Cendres de lune
(merci à dddamuur pour le titre)
Son coeur était si meurtri qu'elle crut en mourir.
Cet amour pour cet homme, si fort, si vrai... si impossible.
Ils s'étaient mutuellement avoués ces sentiments mais seules la douleur et la solitude seraient leurs compagnes.
Leurs vies seraient à jamais liées dans cette amitié, cet amour, ce malheur communs.
Adieu Fersen...
Les yeux rougis, la colonelle regarda ce grossier mannequin de bois qui lui faisait face. Il subissait depuis de longues minutes les assauts répétés de cette escrimeuse, s'acharnant sur cet homme qui supportait ses attaques, ses blessures, ses douleurs sans broncher. Ce n'était qu'un pantin de bois, nulle vie ne l'animait, nul sentiment ne le déchirait.
Elle le maudit, l'insulta, l'envia. Jamais il ne mourrait de chagrin... jamais.
Le jour touchait à sa fin. La lune haute montrait sa rare rondeur aux êtres encore éveillés. Le hurlement lointain d'une chouette donnait à cette soirée une ambiance étrange, voire inquiétante tandis qu'une odeur rance et écœurante s'échappait des bois.
Le domaine de Jarjayes accueillait souvent biches, rongeurs ou faisans mais cette nuit une créature inhabituelle officiait en ce lieu. Ses longs cheveux gris masquaient son visage, son corps voûté trahissait son grand âge, ses doigts raides manipulaient une lourde cuillère de bois, mélangeant lentement une mixture bouillonnante dont s'échappait l'odeur insipide.
« Lune pleine
tes pouvoirs me prête.
Magie de jadis
étouffe mes cris.
Que cette nuit batte
pour ce coeur meurtri.
Que cette vie
le sauve dans l'oubli. »
Le breuvage s'éclaircit dans un jaillissement lumineux répondant aux éclats de la lune pleine.
D'un geste assuré, la créature plongea à pleine main une fiole dans le liquide chaud et la ressortit avant de la sceller par une incantation.
« Nulle trace de moi ne reste
après que la lune disparaisse. »
Le chaudron, le brasier, les ingrédients; tout se sera volatilisé aux premiers prémices de l'aube.
La vieille carcasse se dirigea à pas lents vers les bâtisses de bois où l'attendait la victime de son sort.
Elle fixa le corps immobile qui allait subir sa magie, ouvrit la bouteille et aussitôt le liquide s'échappa en formant un nuage verdâtre.
« Que cette nuit soit ta vie
Que cet amour ait retour
Que ces blessures soient usure
Que cette nuit soit oubli
En cette nuit où les morts croient en la vie,
la lune pleine nous laisse les mains libres. »
Oscar avait fini par s'endormir, après de longues heures la fatigue avait eu raison de sa souffrance. Ses appartements lui paraissent si froids, son lit semblable à un linceul d'agonie. Sa main était crispée sur l'oreiller quand une chaleur inconnue l'enveloppa. Quelle était cette sensation, ce bien-être qui traversait ses doigts? Elle ouvrit les yeux et mit quelques secondes à se rendre compte. Une ombre se tenait à ses côtés, un homme, un étranger avait posé sa main sur la sienne.
Qui était-il?
Comment était-il entré dans sa chambre?
Ces questions semblaient sans importance... Pourquoi? Elle l'ignorait mais quelque chose la persuadait qu'il était là, sans danger. La lune devait être sa partenaire car elle créait autour de cet homme une clarté qui lui permettait de l'identifier.
Il était d'un brun sombre, ses yeux brillaient d'une lueur verte et son corps nu laissait supposer un corps parfait. Malgré ses efforts, elle ignorait qui pouvait être cette apparition soudaine et elle ne savait expliquer le bien être qu'elle éprouvait.
L'homme lui tendit la main, elle la prit et se laissa aller contre lui. Son corps était chaud, ses bras l'enveloppaient dans une douce torpeur. Ses pensées ignoraient tout ce qui n'était pas lui, tout ce qui n'était pas ses bras rassurants, ses yeux bienveillants. Elle se livrait sans artifice, sans secret, son coeur était à nu devant cet inconnu.
Il resta son partenaire à la place du sommeil, l'abreuvant de ses baisers, la noyant sous ses caresses.
La jeune femme se laissa soumettre à ses jeux de tendresse, effaçant peu à peu son coeur de ses faiblesses.
Euphorie de bien-être l'enveloppa jusqu'à ce que le sommeil reprenne sa place.
Il fut temps alors pour la lune de disparaître et par là même de demander son reste.
Les premiers rayons du soleil caressèrent le visage d'Oscar. La fatigue semblait avoir quitté son corps et d'un geste lent, elle repoussa la couverture. Elle jeta un coup d'oeil par le vitrage avant de se préparer. Un copieux repas la fortifia et sans plus attendre elle se rendit aux écuries sous le regard attendri de sa nourrice.
Elle s'arrêta à l'endroit où elle avait passé tant d'heures ses derniers jours à se battre contre cet ennemi inconnu, ce mal aux allures macabres. Mais le mannequin avait disparu, comme emporté avec cette peine qui avait été la sienne. Seule une odeur inhabituelle flottait dans l'air avec les quelques grains de poussière posés à terre.
La vieille femme murmura finalement:
« Lune pleine tes pouvoirs tu m'as prêtée
Magie de jadis, mes cris sont étouffés.
Cette nuit tu t'es battue pour ce coeur meurtri.
Pour que cette vie soit sauve dans l'oubli. »
Myminette / Halloween 2009 |