Incipit – 4 octobre 20**, 8h45.
«Mon nom est Shana. Je suis une jeune étudiante en musicologie à Paris, et je joue du violon. J'ai quitté parents et amis pour la faculté qui me rapprocherait de la ville la plus riche en manifestations musicales de France. A quoi bon étudier la musique si l'on est pas au plus proche de notre passion?
Certes, j'ai emménagé dans un appartement relativement petit – mais 38 m², c'est déjà pas mal du tout -, et puis, quand on est étudiant, de toute façon, on est plus souvent dehors que chez soi. Je ne suis pas du genre à faire une big-party à cinquante dedans, de toute façon...
Mes parents avaient espéré que cette prise d'indépendance m'aurait mise face à la perspective de devenir une adulte responsable. Ce qui peut approximativement se traduire par: ranger sa chambre, faire la vaisselle, et ne pas laisser le gaz allumé, histoire d'éviter de faire sauter l'immeuble. Malheureusement pour eux, j'ai toujours tendance à laisser la vaisselle sale végéter trois jours, je n'ai pas encore retenu les lois fondamentales de la cuisine («Flûte alors, elle est partie ou mon eau?» «...elle s'est évaporée...» «Tu veux dire, comme dans le livre de sciences qu'on avait au primaire?»), et quand à ma chambre...disons qu'elle ferait peur à n'importe quelle personne ayant un sens de l'ordre, même minime.
Mis à part l'aspect maîtresse déplorable de foyer, je m'en sors relativement bien; je sais m'orienter dans Paris, mes études se passent bien, et surtout, j'ai des amis.
Mon caractère? Eh bien, je crois que je ne suis pas la meilleure personne pour en parler. En fait, il serait plus simple d'en juger à la fin de cette histoire. Les faits parlent plus que tout ce je pourrais soliloquer dans ma tête, dans ce couloir ou j'attends mon cour.»
9h, cours de culture musicale.
- Comme vous le savez -ou pas, si vous n'avez pas pris la peine de prendre les prospectus dans la salle de travail de notre section-, en tant qu'élèves inscrits en musicologie, vous avez le droit à des tarifs spéciaux pour les concerts de musique classique si vous présentez aux guichets votre carte étudiant. J'attirerai également votre attention sur le fait que dans la mesure ou vous étudiez la musique, vous avez également le droit de vous rendre en tant que spectateurs à certains cours du Conservatoire National Supérieur de Paris dont les dates et heures vous seront communiquées prochainement. Je vous souhaite un bon début d'année.
Le C.N.S.M.D.P. L'Olympe des musiciens. Environ 5% des postulants acceptés au test d'entrée. Dans le cas des instruments à cordes, il faut avoir moins de 22 ans pour y entrer. Mais les taux d'échecs sont quasi-nuls, sauf abandon volontaire, une fois que l'on est accepté. En fait, c'est pour ça que j'ai autant insisté pour aller dans cette ville. Au fond de moi, je sais que j'ai surtout envie de faire du violon, pas de passer le restant de mes jours à corriger des élèves sur les accords de septième diminuée. Mais voilà, c'est difficile de se motiver et de se dire «je peux le faire», quand on voit combien de gens n'y parviennent pas. Parce que pour faire de son instrument son métier, on est presque obligé de passer par la case «Olympe». Mais mon ancien professeur de violon m'encourage à persévérer, c'est pourquoi il m'a donné l'adresse de l'un de ses amis d'enfance sur Paris qui a accepté de me donner des cours, afin de continuer à progresser. Après tout, je n'ai que 17 ans, et j'ai déjà obtenu l'équivalent du bac de violon. La quasi-totalité des 95% des refusés aux tests d'entrée aussi...mais bon. Je ferais un tour au Conservatoire, ça n'engage à rien de se faire une idée.
J'essaye de reprendre le fil du cours, qui a commencé depuis une dizaine de minutes. Comme d'habitude, ce sont distributions de polycopiés et révisions, et ça ne me donne pas franchement envie de couper cours au cours de mes idées. Mais bon. Si devenir une grande violoniste est un rêve assez inaccessible, réussir ses études de musicologie l'est moins – et puis, théoriquement, c'est pour les mener à bien que j'ai réussi à obtenir de mes parents d'aller étudier à Paris. Je reviens à mon cours en soupirant. Courage. |