Auteur : meridienne Hits : 8724
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1.1

Il y a des gens qui naissent sous une bonne étoile, qui seront heureux quoi qu'il leur arrive, ce sont les privilégiés du Régime, (la condition sociale n'a rien à voir là-dedans). Et puis il y a les autres. André était convaincu d'appartenir à cette seconde catégorie.
D'abord parce qu'il ne lui était jamais rien arrivé de bon depuis sa naissance : il était un enfant du Tiers, (ce qui lui retirait d'office tous les droits politiques et sociaux), il s'était retrouvé orphelin à l'âge de six ans ( ce qui le privait de l'affection de parents et de la chaleur d'un foyer), il avait perdu son oeil gauche dans une rixe et comble de l'humiliation, il avait été contraint de s'enrôler dans les Gardes Françaises pour survivre.
Ensuite parce qu'il connaissait assez fréquemment des journées aussi noires que celle qui débutait ce matin de l'année 1786.

Il se réveilla avec de violent maux de tête. Pourtant ce n'était pas la faute de la Fatalité. Il faut dire que la veille au soir il avait visité un estaminet dans lequel il n'avait encore jamais mis les pieds ( mais Paris était si grand !).
La soirée avait été très agréable. Débarqué avec quelques amis du régiment, il avait vidé plusieurs litres de bière, dansé avec quantité de jolies filles ( il en avait embrassées plusieurs... à moins qu'il ne les ait embrassées toutes ?), s'était bagarré.
Ça, il s'en souvenait : les chaises et les tables avaient volé par dessus les têtes, les vitres s'étaient brisées dans un splendide bruit de clochettes. André avait distribué des coups au hasard, à des hommes qu'il ne connaissait pas également. Oui, il s'était bien amusé.

Malheureusement le réveil ne fut pas aussi gai. Son corps, contusionné des oreilles jusqu'aux orteils, lui donnait l'impression d'être passé sous les sabots d'un percheron. Et son crâne semblait prêt à exploser au moindre mouvement.

Pestant contre les effets pervers de l'alcool et contre Dieu qui en était à l'origine, ( s'ils n'avaient pas le droit de boire, quels plaisirs restait-il aux miséreux dépouillés du Tiers? ), il se couvrit les yeux de son bras comme pour en calmer la brûlure tout en attirant le rêche draps de gros coton sur ses épaules nues. Il espérait bien se rendormir quand un cri de protestation résonna fort désagréablement à ses oreilles bourdonnantes, se répétant en écho infini dans son esprit.

- Hé, nete... pa ! Fé ...situ seul ..li !

Il fallut plusieurs secondes à André pour réaliser que son torse était à nouveau à découvert et que le bruit provenait de quelqu'un qui s'adressait à lui.

- Quoi? articula-t-il difficilement.

Il ouvrit ses yeux et dans un terrible effort, qui l'assomma presque, tourna la tête sur sa gauche.
Dans la pénombre de cette petite pièce aménagée sous les combles, il fut difficile pour André de distinguer avec exactitude les traits de la femme qui se trouvait allongée à ses côtés. Elle ressemblait davantage à une masse grise à l'extrémité de laquelle remuait un flou noir ( probablement la tête, réussit-il à penser).

- J'ai droit à la moitié du draps, je te signale ! reprit la voix de fort mauvaise humeur.

Maintenant qu'elle le lui rappelait, André avait le vague souvenir d'avoir pris la main de la serveuse aux boucles brunes, en fin de soirée, et d'avoir monté avec elle les escaliers qui menaient aux chambres du personnel.

- ah, excuse moi, j'avais oublié que j'avais passé la nuit avec toi, Constance !
- Je ne te blâmerai pas d'avoir oublié, dit la femme d'un ton sec. Tu en as parfaitement le droit puisque tu n'as PAS dormi avec Constance ! Moi, c'est Juliette, espèce d'ivrogne !

La brusque montée de voix creva les tympans d'André. Il y eut un étrange sifflement puis...Baff! Le soufflet qu'il reçut fut sonore et on ne peut plus douloureux. cela le dégrisa en bonne partie.

- Hé, qu'est ce qui te prend ? s'écria-t-il, furieux. C'est ainsi que les femmes traitent leurs amants, maintenant ?

Il massa sa joue endolorie tandis que sa compagne vociférait de plus belle :

- C'est ainsi que méritent d'être traités les types dans ton genre, incapables de savoir avec quelle fille ils couchent !

Elle quitta le lit en produisant un indésirable appel d'air, ramassa les vêtements d'André et les lui jeta à la figure.

-Va-t-en, je ne veux plus te voir ici ! Ni demain, ni jamais !

Elle n'eut pas besoin de le chasser avec plus d'insistance. André n'avait pas envie de subir davantage les foudres d'une intolérante, surtout dans l'état dans lequel il se trouvait.
Il sortit sur le pallier, nu comme un ver, et recula juste à temps pour ne pas recevoir la porte sur le nez. Un instant il demeura là, immobile, son uniforme sous le bras, à se demander pourquoi les femmes faisaient toutes toujours autant d'histoires pour un simple nom. Elles étaient bien ingrates de se fâcher au matin après avoir été si câlines la nuit !
Mais il était peu affecté d'avoir froissé l'orgueil d'une marchande d'amour qui, d'ailleurs, ne devait pas non plus se souvenir du nom de tous ses clients.

André soupira, déçu d'avoir été privé de grasse matinée, puis bailla, s'étira en grognant quand cela faisait trop mal et quitta les lieux après s'être rhabillé.


Une fois dans la rue, les relents pestilentiels de Paris lui donnèrent la nausée ; d'habitude c'était supportable mais ce matin, il avait vraiment besoin du remède miracle de Rosalie !
La main sur le nez, il avança le plus rapidement possible au travers des immondices qui juchaient le sol boueux des bas quartiers jusqu'à ce qu'il rattrape les boulevards pavés. Il tourna à droite et se retrouva sur la rue du Faubourg St-DEnis.

Il y avait une réelle différence de vie entre les divers lieux de la capitale. André avait l'impression de pénétrer un autre univers à chaque fois qu'il se promenait dans les beaux quartiers. Outre la salubrité des sols, la population qu'on y croisait était autre. Il n'y avait quasiment pas d'indigents, la police du roi chassant les mendiants à coup de baïonnette s'il leur prenaient l'envie de s'adosser à un mur ou de solliciter les promeneurs ; promeneurs qui ne s'arrêtaient d'ailleurs pas, ni n'accordaient un seul regard.
Les notables appartenant à la classe la plus riche du Tiers faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour ressembler aux aristos à commencer par ignorer leurs prochains ; les hommes portaient des chapeaux de soie tandis que les femmes se couvraient avec la plus grande ostentation de bien plus de couches de vêtements qu'il n'en était nécessaire.

Voilà pourquoi André n'aimait pas fréquenter les belles rues de Paris. Elles ne lui rappelaient que trop cette Noblesse arrogante qu'il haïssait. Cependant ce matin, c'était vital.

Il endura courageusement le chant des moineaux, signe que, dans les parages, il y avait du pain à manger (raison pour laquelle André n'aimait pas les moineaux non plus).
Il endura également le claquement des souliers sur les pavés, son horriblement familier qui lui évoquait le martèlement des bottes sur la place d'armes, pendant les revues.
Heureusement la rue du temple, dans laquelle vivait Rosalie, n'était plus très loin et André fut vite arrivé.

A suivre...
Review De l'ombre à la lumière


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