Auteur : hermes Hits : 2374
Lady Oscar > Action/Aventure > L'île aux esclaves >
Deux profils se faisaient face dans l'une des nombreuses pièces du château de Versailles. Perdus dans la lumière éblouissante du soleil qui perçait à travers les immenses fenêtres, ils paraissaient comme deux ombres-chinoises dans un contre-jour.

Deux silhouettes. L'une debout, droite, altière malgré l'accablement et le désespoir dessinés dans la courbe affaissée de ses épaules; l'autre agenouillée, telle un vassal écoutant les ordres de son suzerain, le visage respectueusement baissé.

"Veuillez me pardonner, Oscar, de vous demander cela. Mais vous êtes mon seul ami, le seul à qui je puis confier mes tourments. Il n'y a que vous qui puissiez me comprendre... C'est un bien grand sacrifice que je vous demande, je ne l'ignore point, et en vous suppliant de partir, je sais bien que je perds plus qu'un confident. Cependant, j'ai peur... Je crains pour sa vie. Oh, par le ciel, Oscar, dites-moi que vous acceptez de le protéger! Dites-moi que vous ferez tout pour revenir vivants...

- Votre Majesté, vous savez bien que je ne puis rien vous refuser. Je suis ici à vos ordres.
- Non, non, je ne veux pas que mon désir soit un ordre!
- Alors j'accepte, Votre Majesté, ne serait-ce que pour vous apporter un peu de sérénité...
- Merci! Oh, je vous remercie, Oscar! Mon Dieu, si vous saviez..."

Plus loin, dans la grande cour pavée, attendant au bas des marches, André attendait patiemment avec les chevaux. Songeur, il regardait distraitement le manège incessant des équipages et des cavaliers passant les hautes grilles dorées pour entrer ou sortir de l'enceinte du palais.

"De quel sujet la reine peut-elle l'entretenir pour qu'Oscar soit si longue à revenir? Ma foi, pensa-t-il avec un sourire amer, je crois bien que j'en ai une vague idée... Ah, la voici enfin!"

La jeune colonelle, les traits en apparence impassibles, venait de surgir en effet et se dirigeait résolument vers lui. André était là, fidèle à son poste, un léger sourire pointant au coin de ses lèvres.

"Eh bien, Oscar, lui dit-il d'un ton amusé en tendant les rênes de Phoebus, que voulait donc la reine? T'aurait-elle demandé de filer ventre à terre à Rochefort pour rejoindre le régiment de ce cher Fersen avant son embarquement pour les Amériques?"

La jeune femme lui lança un regard aigu et grimpa en selle, agacée. Cette manie qu'il avait de faire de l'esprit dans les moments les plus graves! Parfois c'en était presque déplacé... Comme ces allusions qu'il avait faites la veille, ou encore cette histoire d'oiseaux qui partaient à tous les vents pour revenir toujours d'où ils venaient. Elle n'avait jamais vraiment compris ce qu'il avait voulu dire, ce soir-là...ou elle n'avait pas voulu l'entendre.

Cependant, il visait juste et, cette fois encore, c'était le cas.

"Demande à Grand-Mère de me préparer un léger bagage, répondit-elle d'un ton froid, je dois partir dès demain aux aurores. Ne m'attendez pas, je rentrerai certainement tard.
- Tu veux dire que c'était vraiment pour cette raison que la reine t'avait fait venir?, lui lança-t-il, interloqué, alors qu'elle s'élançait au galop. Hé, Oscar, attends! Où vas-tu?"

Mais la jeune amazone, dans un éclair de boucles blondes, s'était déjà évanouie, le laissant seul avec ses doutes.


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La nuit commençait à pâlir sous les rayons rougeoyants de l'aube. Oscar aggrafa une cape chaude sur ses épaules avant d'abandonner les lettres qu'elle avait écrites quelques heures plus tôt sur le marbre de la cheminée: la première pour ses parents, la deuxième pour Grand-Mère et la dernière pour André. Elle n'avait guère le temps de faire ses adieux, elle n'avait jamais aimé cela de toute façon, mais qui savait si elle reviendrait en vie?

Elle avait hésité un moment avant de décider qu'elle devait partir sans André. Le voyage et sa destination promettaient de trop grands dangers pour demander un tel sacrifice à ce dernier, et puis... Son ironie risquait de mettre sa tranquillité d'esprit à rude épreuve. Il ne devinait que trop bien les tourments de son âme. Elle était presque certaine que, sous ses airs faussement moqueurs, il se doutait de ses sentiments pour Fersen et cela, elle éprouvait des difficultés à l'admettre.

Non, mieux valait pour lui qu'il reste ici. Le choix cependant avait été difficile à faire. Pour la première fois de sa vie, elle allait devoir se jeter dans cette mission sans lui, son compagnon de toujours...

Elle jeta un dernier regard à la porte fermée de son ami, qui devait dormir à poings fermés. Il n'allait pas tarder à s'éveiller... Le temps n'était plus au doute.

D'un pas décidé, elle descendit plusieurs volées de marches, atteignit la grande porte d'entrée, qu'elle poussa, et sortit dans la cour pour se diriger vers les écuries.

"Ah, te voilà!, l'accueillit une voix qu'elle connaissait bien. Les chevaux et les bagages sont prêts, et Grand-Mère nous a même confectionné à chacun un balluchon bien garni! Nous partons quand tu veux...
- André?, s'exclama-t-elle, finalement peu surprise. Mais que fais-tu là?
- Tu croyais vraiment que j'allais te laisser partir seule dans une telle aventure? Dans ce cas, tu te trompes, ma petite! La guerre en Amérique, ce n'est pas Versailles et ses intrigues ridicules! J'ai dormi ici pour être certain de ne pas te manquer.
- Tu comptes vraiment entreprendre ce périple? Comme tu me l'as fait remarquer tantôt, il ne s'agira point d'une partie de campagne.
- Je ne suis peut-être pas un gentilhomme, Oscar, mais il est hors de question que je laisse une femme faire un tel voyage sans escorte... Très bien, très bien, se reprit-il en croisant le regard assassin de son amie, en réalité, c'est Grand-Mère qui m'a menacé de sa plus belle louche pour me décider à t'accompagner. Pour je ne sais quelle raison, elle persiste à te considérer comme un petit agneau sans défense..."

La jeune femme sourit malgré elle. Elle savait bien que Grand-Mère n'avait pas joué un rôle si important dans la décision de son compagnon. Cette fois, le ton léger de son ami venait fort à propos pour la soulager de l'angoisse qui l'habitait depuis la veille et qu'elle venait seulement de percevoir.

"Fort bien, André, fais comme tu veux!, lâcha-t-elle sobrement avant de monter en selle. Le départ est prévu dans quatre jours... Nous n'aurons guère le temps de flâner..."

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Charles de Coastancour replia la missive et la rangea soigneusement dans l'un des tiroirs dissimulés de son secrétaire. D'après Monsieur de Sartine, le secrétaire d'Etat à la Marine, cinq mille hommes de troupes réglées d'infanterie devaient arriver le 13 mars, c'est-à-dire le lendemain.

Lui les attendrait à bord de l'Hermionne, vaste et légère frégate de douze, dans la cabine qu'on lui avait attribuée.

Il détailla son reflet dans le petit miroir accroché sur l'un des panneaux de bois qui clôturaient sa chambre. L'objet lui renvoya l'image d'un visage jeune à la chevelure brune et aux yeux gris qui auraient pu être beaux s'ils n'avaient renvoyé une telle froideur...

Capitaine de frégate... C'était encore peu pour un officier de marine comme lui, mais quel homme pouvait se vanter d'avoir atteint un tel grade, à vingt-cinq ans à peine? Aucun, si ce n'était lui-même...

Bientôt, il se lancerait dans cette expédition héroïque. Evidemment, il savait vers quels dangers il se dirigeait, mais, après tout, que risquait-il? Personne n'attendrait son retour, au Royaume de France, ni famille, ni amis. Depuis dix ans, depuis cet accident tragique qui avait anéanti son existence à jamais, il était seul. Désespérément seul...

Il s'était alors lancé dans la carrière d'officier de la Marine avec ferveur. C'était alors l'unique solution qui s'était présenté dans son esprit, celle qui lui permettrait peut-être de comprendre ce qui s'était réellement passé...


A SUIVRE...
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