Variation marine
Rei regardait la mer étendue à ses pieds. Paisible, sereine, immuable... Le soleil jouait avec la surface bleutée, créant des reflets aux transparences de diamant. Les mêmes reflets se lisaient dans le regard de la jeune fille, habillant de mystère les prunelles rêveuses.
Les vagues allaient et venaient en ballet permanent, conduisant l'esprit de Rei de l'image d'un monde révolu au mirage d'un monde inconnu. Un sourire ambigu étira ses lèvres salées. Un sourire qui ressemblait à un petit oiseau cherchant à s'envoler mais ne sachant pas comment faire, avec la peur de tomber au bout des plumes. Il eut suffi de si peu...
Rei se baissa et plongea ses mains fines dans l'eau claire. Lorsqu'elle les releva, l'eau s'échappa, furtive prisonnière. Pourtant, ses mains étaient mouillées. Pourrait-elle un jour stopper le cours des vagues pour trouver la paix du coeur ? Son passé cesserait-il un jour d'encercler son présent pour lui offrir un avenir ?
Nanako ne pouvait détacher ses prunelles mouillées du profil pur de Rei. Une telle expression de sereine souffrance s'échappait de ce visage aimé, envoûtant la petite fille qu'elle était.
Un seul sourire de Rei était pour elle comme le doux chant des sirènes. Mais cette fois, son sourire était pour elle, uniquement pour elle, cette étendue immense entremêlant le turquoise au saphir avec des couronnes d'écume.
Nanako s'agenouilla sur le sable, à la limite des vagues. A chaque avancée, l'eau semblait vouloir la toucher de sa grâce, pour finalement s'en retourner sans même frôler cette enfant en prière.
Qu'elle était cruelle, cette mer qui avait recueilli tant de perles de pluie mais qui refusait les larmes de son amour !
Le regard de Fukiko transperça Rei pour se perdre dans les abysses d'une mer déchaînée, celle de son coeur. Comment concilier la beauté de cette étendue ondoyante à la tempête qui meurtrissait chacune de ses pensées ? Sérénité trompeuse !
Elle était ce marin trop confiant entraîné dans un abîme solitaire... Elle était ce monstre aveugle qui engloutissait le naufragé...
Qui avait les clefs pour plonger son coeur dans la limpidité du pardon, pour l'ouvrir aux splendeurs de l'amour partagé ? Un amour fraternel...
Elle recula devant une vague audacieuse. Cette mer si belle, cette traîtresse !
Kaoru fendait la surface irisée d'un regard si franc qu'il en était blessant. Derrière l'apparente innocence des vaguelettes se cachait la puissance destructrice des scélérates. L'espoir se heurtait à l'abîme insondable du lendemain, comme ses prunelles se heurtaient au miroir azuré.
Cette eau n'éteindrait pas le feu de son angoisse. Néanmons, l'espace d'un instant, elle envia Rei de pouvoir aussi facilement plonger dans cette mer sans cesse renouvelée et pourtant identique ; Plonger en elle-même sans crainte de se meurtrir, en acceptant la souffrance. Son regard se fixa alors sur sa camarade, silhouette humaine, forte et fragile face à l'immensité. Elle sourit.
Peu importait hier, peu importe demain, elle devait vivre l'instant présent. Elle était cette vague qui devrait se briser tôt ou tard, sur la douceur de la plage ou l'arête d'un rocher.
Mariko sentait le pouvoir hypnotique des divinités marines l'envahir. Elle avait le tournis, ballotée d'écume en écume. Elle avait envie de crier. Tout était si grand ! Où était sa place ? Elle courut au-devant de son destin jusqu'à avoir de l'eau jusqu'aux genoux.
Alors elle se sentit mieux. Alors elle sembla comprendre le sourire que Rei lui tendait, et accepta de se révéler dans la chaleur du regard bienveillant de Kaoru. Elle sentait les vagues la ramener vers le sable, avant de la pousser de nouveau vers le large. Pourtant, elle se tenait debout, ondulant légèrement au gré des courants.
Dans cette eau sombre aux reflets de lumière semblait se cacher une promesse. Pouvait-on jouer longtemps la comédie devant cette vision d'éternité ? Libérée, Mariko se mit à rire.
En hommage à toutes les mers du monde ! |