Son regard accrocha le reflet d’une jeune fille pâle, l’air hébété. Sans doute à cause des vitres du bus… Ce n’était pas un miroir très flatteur.
Nanako avait refusé de croiser l’œil accusateur d’un miroir jusqu’à présent. Pour voir quoi ? Ses yeux rougis ? Sa souffrance ?
« Rei… Pourquoi ? Pourquoi es-tu partie ?!! »
Comme tous les jours, elle s’était habillée. Le lycée Seiran ne l’obligeait pas à porter l’uniforme. Elle n’en était pas moins prisonnière de ses habits de petite fille sage. Pas de tenues excentriques, ou personnalisées, non ! Juste une tenue de petite fille sage, différente de celle d’hier et de celle du lendemain, et pourtant si semblable chaque jour !
Elle avait salué ses parents. Nanako avait la chance de bénéficier de l’amour de ses parents, contrairement à Fukiko qui avait tant couru après l’amour de sa mère, et de leur attention bienveillante, contrairement à Rei qui avait dû grandir trop vite.
Non ! Nanako n’avait pas à se plaindre !
Alors pourquoi ce sentiment de vide intense après la disparition de « Saint Just » ?
Elle ne manquait de rien, que lui fallait-il encore ?
La jeune fille détourna le regard, ne pouvant plus supporter son reflet dans la vitre sale. Ce qui lui manquait, c’était la passion d’un cœur qui bat plus que de raison, c’était la folie accompagnant l’attente quand on regarde l’être aimé, c’étaient les frissons qui la parcourait en songeant à…
A Rei ! A elle !
Les jeunes filles avaient l’habitude de se « mesurer » les unes aux autres. Les amitiés se liaient et se déliaient, les relations se tendaient et s’alambiquaient.
Mais elles finissaient par trouver leur autre dans le regard d’un jeune homme. Et leur vie prenait alors une nouvelle dimension.
Nanako poussa un soupir tremblant. Cette fois encore, elle n’avait pu empêcher les larmes de couler. Petite fille sage et trop émotive !
Elle, elle avait trouvé son autre dans le regard d’une jeune fille. Rei… Une jeune fille dont la souffrance intérieure répondait à sa sagesse enfantine. Dont le caractère rebelle soutenait sa passivité. Dont l’âme torturée excitait ses rêveries romantiques. Dont la force de mort encourageait sa puissance de vie, mais une vie sans heurt.
Nanako sanglotait sans pouvoir s’arrêter. Pauvre petite fille sage et trop émotive !
Ce n’était pas la disparition d’une amie qu’elle pleurait, c’était la mort de son amour.
Qui l’eut cru ? Elle était bien trop sage.
« N’ai-je pas le droit de souffrir parce que je ne sais pas hurler ? N’ai-je pas le droit de saigner parce que je sais pleurer ? »
Nanako respira profondément. Son arrêt de bus…
Elle descendit, humecta son mouchoir pour soulager la brûlure de ses yeux. On ne lui dirait rien. On ne lui poserait aucune question. Elle pleurait si souvent…
Elle esquissa un sourire. Elle comprenait pourquoi Rei la comparait à sa poupée. Cette poupée qu’elle avait détestée parce qu’elle était un cadeau de Fukiko. Qu’elle avait enviée parce qu’elle était aimée de Rei. Lisse… Que découvrirait-on si les poupées n’étaient pas inanimées ? Nul ne le saurait maintenant que Rei avait disparu.
Un jour nouveau commençait. Un cœur saignait. |