Partie 3F
Oscar souleva le rideau et regarda Fersen quitter le château. Sa visite l’avait surprise mais sa proposition encore plus ! Devenir la Comtesse de Fersen ! C’était si soudain, si inattendu ! Chacun d’eux y trouvant son avantage… Elle garderait sa liberté de penser et sa façon de vivre et lui ne trahirait pas ainsi la Reine puisque ce mariage serait pour les convenances.
Elle soupira. Ce choix lui paraissait à la fois le plus merveilleux et le plus désolant. Merveilleux d’épouser un homme qu’elle chérissait depuis si longtemps mais désolant parce que cet homme ne lui appartiendrait jamais même s’il devenait, aux yeux de tous, son mari.
Il y avait tant de promesses dans ces simples mots mais elle savait qu’ils ne voulaient rien dire pour lui. Fersen ne lui offrait rien d’autre que son amitié et son amour était destiné à une autre qu’elle. Mais y avait-il des raisons de refuser ? Elle savait que le temps jouait contre elle. Elle devait prendre un époux rapidement ou bien à la fin du mois Le Roi lui signifierait sa préférence parmi les prétendants à sa main.
Mais Fersen ! Pouvait-elle consentir à devenir sa femme en sachant la force de son attachement à La Reine. Elle ne toucherait jamais son cœur. Il lui demeurait fidèle et attaché et elle ne serait que le témoin désolé de leur amour. Et pourtant, l’intimité pourrait jouer en sa faveur et peut-être…
-« Ne te marie pas ! »
Elle se retourna stupéfaite.
-« Ne te marie pas avec Fersen. Tu sais que ce serait une erreur. Il ne peut pas t’aimer et tu finiras par souffrir encore plus.
-Tu penses que j’ai le choix André ! Si je ne me décide pas alors Sa Majesté le fera à ma place ! Et Fersen est sûrement le meilleur choix possible compte tenu, compte tenu…
-Meilleur ! coupa-t-il avec rage. Pour qui ? Il aura toute la liberté d’être avec La Reine avec toi pour caution auprès des médisants de Versailles. Et toi ? Qu’auras-tu ? Le plaisir de pouvoir continuer à ferrailler et à te promener seule ? C’est ce que tu veux ?
-Et puis quoi ! Tu préfèrerais que je choisisse Girodel par exemple ? Les perspectives me sont assez réduites ! De tous les prétendants qui se sont bousculés dans ma demeure, Fersen est le seul à m’avoir fait une proposition tolérable et justifiée. Quitte à choisir, je préfère nettement ce mariage sans avenir auprès d’un homme que je respecte et que j’… je… Suffit André ! Tu n’as pas le droit d’intervenir sur mes décisions !
-Oh si j’ai le droit. J’ai le droit ! J’ai toujours veillé sur toi et je continuerais. Tu ne dois pas te marier avec Fersen. Tu ne trouveras que la souffrance et la solitude dans ce mariage. Tu te laisses aveugler par tes illusions ! Tu sais qu’il ne peut pas t’aimer ! Son cœur est déjà pris…
-Et alors ! s’emporta Oscar. C’est vrai ! Je connais la raison de cette demande. Je sais quelles motivations l’ont poussé à me rencontrer aujourd’hui. Mais moi, j’ai toujours fait comme bon leurs semble, comme il faut pour être le digne fils de la famille de Jarjayes. J’ai toujours pensé à l’honneur de mon père, à la raison d’état, à la fidélité à la Cour. Pour une fois, André laisse-moi rêver. Laisse-moi espérer en ce futur même s’il ne vaut rien. N’ai-je pas le droit d’être sa femme alors que c’est ce que je souhaite au fond de mon cœur ?
-Tu continues Oscar… Tu continues à obéir, à te soumettre à leurs désirs et tu oublies les tiens. Fersen ne s’en rend pas compte, parce qu’il ignore les élans de ton cœur, mais il cause ta perte en te faisant une telle proposition. Ne te marie pas avec lui !
-Cesse de me tourmenter André ! Je n’ai aucune autre possibilité. Si je refuse, je perdrais tout : ma liberté, ma vie et ma chance de trouver le bonheur. Fersen est un très bon ami, sincère et d’un grand réconfort. Il a demandé ma main parce qu’il connaissait l’embarras dans lequel Sa Majesté m’a mise. Il est ma délivrance alors je l’épouserais et je survivrais au reste : les absences, la solitude, l’indifférence. »
André s’approcha d’Oscar et lui saisit les poignets. Il plongea son regard empli de colère et de tristesse dans ses yeux embués de larme.
-« Oscar, sois réaliste ! Tu ne peux pas passer le reste de ta vie auprès d’un homme qui ne pourra pas te rendre réellement heureuse. Tu ne peux pas sacrifier ton avenir pour le mince espoir de partager son cœur avec elle.
-Lâche-moi André ! J’ai pris ma décision ! La seule possible ! »
Elle baissa la tête et tenta de se dégager de son emprise.
-« Lâche-moi et laisse-moi seule ! Tout est terminé ! Demain j’annoncerais à Fersen que j’accepte de devenir sa femme, d’être la Comtesse de Fersen et tout le monde sera satisfait ! Moi comme les autres…
-Tu te trompes ! répliqua André en lâchant ses poignets. Tu ne seras jamais heureuse avec lui ! Jamais ! Folle…»
Oscar releva la tête et le saisit par le col.
-« Ma décision est prise André ! J’en assumerais les conséquences ! rétorqua-t-elle avec fureur. »
Oscar sortit en trombe du salon et se précipita à l’étage jusqu’à sa chambre. Elle se jeta sur son lit et laissa couler ses larmes de frustration et de désespoir. Pourquoi fallait-il qu’il soit aussi lucide et perspicace ? Pourquoi lisait-il si facilement en elle ? Pourquoi avait-il raison ? Pourquoi ?
La porte de sa chambre s’ouvrit lentement et Oscar vit apparaître la silhouette d’André dans l’embrasure. Elle essuya hâtivement le reste de ses larmes d’un revers de sa manche. Elle se mit debout et marcha jusqu’à son boudoir. André apportait avec lui un plateau contenant une carafe de vin et deux verres.
-Ma décision est prise aussi Oscar. » répondit André avec un ton très calme.
Il entra et déposa son plateau. Oscar le fixa muette. Elle n’aimait pas la lueur qui brillait dans ses yeux. Elle n’aimait la résolution qu’elle pouvait y lire. André s’avança jusqu’à elle, lui prit la main et la guida jusqu’à un des fauteuils. Elle obtempéra en silence ne sachant ce qu’il avait décidé de faire. Il s’assit en face d’elle et leur servit à chacun un verre de vin.
-« A quoi joues-tu André ? »
Il lui tendit le verre.
-« Bois ! » ordonna-t-il.
Elle voulut lui répliquer une réponse cinglante mais il réitéra son ordre avec fermeté. Elle avala la boisson d’un trait non s’en lui avoir montrer son exaspération.
-« Bien j’ai bu André. Et maintenant ? »
Il ne répondit pas et porta son verre aux lèvres et avala lentement une gorgée de son vin. Oscar commençait à perdre patience. Une dispute ne pouvait pas se terminer par une visite dans ses appartements devant un petit verre de vin. C’était ridicule et insensé. Et son regard pénétrant où brillait toujours cette lueur. Elle s’apprêtait à lui demander ce qui lui passait par la tête quand il daigna enfin lui adresser la parole.
-« Oscar, j’ai pris ma décision. répéta-t-il. Es-tu prêtes à m’écouter ?
-Je ne comprends rien André. De quoi parles-tu ? Est-ce que tu deviens fou ?
-C’est sans doute vrai mais tu ne me laisses pas le choix. Tu persistes à croire que Fersen est ta seule option possible…
-André je commence à en avoir assez ! Tout a été dit ! Je te le répète…
-Tais-toi et laisse-moi parler Oscar ! l’interrompit-il d’un ton toujours aussi calme. J’y ai réfléchi longuement. J’ai longtemps hésité mais à présent il n’y rien d’autres à faire. C’est la seule solution pour toi. La plus préférable !
-André ! Si tu penses que je devrais fuir, sache que je… »
Elle s’arrêta interloquée. André venait de poser un doigt sur ses lèvres pur la faire taire à nouveau.
-« Puis-je continuer ? »
Elle acquiesça et se mit à tourner son verre vide dans les mains. Oscar était de plus en plus perplexe mais elle était certaine que ce qu’allait lui annoncer André n’allait pas lui plaire.
-« Oscar, tu as été sommée par Le Roi de prendre un époux ou de finir ta vie au couvent. Tu as préféré la première alternative en pensant qu’aucuns hommes ne voudraient de toi. Mais tu as appris que les belles femmes telles que toi sont les trésors les plus inestimables pour n’importe quel homme… Laisse-moi finir Oscar ! reprit André en la voyant prête à lui répondre. J’admets que Fersen est sans doute le plus acceptable des prétendants qui ont eu l’occasion de venir te faire leur demande. Mais tu sais très bien, tout comme moi, que ce mariage n’arrangerait rien, bien au contraire... Mais si tu n’épouses personne avant la fin du délai imparti, Le Roi se fera un plaisir de t’enchaîner à qui bon lui semble. La seule solution qui te reste est donc…
-D’accepter la demande de Fersen ! termina Oscar avec irritation.
-D’accepter la mienne ! » répliqua André en la couvrant de son regard émeraude déterminé.
Oscar lâcha son verre qui vint se fracasser en milles éclats à ses pieds. Avait-elle bien compris ? André, son ami, André, son fidèle compagnon… André venait de lui demander de l’épouser ! Elle ne pouvait imaginer une chose pareille ! Se marier avec… avec André ! C’était une folie ! Il était vraiment devenu fou.
-« Tu n’es pas sérieux André ! s’écria-t-elle en se mettant debout. Tu n’y penses pas. Cesse de délirer. Cette… cette proposition est totalement absurde ! s’enflamma Oscar. Le Roi ne consentira jamais. Tu es un roturier. Tu ne peux pas prétendre à obtenir ma main. Ton idée est insensée ! Tu es devenu fou ! Tu es devenu complètement fou !
-Epouse-moi Oscar ! C’est là ton meilleur choix ! répondit André toujours aussi calme. ! Je suis persuadé que Le Roi n’aura aucune raison de refuser dans la mesure où c’est lui qui t’a imposé ce mariage. Il n’a pas précisé que tu devais porter ton choix sur un noble. Il veut te voir en épouse ou en carmélite, il n’a jamais émis d’autres souhaits que ceux-là.»
Il souriait et reprit une autre gorgée de son vin. Oscar était atterrée. Elle ne s’attendait pas à une telle offre de la part d’André. Après l’incroyable demande en mariage de Fersen, elle recevait à présent celle d’André simplement parce qu’il jugeait que c’était la solution la plus préférable pour elle à moins que... Non ! Elle ne devait se laisser démonter par sa proposition.
Elle ne pouvait pas accepter. Devenir l’épouse d’André, elle n’y avait jamais, jamais songé une seule fois. Jamais ! Tandis que Fersen, elle espérait tant en Fersen… Mais elle savait, elle savait que ses espoirs étaient vains. Elle savait…
Elle posa son regard azur sur son ami d’enfance. Il n’y avait que lui pour penser à un tel projet. André, son mari… C’était une autre vie qui s’offrait à elle, si elle acceptait. Ce serait un mariage bien étrange et bien différent de celui entrevu avec Fersen. Etait-ce vraiment plus simple d’épouser André pour se sortir de ces filets où l’avait conduit l’humeur de Sa Majesté. Elle n’en était pas sûre et comprit que sa décision compliquerait encore plus son avenir mais pourtant elle se surprit à lui confirmer son assentiment.
-« D’accord, André. Désormais, nous allons unir nos deux destins pour le meilleur et pour le pire. Quoi qu’ils nous en coûtent à tous les deux, j’accepte de t’épouser ! » |