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Lady Oscar > Vignette > Louison de la Rolancy >
"Enfin Louison! Vous n'allez pas restée enfermée! Veuillez sortir immédiatement!!
- Non, non, non!!!!!
- Mais que va dire votre mère?
- Rien à faire!!
- Enfin Louison...
- Et arrêtez de m'appeler Louison! Je m'appelle Loulou! LOULOU vous m'entendez?!
- Eu... très bien... Mademoiselle Loulou veuillez sortir je vous prie!
- Non.
- Très bien! Je rend mon tablier!
- Tant mieux!"


L'employée poussa un soupir exaspéré, et tourna les talons pour aller donner sa démission. Cette enfant était... insupportable!! Tête de mule, butée comme un âne, elle n'écoutait RIEN.


"Alors Marjolaine? Comment est-elle?
- Elle refuse de sortir Madame.
- Comment?!"


Hortense se leva d'un bond.


"Et elle dit vouloir qu'on l'appelle... Loulou..."


L'ex-comtesse leva les yeux au ciel.


"Seigneur... Mais quand arrêtera-t-elle donc?!
- Madame, je ne puis bien faire mon travail avec un pareil enfant!"


Hortense la toisa du regard. Quelle petite impertinente! Autrefois, une employée de maison ne se serait pas permise de tels propos... Elle grinça des dents. Prisonnière de cette république de malheur, elle ne devait commettre aucune bévue envers ces "citoyen" à la noix, bien qu'elle eut plus d'une fois envie d'en gifler trois ou quatre. Cette Marjolaine était la plus arrogante, avec ses leçons sur l'éducation de sa fille. Mais dans quel monde vivait-elle?!
Elle décida sa survie à son instinct, et s'en alla voir sa fille, délaissant la domestique avec une rage contenue.


"Louison! Louison ouvrez moi ma fille!
- Mère, appelez-moi...
- Loulou est un surnom de grisette, je refuse qu'à votre âge quelqu'un vous appelle ainsi. Si vous persistez dans ce ridicule, je vous envoie au Palais Royal, où Loulou sera bien mieux vue que sous mon toit!"


La porte s'ouvrit violemment. Une ravissante rouquine aux yeux trempés la foudroyait du regard.


"Alors... Pourquoi m'appeliez vous ainsi... avant...?"


Le visage d'Hortense se voila de tristesse.


"Parce que... c'était avant."


La mère et la fille se regardèrent, confuse. Loulou, une main crispée sur la poignée, baissait les yeux en retenant ses larmes. Avant. Oui, c'était avant... Avant c'était eux, c'était elle, c'était lui.


"Me laisseriez-vous entrer?"


Elle hocha la tête, la laissa passer, mais à la vue de Marjolaine, lui claqua la porte au nez.


"Je déteste cette arriviste..."marmonna Loulou en rejoignant sa mère.


La chambre de Loulou était un petit autel à l'Ancien Régime. Les meubles, les tableaux, les tapis, et les couleurs, tout, jusqu'aux fenêtres style Versaillais, remémorait la Douceur de Vivre des années pré révolutionnaires. Loulou n'avait pu s'y résoudre, à cet horreur, à cette Terreur, qui pointait son épée de Damoclès au dessus des têtes des anciens nobles. Pour éviter tout risque pour la famille, on ne laissait entrer que très peu de monde dans sa chambre. Cela pourrait être très mal vue par le comité révolutionnaire.


"Alors ma Louison, montre moi un peu cette robe...
- Mère, ce n'est pas une robe! C'est un bout de chiffon!
- Enfin! Vu le prix que je l'ai payé, j'espère qu'il en vaut la peine! Et puis... c'est la toute dernière mode!
- Pf! Si être nue est la toute dernière mode, je préfère rester enfermée dans ma chambre! Je ressemble à l'une de ces merveilleuses qui aguichent les passants!
- Montrez Louison, nous aviserons plus tard."


Loulou soupira. Elle se cacha derrière son paravent, grogna, enfila enfin sa robe, et sortit. Sa mère eut un sursaut de stupeur.


"En effet... c'est... très léger!"


La robe de mousseline blanche, était quasi transparente. Elle retenait à peine les seins, qui manquaient de sortir du décolleté déjà bien pigeonnant. Toute limpide, toute fluide, elle glissait sur la peau de Loulou comme un filet d'eau ou une jappe de lait.
Sa mère haussa les sourcils en soupirant.


"Il faut bien s'y résoudre ma fille... Nous ne pouvons nous permettre, vu notre rang, de garder nos vieilles robes à jupons!
- On y était si bien, pourtant...
- Je sais ma fille, je sais..."


Loulou, qui jusque là gardait un air teinté d'ironie, sentit sa poitrine se soulever, et brusquement, tomba au sol en plongeant son visage sur les genoux de sa mère.


"Oh, maman... maman... Comment la vie peut-elle être aussi cruelle...?"


Sa mère caressa les boucles rousse de sa fille, sentant ses larmes qui lui mouillaient la peau.


"Ma petite...
- Oh... Oscar!! Oscar!!!"


Loulou sanglotait le nom de sa tante, d'un cri désespéré, serrant la jupe de sa mère entre ses doigts, se mordant la lèvre, serrant les dents pour ne pas crier trop fort.


"Oscar... Non... c'est impossible... Ce n'est pas vrai.. Oscar!!!"


Cela faisait pourtant six ans qu'elle était... qu'elle avait été... Loulou avait grandie, elle avait une petite vingtaine d'années, mais son âme restait figée dans sa quatorzième année, là où... là où Oscar était...
Les révolutionnaires lui avaient volé ses plus belles années. Leur rage inhumaine avait fauché sa tante, André, son père, et tant d'autres encore...


"Oh mon dieu maman..." murmurait elle en pleurant. "C'est trop horrible... C'est trop cruel..."


Nous étions le 14 juillet 1795.






Dans l'après midi.




J'ai l'impression d'être nue... c'est horrible!!

Dans sa robe à la Diane toute dernière mode adorée par Juliette Récamier, Loulou se sentait à la merci de tous, s'accrochant désespérément à son minuscule réticule. Sa vaste chevelure rousse était décorée d'un chapeau immense, autre dernière mode qu'elle avait été forcée de porter. En effet, elle avait appris que son amie Clémence avait été poursuivie par une horde de sauvage à la cocarde tricolore, car elle portait une chemise à la Reine. L'ex-comtesse de la Rolancy avait alors supplié sa fille de se plier aux exigences de la mode, au moins quand elle sortait.
Des injures roulaient contre ses dents, elle foudroyait du regard tous les saligauds qui avaient l'audace de la regarder de trop près.
Soudain, elle se heurta à un capitaine de l'Armée Intérieure.


"Pardon mademoiselle!"


Il l'aida à se relever.


"Menou va encore me passer un savon..." l'entendit elle marmonner.


Menou était le commandant de la 17e division, Loulou le connaissait de vu, c'était un véritable imbécile.
Elle se dégagea très vite des mains que lui proposait le capitaine, et se releva toute seule. Elle était face à un homme d'une trentaine d'année, aux yeux sombres, tristes, et aux cheveux noirs éclatés en mèches folles.


"Vous n'avez pas de mal Mademoiselle?
- Non, non, ça ira... grogna-t-elle.
- Vous n'avez besoin de rien?
- Non, merci Monsieur, cela ira très bien!"


Surpris par tant de violence dans un si petit bout de femme, le capitaine la laissa là, presque ému.


"Mademoiselle!"


Il la rattrapa en trois grandes enjambées.


"Monsieur je vous en prie! s'écria-t-elle en se dégageant. Je suis en deuil, ne venez pas m'importuner!!
- Moi aussi je suis en deuil, et je ne vous veux aucun mal.
- Alors que voulez-vous?
- Le nom de votre robe."


Elle fronça les sourcils. Etait il maladroit, idiot, ou tout simplement sincère?


"Une robe à la Diane..." lâcha-t-elle du bout des lèvres.


Le visage du capitaine se durcit.


"Je m'en doutais...
- Ah. Dit Loulou en haussant les sourcils d'un air méprisant."


Comme il restait planté là au beau milieu de la chaussée, elle se dit qu'il n'avait plus rien à lui dire, et elle fit demi tour.


"Comment vous appelez-vous?
- Cela ne vous regarde pas.
- Je vous en prie..."


Elle se retourna, le regarda un instant, avec son oeil si triste, son regard abattu.


"Loul... Louison de la Rolancy."


C'était du suicide. Qu'importe.
Mais il ne sembla pas surpris à son nom d'aristocrate, il sourit juste, la salua de la tête, et la laissa là, seule, sans un mot.








Le lendemain matin, un certain Alain de Soisson se présenta chère Madame Hortense, et demanda à voir Mademoiselle Louison. Surprise, la mère fit part de cette visite à sa fille, qui dit ne connaître aucun Alain de Soisson.
"Dîtes à la robe à la Diane qu'elle a perdu son mouchoir, hier."
Stratagème bien connu mais qui fonctionnait toujours, on fit donc entrer le capitaine. Hortense fut choquée que sa fille ait laissé son mouchoir à un inconnu, du côté des ennemis qui plus est!
Malgré le regard désespéré de sa fille, elle la laissa seule avec Alain. Après tout, si elle se liait avec l'un de ces... de ces... enfin, cela pourrait tourner à leur avantage. Lorsqu'elle eut fermé la porte, Loulou se renfrogna, croisa les bras sur sa poitrine, et s'enfonça au fond de son fauteuil.


"Si vous espérez obtenir quelque chose de moi...
- Rose de Versailles?
- ?"


Qu'était-il en train de lui raconter? Elle le vit qui sortait le fameux mouchoir de sa poche (il avait dû tomber de son réticule), et le respira.


"Rose de Versailles, c'est votre parfum, n'est-ce pas?
- Exact... dit-elle faiblement."


Qu'allait-il lui faire? Une aristocrate, qui porte un parfum typique des années Versaillaises, c'était... très dangereux. Elle le regarda d'un oeil inquiet.
Mais il n'avait pas cet air de coupe gorge prêt à fondre sur sa proie. Au contraire, il la regardait gentiment.


" Votre tante avait beaucoup de goût... Mademoiselle Loulou."


Elle écarquilla les yeux, s'accrocha aux mains d'Alain.


"Vous la connaissiez? Vous connaissiez Oscar? Et André? Vous connaissiez André?"


Alain ferma les yeux. Que c'était dur de se rappeler... Que cette voix féminine, enfantine, fragile, brisée, lui rappelait celle de sa petite soeur...
Il serra les mains de la jeune fille.


"André était l'un de mes plus proches amis, et... j'ai servi sous les ordres de votre tante...
- Oh mon Dieu..."


Elle détourna les yeux, une main sur sa bouche.


"D'ailleurs... André m'avait un jour parlé de vous.
- André? C'est vrai?
- Oui... Il m'a dit que... vous adoriez les poupées..."


Loulou blêmit, puis esquissa un pénible sourire.


"Il avait raison... mais ces salo... les révolutionnaires ont saccagés ma maison, et mes poupées sont parties en fumée...
- Cela est bien triste.
- Ne vous moquez pas.
- En aucun cas."


Il lui sourit. Jamais elle n'avait vu quelqu'un d'aussi tendre. Et pourtant, derrière cet extérieur doux, semblait se réfugier un passé brutal, excessif, violent, qui ne demandait qu'à ressortir, pour crier une injustice qu'ignorait Loulou.
Il lui baisa galamment la main. Elle su à cet instant qu'il ne dirait rien.




Le lendemain, un colis était déposé chez les Rolancy. À l'intérieur, il y avait un châle en cachemire, l'un de ces introuvables et précieux châles que s'arrachaient les plus grandes. C'était, disait la lettre: pour couvrir ce sein que je ne saurais voir.
Et puis, à l'intérieur du châle, tombant dans les mains de Loulou quand elle le déroula: une grande poupée rousse, à la robe rouge cousue de dentelle blanche, avec cette étiquette:


Votre tante voulait vous l'offrir pour vos quatorze ans.






FIN
Review Louison de la Rolancy


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