreinte de cette bouche sur sa peau.

- Je ne le savais pas, mais je t’aimais...

Puis, encore une fois, avant de venir s’abreuver à nouveau à cette bouche, elle répéta :

- Je t’aime.

Dans son havresac, Oscar avait, elle aussi, un présent pour André.

Or, ce n’est pas du tout celui-ci qu’elle lui offrit en cette douce nuit de Noël.

Non, en ce jour heureux, le colonel de porcelaine appartenait enfin au vaillant petit soldat, cet homme qui l’aimait depuis si longtemps et qui n’avait plus osé espérer.

Alors, qu’importe ce cadeau oublié au fond d’un sac... Noël est beaucoup plus que ces échanges de présents, ne trouvez-vous pas ? N’est-ce pas plutôt cette joie qui illumine maintenant le regard du petit soldat et du colonel de porcelaine ? N’est-ce pas cette vie qui tambourine follement à la porte de leur cœur ? Ou encore ces instants hors du temps qui font croire, même aux grands...

...que la magie existe réellement ?



FIN

19 décembre 2011
Review Vaillant petit soldat et colonel de porcelaine


Disclaimer .:: géré par Storyline v1.8.0 © IO Designs 2002 ::. Design adapté par korr