Prologue : Le chagrin de Louise...
Des cris résonnaient dans la demeure des Jarjayes. Une vie allait de nouveau apparaître. Si un accouchement était habituellement fait dans une ambiance de panique générale, d'inquiétude et d'émotions, ce n'était qu'une formalité pour les Jarjayes : Louise allait mettre au monde son septième enfant.
Cependant, la pauvre femme, en plein travail, priait et espérait avec angoisse : elle espérait tellement avoir enfin une fille ! Elle avait déjà eu six vigoureux fils, comblant son mari de joie et d'honneur, mais maintenant que la descendance était assurée, elle voulait une fille. Une adorable et jolie petite fille qu'elle pourrait habiller, coiffer, conseiller sur ses amours, plaisanter avec elle.
Louise était folle de son adorable petite famille, et de ses fils plus attachants les uns que les autres... mais elle se sentait si à l'étroit dans cette maison si virile.
Elle entendait constamment des rires rauques, des discours politiques ou militaires, elle ne voyait que de grands gaillards costauds et virils... qu'elle aimait mais...
Mais il lui manquait l'adorable ange qui ravirait le dernier de ses désirs maternels : une jolie poupée à serrer et embrasser à satiété.
Lorsque l'accouchement fut terminé, Louise perdit conscience, tant cela l'avait épuisée.
Reynier était fort heureux d'apprendre que son enfant était en bonne santé, mais fut déçu par son sexe : encore un garçon. C'était inouï ! Le ciel les avait tant comblés d'héritiers mâles que ces derniers, denrées habituellement recherchées, devenaient indésirables! Le comble !
Comment l'annoncer à sa femme ?
Lorsque Louise se réveilla, son premier réflexe fut de dire
– Où est ma fille ? Si nous l'appelions Nathalie, ne serait-ce pas merveilleux ? Ou Antigone ? Ce serait magnifique ! Ou peut-être Sophie ? Non, non, Desdémone !
Reynier aurait volontiers fait remarquer à sa femme que son goût en matière de prénoms le laissait perplexe, mais n'avait pas le cœur à froisser sa femme alors que la vie allait la briser.
– En fait, ma mie, c'est un...
– C'est un adorable petit ange !
– Oui, mais un...
– Un bébé magnifique ?
– Un...
– Un sucre d'orge, n'est-ce pas ?
– Louise, voyons, c'est un garçon !
Louise éclata en sanglots. C'était terrible. Elle ignorait ce qu'elle avait fait pour être punie ainsi, mais elle devait avoir commis quelque horrible crime pour que le Seigneur la châtiât ainsi.
Encore un garçon... Encore un garçon. Mais où était donc la fille qui la comblerait de joie ?
Elle pleura longuement, et dormit sans même avoir vu son enfant.
Reynier prit du dépit en constatant cette attitude : comment Louise, sa sublime, sa tendre Louise qui avait allaité tous ses enfants (chose rare, quand on pouvait déléguer cette corvée).
Il passa une nuit blanche, à s'inquiéter de l'avenir de sa famille.
Mais le matin, il devait voir une scène rassurante : Louise, le visage illuminé par une joie sans partage, son bébé dans les bras.
– N'est-elle pas magnifique ?
Le cœur de Reynier manqua un battement.
– C'est un garç...
– Ce sera une fille, une sublime et merveilleuse jeune fille ! Elle s'appellera...
– Nous l'avons déjà appelé Oscar François de Jarjayes...
– Oscar François de Jarjayes ? Mais... c'est...
Louise soupira.
– Je n'aurai donc jamais de petite fille....
Reynier fut ravi que sa femme fût revenue à la raison.
Mais l'inquiétude revint bien vite quand sa femme commença à appeler leur beau garçon « Françoise ». |