Des gémissements caractéristiques s’élevaient de la petite grange isolée. Les amants n’avaient pas peur d’être découverts, protégés par l’oubli et l’abandon. Ce village avait été rayé de la carte par le petit âge glaciaire qui avait décimé sa population. Les survivants de cette période rigoureuse avaient été contraints à l’exil. Ne se réchauffe-t-on pas mieux lorsqu’on est en groupe ? Même sous le soleil bien frileux de la misère…
Les maisons avaient été laissées à l’abandon, griffées par une nature qui reprenait peu à peu ses droits. Les pâturage étaient devenues prairies, où le chiendent le disputait à l’herbe grasse. Là où vivaient les hommes, des animaux avaient trouvé refuge.
Abandonné…
Pourtant, dans cet univers désolé renaissaient la vie et l’amour. Le printemps avait chassé du tableau champêtre les ombres les plus sinistres. Les feuilles avaient colorié les ramures d’un vert tendre à un vert profond. Les fleurs avaient ajouté des touches de couleurs plus ou moins vives. La forêt alentour bruissait du batifolage des animaux.
Les gémissements devenaient plus profonds et plus rauques. Puis, un cri guttural avait fait fuir les oiseaux alentours, dans un concert de pépiements offusqués.
La femme n’en avait cure. Allongée sur la couverture, enchantée et impudique dans sa tenue d'Eve pécheresse, elle souriait à son amant. Ses yeux d’azur, brillants d’un plaisir à chaque fois plus dévastateur, ne quittaient pas le visage tant aimé de son compagnon, en redessinant inlassablement les traits. Son souffle encore irrégulier s’échappait dans des soupirs langoureux et des mots balbutiés.
Terrassé par la jouissance éprouvé, l’homme posa un doigt sur les lèvres de l’amante, en traçant délicatement le modelé. Son buste s’élevait dans des mouvements puissants. Il sourit, heureux.
Le calme avait de nouveau étendu son manteau de silence sur le village fantôme, et de promesses sur les silhouettes enlacées et repues.
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Oscar de Jarjayes avait demandé à la reine de la libérer de son service auprès d’elle. Malgré la tristesse et l’insistance de la souveraine, elle n’avait pu lui dévoiler les véritables motifs de cette décision. Comment avouer à cette reine qu’elle aimait un homme ? Qu’elles aimaient le même homme ?
Le colonel de glace ne voulait plus jouer les coursiers entre les deux cœur épris et malheureux d’Axel de Fersen et de Marie-Antoinette. Elle ne voulait plus se déchirer aux ronces d’un amour comme elle n’en connaîtrait jamais.
Jamais ?
Alors qu’elle-même libérait André de son service auprès d’elle, il lui avait avoué ses sentiments coupables, dans un élan à la fois effrayant et troublant. Alors qu’elle avait décidé de devenir un homme, et plus seulement l’héritier des Jarjayes, il lui avait brutalement renvoyé son image de femme, et de femme fragile de surcroît.
Comment ne pas lui en vouloir ?
Comment ne pas être troublée ?
Elle était partie en Normandie pour faire le point, seule, le reléguant à une place qu’il n’avait jamais connu auprès d’elle : celle d’un valet, d’un objet qui n’a d’intérêt que dans son utilité. Elle avait fui pour ne pas voir ce trouble dans le regard indéniablement féminin que lui renvoyait son miroir. Pour ne pas nommer les sensations qui l’envahissaient au souvenir de ses lèvres sauvages sur les siennes. Pour ne pas comprendre ce frémissement de joie lorsqu’il l’avait mise à nue.
Ö certes, cette joie n’était pas directement attachée à sa chemise arrachée, au dévoilement de ce sein qu’il n’aurait jamais dû voir. Cela, c'était plutôt la partie angoissante. Mais…jamais plus elle ne pourrait prétendre être un homme !
Pourquoi en éprouver de la joie si c’était pour souffrir encore ?
Oscar était rentrée bien plus tôt qu’elle ne le prévoyait, poussée par un élan d’une puissance qu’elle ne s’expliquait pas. En arrivant à Jarjayes, elle avait vu André qui nettoyait un cheval. Il avait les pieds dans la fontaine, la chemise mouillée largement ouverte sur un torse vigoureux, l’expression apaisante qu’il adoptait dès qu’il s’occupait des chevaux.
Son cœur s’était mis à battre la chamade. Elle était statufiée par les vagues de chaleur qui l’envahissaient, du plus profond de son être jusqu’à l’extrémité de ses membres. Elle eut soudain envie de sentir ces mains fermes et pourtant douces sur sa peau, s’insinuant dans les paysages les plus cachés de son être. Elle voulut sentir la ferveur de ces lèvres qui savaient se faire si exigeantes.
Un faible gémissement s’exhala de ses lèvres. Si faible qu’elle crut –et espéra- l’avoir rêvé, mais qui suffit à attirer l’attention d’André.
Il sut retenir un mouvement de surprise. Il ne s’attendait pas à la voir revenir si tôt, et ne savait ce que cela signifiait pour lui. Allait-elle lui asséner le coup de grâce ? Pourtant, il ne lisait aucune agressivité dans l’attitude de la colonelle. Il s’approcha pour s’occuper de son cheval. Pourtant, il stoppa à quelques pas d’elle, surpris de voir les yeux d’Oscar s’écarquiller sous le coup de la peur et d’un autre sentiment confus…
Elle descendit rapidement de cheval et courut jusqu’à la demeure. Grand-mère arriva pour lui souhaiter la bienvenue. Elle en eut à peine le temps qu’Oscar courait déjà s’enfermer dans sa chambre. La chaleur de son corps devenait obsédante, brûlant les barrières de son esprit.
Elle était une femme entre les mains d’André et elle aimait cela !
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Oscar n’avait que très peu dormi cette nuit-là. Le chant des oiseaux, la lumière d’un soleil généreux, les couleurs éparses et les senteurs enivrantes, tout indiquait le printemps, le renouveau. Réchauffement, rapprochement… Elle n’avait cessé de penser à André, des questions les plus légitimes aux rêves les plus érotiques. Elle n’en pouvait plus !
- André ! Es-tu occupé ? demanda-t-elle abruptement.
- Non Oscar, répondit-il simplement. Je suis à ta disposition.
- Alors suis-moi.
Le ton sec n’augurait rien de bon. Néanmoins, il la suivit sans mot dire. Elle lui montrait le chemin, sur son étalon blanc, sa chevelure lumineuse comme la lumière d’un phare. Il était un navire en perdition et la suivait sans poser la moindre question. Cependant…
- Où sommes-nous ? questionna André, surpris de se retrouver dans un village fantôme, perdu au milieu des bois.
Sans répondre, elle se dirigea vers la grange. Vaguement inquiet et terriblement curieux, il continua à la suivre. Elle était debout devant lui, sauvage, troublante. Emoustillé malgré lui par ce tableau, il n’osait plus bouger. Oscar avança, prit une main d’André et la posa sur ses fesses tandis qu’elle posait des lèvres enfiévrées de désir sur la bouche du jeune homme.
Cette proximité et ces gestes lui firent l’effet d’une décharge électrique. Toute capacité de réflexion était morte. De ses mains avides il explora ce corps si jalousement caché, le dénudant, le tourmentant. De sa langue, il fouilla la bouche adorée. De ses lèvres, il but le plaisir à ses sources.
Ravagée de bien-être et de convoitise, Oscar ne voulait plus rien cacher d’elle-même. Puisque, de toute façon, elle était femme pour André. Elle avait toujours été femme. Ô combien c’était agréable !
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Cette grange aux planches disjointes avait recueilli leurs premiers émois, leur première étreinte. Elle abritait désormais leurs amours secrètes.
Le lendemain, Oscar prendrait son poste à la Compagnie B des Gardes Françaises, tandis qu’André resterait à Jarjayes en tant que palefrenier. Ils se rejoindraient le plus souvent possible dans ce village oublié des hommes. Oscar pour ne jamais oublier qu’elle était une femme au plus profond d’elle-même. André, à cause de l’amour impérieux qui était tissé dans les fibres de son être. Deux amants qui s’étaient trouvés au moment où ils croyaient s’être perdus et qui opposaient à l’incertitude de l’avenir l’espoir de leurs sentiments partagés.
FIN |