Auteur : Rosenrot Hits : 2110
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C'est la toute première fois que je me rique dans le domaine de la fan fiction, mais l'univers de Lady Oscar me permettait d'en évoquer un autre qui m'est cher. Comme je ne suis guère familière de ces procédés, j'ai mis ça dans cette section un peu au pif, parce que... bah... André a quand même le beau rôle, donc voili voilou.


Le genêt d'Espagne



Oscar était pensive, observant le paysage environnant depuis la fenêtre de sa chambre. Comme en hommage en ce jour de sa vingt-cinquième année, la nature avait revêtu son manteau de blanc dans la nuit. Tout semblait bien paisible en cet hiver, surtout ici, à Jarjaye, à l'écart des fastes et des excès de la Cour. Pour son anniversaire, le colonel de la garde royale avait obtenu un congé exceptionnel, à la demande de sa famille. Tout compte fait, ceci n'était pas pour lui déplaire.
Un mouvement attira son attention. En bas, dans l'allée menant aux écuries, André, son fidèle valet et éternel ami, tâchait d'évoluer dans le grand manteau de neige. La haute silhouette se hâtait, drapée dans son manteau. Il devait avoir froid, songeait Oscar. Mais que faisait-il dehors à cette heure ? Elle était un peu déçue. En temps normal il s'arrangeait pour avoir terminé ses tâches à l'écurie avant qu'elle ne se lève. Et voilà qu'en ce jour particulier, elle savait qu'elle ne le trouverait pas pour l'accueillir à la cuisine. Elle soupira, puis se reprit. Voyons, ce ne sont là que des enfantillages, fort peu digne d'un fier soldat comme elle.
Elle se décida donc à descendre retrouver les siens. Elle fut accueillie chaleureusement par sa mère et Grand-mère. Ses sœurs arriveraient dans l'après midi avec leurs époux et leurs enfants.
- Bon anniversaire ma chérie, murmura Grand-mère à son oreille en la serrant dans ses bras.
La jeune femme ne put refréner un sourire. Puis elle se tourna vers son père, lui aussi présent.
- Mon fils, en cette journée exceptionnelle, j'ai décidé de vous offrir un cadeau d'exception, à la hauteur de la valeur que vous me prouvez avoir chaque jour que Dieu fait
- Merci père, répondit Oscar en s'inclinant. Mais ce n'était pas nécessaire, votre respect et la satisfaction que je peux vous apporter me suffisent déjà amplement.
Le Général de Jarjaye sourit et fit signe à Oscar de le suivre. Il traversa le salon, puis le vestibule, et gagna la porte d'entrée. La jeune fille devait bien avouer être des plus intriguée. Son père ouvrit alors la porte et gagna le perron de la maison. Et de là, Oscar le vit.
Dans la cour, aux côtés d'André qui le tenait au licol, se tenait le plus bel étalon qu'elle eut jamais vu. C'était un genêt d'Espagne du plus splendide spécimen. Sa peau frémissante était tendue sur une ossature puissante et une musculature développée. Il arborait une large encolure et une tête finement busquée sur laquelle retombait la masse de son toupet soyeux. Ses longs crins noirs soulignaient la ligne harmonieuse de son avant-main pour dévoiler un dos droit et fort, un rein court et une belle croupe oblique. Nerveux, il fouaillait l'air de sa queue, tandis que ses longues jambes élancées et aux aplombs parfaits dansaient autour du jeune homme qui le tenait. Ses yeux vifs observaient autour de lui avec nervosité, ses longues oreilles fines tournicotant en tous sens, frémissant quand André lui adressait une parole caressante. Oscar était subjuguée.
- Il est à vous mon fils. Votre brave Alcide commence à prendre de l'âge et voilà de quoi assurer dignement sa relève.
- Père, je ne sais comment vous remercier, cet animal est superbe.
- Et bien, essayez-le ! Je l'ai monté la semaine dernière quand je suis allé le voir. C'est une monture de premier ordre et au dressage parfait. André m'a aidé à le choisir. Je dois avouer que notre ami a l'œil.
Oscar acquiesça en connaisseuse. En effet, les chevaux n'avaient plus de secrets pour son compagnon de toujours. N'y tenant plus, elle dévala l'escalier et alla à la rencontre de son nouveau cheval. André l'accueillit, un grand sourire aux lèvres.
- Joyeux anniversaire Oscar, même si je n'y suis pas pour grand-chose dans ce somptueux présent.
La jeune femme lui sourit distraitement, subjuguée par l'étalon. Il était encore plus beau de près. Ses crins noirs étaient ondulés et sa robe d'un marron rougeoyant luisait de mille feux. Sur sa tête, une légère marque blanche, dissimulée de prime abord par ses crins, personnalisait la figure racée de l'animal. Il avait de belles jambes sèches, sans la moindre tare. Ses sabots semblaient sains et bien durs.
- Quel âge a-t-il ?
- D'après ses dents, je dirais 5 ans. Il est jeune et plein de feu.
- C'est une vraie splendeur.
- Il s'appelle Pyrrhus, un nom qui lui va à ravir je trouve.
La jeune femme acquiesça, observant toujours l'animal. Elle tourna un peu autour, pour mieux l'admirer, et demanda à son ami de le faire un peu trotter devant elle, qu'elle voit ses allures.
- Je veux bien, mais il est chaud comme la braise, je ne te promets pas que ce soit très académique ! Fit André en riant.
En effet, quand il fit mine de mettre le cheval au trot, ce dernier bondit en avant et se mit à galoper en biais à côté de lui. Le jeune homme tenta de rattraper son licol, mais il fit une cabriole et reparti d'un bond, traînant le pauvre André derrière lui. Mais le valet ne s'en laissait pas compter avec les chevaux. D'un geste ferme et, reprit l'animal, l'incitant à se tenir un peu mieux. Il lui fallut quelques tentatives avant de parvenir à le faire trotter à ses côtés, mais à force de persuasion, il y arriva.
- J'aime sa fougue, approuva Oscar. Et ses allures sont magnifiques. Elles sont déliées et souples. Il a du panache, mais ne billarde pas excessivement, ce qui devrait lui éviter de trop se fatiguer pour rien. C'est parfait. Je vais prendre mon déjeuner ; veux-tu bien me le seller pendant ce temps André ?
Le jeune homme hocha la tête et mena le cheval à l'écurie. Il l'attacha dans l'allée et commença à le panser, même s'il était propre.
- Tu me sembles drôlement sensible mon garçon, murmurait le jeune homme en brossant l'animal avec délicatesse.
La bête frémissait sous son toucher pourtant léger. Le jeune homme poursuivit ses gestes, lents et concentriques, transformant ce moment en une véritable séance de massage. Ce faisant, il parlait doucement à Pyrrhus, le berçant de ses paroles caressantes et apaisantes. Peu à peu, l'animal se détendit tout à fait. Il laissa aller sa longue encolure et replia un postérieur sous lui, un soupir de bien-être le faisant vibrer tout entier. André n'était pas peu fier d'être parvenu à ce résultat. Il observa ensuite la carrure de l'animal pour lui trouver une selle qui lui irait. Celle d'Oscar serait trop étroite, Alcide étant plus élancé que ce cheval-ci. Mais au fin fond de la sellerie, André trouva enfin ce qu'il cherchait et en équipa l'animal. Puis il observa sa bouche avant de lui choisir une embouchure.
- Je n'aime pas trop l'allure de la commissure de tes lèvres mon grand… Disait-il. J'ai dans l'idée que tu n'as pas toujours été mené avec la plus grande délicatesse. Mais Oscar a une bonne main, ne t'en fais pas. Elle voudra cependant que je te mette une bride complète, elle y est habituée. Tâche de ne pas t'en offusquer.
Ce faisant, il avait ajusté la bride, pourvue de deux mors, sur la tête de l'animal. Ce dernier mâchouillait l'ensemble, un peu crispé pourtant. André décida de ne pas trop serrer la gourmette. Pyrrhus était un cheval de grande qualité ; André l'avait su dès le premier regard. Mais quelque chose lui disait que cet animal n'avait pas eu une vie toujours rose et il commençait à se demander si cela ne risquait pas de lui avoir gâté le caractère. Certes, le jour de l'essai par le Général, tout s'était bien passé. Mais l'étalon lui avait semblé plus calme qu'il ne l'était aujourd'hui.
- À moins que ce ne soit juste le changement de vie qui te perturbe… Tu n'es arrivé qu'hier.
- Toujours en train de parler aux chevaux mon pauvre André. Tu espères encore qu'ils te répondent ?
Oscar éclata de rire, joyeuse. André haussa les épaules affichant une moue faussement boudeuse. Ces taquineries étaient habituelles entre eux, même s'il regrettait parfois que la jeune femme n'essaye pas de comprendre son point de vue. Bien sûr que les chevaux lui répondaient, ils n'avaient pas besoin de la parole pour se faire comprendre.
Le jeune homme détacha l'étalon et le mena hors de l'écurie en compagnie d'Oscar qui lui faisait l'éloge de son nouveau cheval.
- Qu'il est beau ! Père dit que c'est toi qui l'as repéré ? Sacré André, on ne peut pas te retirer ça, tu as vraiment l'œil en matière de chevaux.
- Ton père en cherchait un blanc ou gris parce que tu es connue pour chevaucher un cheval immaculé, mais j'ai trouvé que Pyrrhus avait bien plus de panache qu'aucun autre. Et d'après moi, cette couleur de braise te va tout aussi bien que la pureté ivoirine d'Alcide.
- Et le noir de ses crins, que rappelle-t-il ? Demanda la jeune femme, taquine.
- Hum… le beau brun qui est toujours dans ton ombre peut-être ?
Ils éclatèrent de rire. André était ravi de retrouver leur complicité. Avec ses devoirs à la cour, Oscar avait pu être fatiguée et occupée ces derniers temps, et passer des moments privilégiés avec elle lui manquait. Ils gagnèrent ensemble le manège où le général les attendait. Avec la neige qui recouvrait les environs, il aurait été dangereux d'essayer le cheval dehors. André tint la bride du genêt tandis que la cavalière se mettait en selle gracieusement. Il se recula ensuite pour se placer derrière le général et observer la suite des événements.
On peut dire que Pyrrhus savait se donner en spectacle ! À peine Oscar eut-elle les rênes en main qu'il bondit en avant. Surprise, elle raffermit sa position en selle et reprit le cheval… ou du moins tenta de le faire. La tête en l'air et l'œil révulsé, Pyrrhus piaffait et se pointait se comprimant complètement sous les actions de main, pourtant légères d'Oscar. La jeune femme tenait en selle aisément, grâce à son excellente assiette entre autre, mais elle ne savait plus quoi faire pour tenir l'étalon. Il semblait se monter la tête tout seul.
- Quelle fougue, commenta le général, appréciateur.
André ne partageait guère son opinion. Le cheval lui semblait plus paniqué que fougueux, et à force de la comprimer comme elle le faisait, Oscar s'exposait à le voir se détendre de la façon la plus brutale qui soit.
Cela ne manqua pas. Après l'avoir repris suite à une tentative d'accélération, Oscar tenta de le soumettre d'un demi-arret. L'étalon bascula toute sa masse sur l’arrière-main et dès que la jeune femme rendit un peu les rênes, il se propulsa sur les postérieurs en un fantastique saut-de-mouton. Surprise, la cavalière retomba lourdement en selle, ce qui affola complètement sa monture. Il enchaîna trois ou quatre autres sauts qui eurent raison de l'assiette du colonel de Jarjaye. La jeune femme décrit une magnifique parabole pour atterrir le nez dans le sable.
- Oscar ! S'écria André, alarmé.
- Le cheval André, bon sang, le cheval ! Lui rappela sèchement le Général alors qu'il allait vers sa fille qui se relevait déjà.
Contrit, le jeune homme se tourna vers Pyrrhus qui s'était réfugié dans un coin du manège, tremblant.
- Qu'est-ce qui t'a pris mon bonhomme ? Ce ne sont pas les manières que l'on attend de toi, lui disait-il en s'approchant doucement de lui. Je sais bien que cette mise en bouche a été un peu abrupte, mais c'est ainsi que cela se passe ici. Je m'occuperais bien de toi va, ne t'inquiète pas pour ça, mais il va falloir que tu t'entendes avec Oscar si tu veux rester ici. C'est une excellente cavalière à la main fine et à l'assiette légère. Tu n'auras pas à t'en plaindre si tu veux bien lui laisser sa chance.
Il avait rejoint l'étalon, et tendu la main vers lui, continuant de lui parler. L'animal semblait s'apaiser un peu et souffla sur ses doits avant d'y frotter le bout de son nez. André sourit et s'approcha de lui. Il lui gratta le front gentiment, continuant de l'apaiser de ses paroles. Bientôt ses tremblements cessèrent et Pyrrhus enfouit sa tête dans la veste du jeune homme, fermant les yeux, tâchant de retrouver près de son protecteur la quiétude à laquelle il aspirait tant.
Debout aux côtés de son père, Oscar observait la scène en silence.
- Vous devez remonter mon fils.
- Bien sûr père, mais je vais laisser André le calmer un peu. Regardez comme il s'apaise auprès de lui, c'est à se demander comment il fait. Il n'est pas vicieux cet animal, mais il a complètement paniqué de m'avoir sur son dos, vous l'avez vu.
- Mais je l'ai pourtant monté il y a une semaine ! S'emporta le général, furieux ! Ce n'était pas un poulain vierge de la selle.
- Sauf votre respect, dit alors André, je me demande si nous ne nous sommes pas fait rouler dans la farine. Il avait peut-être été fatigué avant notre venue, ou alors il était sous-alimenté exprès. Ou bien les deux. Ce sont des pratiques courantes. Mais il reste un animal splendide auquel nous pouvons donner sa chance.
Le Général se tourna vers sa fille, attendant son avis.
- C'est votre cheval après tout. Mais si vous ne souhaitez pas le garder, je l'échange sur le champs.
Oscar réfléchit un instant, observant le cheval, puis son ami.
- Je vais me fier à l'avis d'André. Il sait de quoi il parle, nous n'avons jamais eu à nous plaindre de ses conseils en matière de chevaux. Laissons-lui une chance.
- Bien, je vous donne une semaine pour en faire quelque chose. Si nous ne pouvons rien en tirer, je ne souhaite pas laisser ce marchand me rouler. C'est pourquoi je souhaite toujours l'échanger s'il est inutilisable.
Oscar acquiesça. Voilà qui lui semblait logique. Elle s'approcha à nouveau du cheval pour se remettre en selle. André fronça les sourcils.
- Je ne peux pas rester sur une chute, tu le sais aussi bien que moi.
- Oui je comprends, mais fais attention.
- Je suis coriace !
- Je le sais, mais je voulais dire, fais attention de ne pas le brusquer, il est sensible. Peut-être vaudra-t-il mieux que je le tienne le temps qu'il se calme.
- André, que dis-tu ! S'emporta Oscar. C'est ridicule voyons, je suis une cavalière émérite, j'ai passé depuis bien longtemps l'époque où j'avais besoin qu'on tienne la bride de mon cheval, fût-il sauvage !
Le jeune homme leva les yeux au ciel pendant que sa compagne, vexée, attrapait les rênes du cheval. Ce dernier se tendit tout de suite, roulant un regard en coin à sa cavalière. Il ronfla et marcha en crabe quand elle voulut remettre le pied à l'étrier et André dut tout de même lui tenir la bride. Il lui grattait discrètement la joue en murmurant des mots apaisants, espérant que cela suffise à le détendre. Ce ne fut pas le cas car l'animal reparti dans une démarche piaffante et hachée. Mais cette fois Oscar était sur ses gardes et elle ne commit pas l'erreur de l'acculer sur un demi-arret, ni de lui rendre les rênes. L'animal essaya pourtant de bondir à nouveau, comme il l'avait fait plus tôt, mais elle le tourna vers un coin du manège, le bloquant, puis elle lui demanda tout de suite de se déplacer en sens inverse, l'empêchant d'initier un autre mouvement malheureux. André dut reconnaître que cette technique avait le mérite d'être efficace. Il admirait l'adresse de son amie, mais en même temps, il avait le cœur serré de voir le beau Pyrrhus contraint et apeuré, se déplaçant de façon hachée et saccadée dans le manège, l'œil brillant d'une détresse sauvage. En une demi-heure à peine, il était en nage, et ses postérieurs tremblaient d'épuisement. La jeune femme l'arrêta dans un coin et descendit prestement. Elle tendit les rênes à André, l'air contrarié. Bien sûr elle l'avait plus ou moins soumis, mais ce n'était pas ce résultat qu'elle escomptait. Elle jeta un coup d'œil à son ami à la dérobée. Ce dernier caressait le cheval, l'observant d'un air malheureux. Oscar rougit et détourna les yeux, honteuse d'être à l'origine de la tristesse de son ami.
- Je vais le bouchonner, dit le jeune homme d'une voix enrouée.
Oscar restait silencieuse. Elle le regarda emmener l'animal vers l'écurie à pas lent, caressant avec délicatesse l'encolure de la bête et lui adressant des propos apaisants.
- Vous vous en êtes remarquablement tiré mon fils, approuva le Général. Ce cheval est difficile, mais je dois reconnaître que vous savez comment le prendre.
- Peut-être… Murmura la jeune femme le regard toujours posé sur André qui s'éloignait avec Pyrrhus.

Le soir était tombé sur Jarjaye. Toute la famille était réunie dans le salon, profitant de l'une de ces rares réunion familiale. La comtesse était radieuse, savourant la présence de ses filles et de ses petits-enfants. Oscar leur racontait son travail à la garde royale, sous le sourire approbateur de son père. André alimenta la cheminée avant de s'éclipser vers la cuisine.
- Tu n'as plus besoin de moi Grand-mère ?
- Je ne crois pas mon petit. Tu devrais aller te coucher, tu es fatigué.
- Ne t'en fais pas pour moi, je vais aller faire un dernier tour aux écuries.
Grand-mère lui donna un coup de louche sur la tête.
- Imbécile, tu sais bien qu'Armand s'en est occupé. Cesse de t'inquiéter pour cet animal, il est entre de bonnes mains.
- Voyons Grand-mère je ne fais rien de mal, protesta le jeune homme.
- Je le sais mon garçon, tu as toujours les meilleures intentions du monde, lui dit-elle en souriant. Mais à te voir, on dirait que tu es tombé amoureux de cette bête !
Le jeune homme éclata de rire.
- Peut-être bien Grand mère, peut-être bien !

Oscar observait André et Pyrrhus à la dérobée. Elle s'était esquivée du salon après avoir aperçu par la fenêtre le jeune homme prenant le chemin de l'écurie. Elle se doutait de ce qu'il allait y faire. Elle était restée dans la pénombre après avoir ouvert la porte en silence. Son ami de toujours s'était installé sur la porte du box de l'étalon et lui parlait doucement. Le cheval s'était approché près de lui, reposant la tête sur ses genoux, se laissant caresser, les yeux mi-clos.
- Comment fais-tu cela ?
Pyrrhus sursauta en entendant sa voix. Il ronfla et alla se réfugier au fond de son box, tendu comme un arc. André soupira et descendit de son perchoir pour aller à la rencontre d'Oscar.
- Comment je fais quoi ?
- Demain, c'est toi qui le monteras, décida brusquement la jeune femme, éludant la question.
- Oscar, tu n'y penses pas, ton père n'acceptera jamais. Et je suis loin d'avoir ta technique équestre.
- Mon père n'en saura rien et de toute façon c'est un ordre. Tu montes depuis tout petit, je ne m'inquiète pas trop pour tes capacités à tenir en selle.
- Cela n'a rien à voir, je n'ai fait que battre la campagne avec toi, tu le sais. Toi, tu as pris des leçons, tu connais toutes les subtilités de l'art équestre. J'étais épaté par ce que tu arrivais à faire ce matin, je n'aurais pas cru qu'il fut possible de tirer ça d'un cheval dans un tel état d'excitation.
- Tu sais très bien que ce n'était pas satisfaisant, répliqua-t-elle sèchement. Et ne me dis pas le contraire, j'ai bien vu à quel point ça te fendait le cœur de le voir aussi paniqué. Tu le monteras demain.
- Bien Oscar.
Il retourna parler à l'étalon, le rassurant de ses paroles. La jeune femme quitta l'écurie, se sentant un peu honteuse de n'avoir pas su parler à André sur un autre ton. Alors qu'elle voulait lui dire qu'elle admirait son tact, et qu'elle était convaincue qu'il était assez doué pour rattraper aisément ses lacunes techniques, elle n'avait pas pu s'empêcher de le houspiller et de le rudoyer. Fichue fierté ! Elle était un peu vexée de devoir demander de l'aide à André pour quelque chose qui aurait dû faire partie de ses prérogatives. Elle était militaire, il était palefrenier… Heureusement qu'il s'agissait de lui, sans quoi elle n'aurait jamais pu se résoudre à faire une telle demande.

Le lendemain, ils se retrouvèrent au manège après le déjeuner. Oscar s'était levée très tôt pour être sûre que son père ne viendrait pas voir comment elle s'en tirait avec le cheval. André l'avait amené et attendait ses instructions.
- Qu'est-ce que c'est que ce harnachement ?
Oscar fronçait les sourcils. André était-il stupide ? Non seulement il avait omis de lui passer le mors de bride et la muserolle, résumant son embouchure à un simple filet, mais en plus, il ne lui avait pas mis de selle. Est-ce qu'il voulait se tuer ?
- Oscar, tu m'as demandé de le monter dans l'espoir qu'il soit plus détendu. Laisse-moi essayer à ma façon.
- Comment espères-tu le tenir avec ce mors ? Que tu tiennes bien à cheval à cru ne me surprends pas, mais qu'espères-tu prouver en te passant de selle ?
- Je ne veux rien prouver du tout, je veux juste éviter de le braquer. C'est pour ça aussi que je ne souhaite pas tenter de le tenir par le mors.
Oscar se tut, continuant de se demander si son ami était tombé sur la tête. À dire vrai, elle sentait une pointe d'inquiétude lui nouer la gorge. Il était hors de question qu'André se blesse par sa faute. Mais il sentait confiant, alors elle lui fit signe de commencer.
À sa grande surprise, le jeune homme ne monta pas sur l'étalon. Il le fit marcher à ses côtés. Puis il lâcha la bride de Pyrrhus et se mit à courir. Le cheval prit le trot derrière lui, les oreilles pointées bien en avant, l'encolure détendue. André s'arrêta, le cheval stoppant sur ses talons. Puis le jeune homme reparti, toujours suivit de la grande silhouette du genêt bai. Il bifurqua, s'arrêta, reparti. Peu à peu il en était à venu à courir de plus en plus vite, le cheval galopant, joyeux, à ses côtés. Au bout de quelques minutes, le jeune homme était essoufflé. Il s'arrêta au centre du manège, reprenant haleine, le nez de l'étalon posé sur son épaule. Oscar était toujours muette. Elle fronçait les sourcils. À quoi menait cette mascarade ? Elle était pourtant admirative de ce qui se passait sous ses yeux. À vrai dire toute trace de peur et de nervosité semblait avoir quitté Pyrrhus. Il semblait gai, comme s'il jouait avec André. Oui, c'était cela, tous les deux s'amusaient ensemble. Cette approche allait un peu à l'encontre des idées de la jeune militaire, mais elle décida de ne pas intervenir. Après tout c'était elle qui avait demandé ce service à son ami.
Ce dernier s'était approché du flanc du cheval. Sans prendre les rênes, il prit son appui et s'élança souplement sur son dos. Pyrrhus sursauta et se crispa. Mais André, au lieu de prendre les rênes se coucha sur son encolure, le caressant et lui parlant. Ils restèrent ainsi bien cinq minutes, à l'arrêt. Le jeune homme s'était redressé et caressait à présent la croupe du cheval. Ce dernier avait tourné la tête pour le regarder, confiant.
- Et bien mon ami, qu'en dis-tu ? Si nous passions aux choses sérieuses ?
Il prit les rênes, les gardant mi-longues, se contentant de guider vaguement l'animal qui se mettait en branle. Pyrrhus était dressé. Maintenant qu'il était en confiance, il se laissait monter docilement. Le jeune homme le mit bientôt au trot, lui faisant exécuter les quelques figures de manège qu'il connaissait. Puis il passa au galop, fit quelques cercles à chaque main. Pyrrhus se déplaçait avec souplesse et énergie. À voir le peu d'effort qu'André faisait pour se maintenir dessus, Oscar pu deviner le confort et l'aisance du cheval. Subjuguée, elle s'avança et prit enfin la parole.
- Tu peux reprendre un peu de contact ?
André raccourcit légèrement les rênes. Le cheval se crispa un peu.
- Ouvre tes doigts, sois moelleux !
Le jeune homme s'exécuta, commençant à converser de ses mains avec la bouche du cheval. Un contact léger mais franc vint bientôt récompenser sa délicatesse. Pyrrhus prenait son mors, détendu et sur la main. Oscar admirait. Ce cheval était une merveille. Les dons de l'étalon, sa technique à elle et le tact d'André, tous les ingrédients étaient là pour atteindre les sommets de l'art équestre. Elle tâcha de contenir son excitation et continua de prodiguer ses conseils.
- Redresse juste un peu tes épaules pour le cadencer, ralentis en douceur, et il va se rassembler.
La magie opérait. Bien vite, ce ne fut plus un cheval et son cavalier, mais un couple de danseurs. André obéissait aveuglément et avec précision à chaque ordre d'oscar. Et sous lui, la bête se faisait centaure, sortant les allures les plus magnifiques que la jeune femme avait jamais vues, virevoltant à la moindre pression de l'assiette de son cavalier, évoluant avec une légèreté confondante. Et puis le rêve prit fin. André arrêta l'animal et lui rendit les rênes, enlaça sa grande encolure en une étreinte vibrante.
- C'était magique, balbutia-t-il des étoiles pleins les yeux en descendant de l'étalon. Merci Oscar.
Elle lui sourit, encore sous le charme du spectacle auquel elle avait assisté. Et André qui trouvait encore le moyen de la remercier, alors que lui seul avait été capable de ce prodige. Elle allait prendre la parole, quand une voix se fit entendre à la porte du manège.
- Ma parole, mais à quoi jouez-vous ?
Oscar se retourna.
- Père, vous venez de manquer une des plus belle démonstration de dressage que je n'ai jamais vue. Vous pouvez en être sûr à présent, ce cheval est une merveille !
Et André également, eut-elle envie d'ajouter.
Le général de Jarjaye se renfrogna. Il n'appréciait guère cette façon de procéder. Il se contenta de rappeler brusquement à son « fils » qu'il avait une semaine pour le lui présenter lui-même sous la selle (avait-il précisé en insistant sur ce mot) et de façon académique.
- Votre ami, le comte de Girodelle sera présent. Il a un autre cheval à vous proposer si celui ne convenait pas.
Là dessus le général tourna les talons. Oscar soupira. Pendant ce temps, André était descendu de l'étalon. Il avait rejoint la jeune femme, Pyrrhus sur ses talons.
- Je m'attendais à bien pire, avoua-t-il.
Oscar haussa les épaules. Elle contempla l'animal qui se tenait calmement aux côtés d'André. Il allait falloir qu'elle apprivoise cette bête et que, pour ce faire, André lui en donne les clés.
- Quand penses-tu que je pourrais le monter moi-même ?
- Demain si tu veux proposa André. Ce n'est pas tant monter le problème que le laisser faire connaissance avec toi. Il est sensible et demande à ce qu'on le traite avec respect. Je l'ai su tout de suite que c'était le plus noble des chevaux, la monture idéale pour toi, ajouta-t-il en faisant un clin d'œil à Oscar.
La jeune femme lui sourit, touchée. Mais tout cela ne précisait pas pour autant leur plan de bataille.
- Comment dois-je « faire connaissance » avec lui alors ?
- Tu pourrais peut-être commencer par le caresser…
Oscar se sentit un peu bête tant cette réponse était évidente. Et pourtant, il ne lui avait encore pas traversé l'esprit de caresser son nouveau cheval. Elle approcha la main, doucement, afin qu'il puisse la sentir. Mis en confiance par André, Pyrrhus se laissa faire. Elle lui flatta l'encolure à grandes claques sonores, ce qui ne sembla pas plaire au cheval. Interloquée, elle regarda André qui levait les yeux au ciel avec consternation.
- Franchement Oscar, tu apprécierais ce genre de caresses ? Il se mordit les lèvres, prenant conscience du terrain glissant sur lequel il s'engageait. Il se racla précipitamment la gorge avant de tendre lui aussi la main vers le cheval pour faire diversion.
- On fait toujours comme ça avec les chevaux, grommelait la jeune femme.
- « On » n’a pas toujours raison pour autant.
Il glissait avec délicatesse ses mains sur les longs muscles du cheval, cherchant les endroits qu'il aimait. Il insista un peu au niveau du garrot, l'étalon semblant se détendre à ce contact. Ses doigts remontèrent le long de la crinière, virent grattouiller derrière les oreilles, là où le frottement du bridon avait fait transpirer le cheval, puis il descendit le long de la face racée de l'animal. Ce dernier poussa un soupir d'aise, fermant à demi les yeux. Il s'appuya doucement contre la poitrine du jeune homme qui lui prit la tête entre les bras.
Oscar observait. Elle était touchée de voir à quel point le cheval rendait à André ses gestes d'affection. Elle comprit alors pourquoi son ami lui affirmait que les chevaux lui répondaient quand il leur parlait. André avait appuyé sa tête au sommet de celle de Pyrrhus, et lui aussi avait fermé les yeux, tandis que ses mains continuaient à masser les ganaches du cheval. Puis le jeune valet brisa cette étreinte et s'écarta d'un pas.
Oscar tenta une nouvelle approche. Un peu raide, elle se mit à caresser le cheval. Ce dernier s'était tendu, il se méfiait d'elle.
- Détends-toi oscar, personne ne te regarde. Laisse-toi un peu aller, il sent que tu es crispée et c'est pour ça qu'il s'inquiète.
La jeune femme ravala une réplique acerbe et tenta de se laisser aller. Le contact du poil du cheval sous ses doigts n'était pas désagréable. Elle sentait son grand corps frémir sous son toucher, et la chaleur de l'animal se communiquer à elle. Peu à peu, elle y prit goût et ses caresses se firent plus naturelles. Pyrrhus se détendit alors. Oscar était ravie.
- Bien, c'est pas mal pour aujourd'hui.
André acquiesça. Il allait dire quelque chose, puis se ravisa.
- Qu'y a-t-il ?
- Et bien… En fait, c'était juste une suggestion hein… Je comprendrais que tu n'apprécies pas, mais néanmoins je pense que ça pourrait t'aider dans ta démarche de te faire accepter de lui.
- Mais enfin veux-tu aller droit au but ?
- Ce qui serait bien, c'est que demain ce soit toi qui le prépares avant de monter.
Oscar avait une journée pour se faire à cette étrange idée.

Ils s'étaient rendus ensemble aux écuries le lendemain matin. André avait attrapé Pylade dans son box et avait ensuite tendu la longe à Oscar pour qu'elle s'occupe de lui, sous le regard médusé de Paul, le palefrenier du domaine. André prit ensuite la fourche pour faire la litière de l'animal. Il espérait ainsi que, se sentant complètement seule face au cheval, la jeune femme ravale un peu sa fierté pour se laisser s'exprimer. Il savait bien que les barrières qu'elle avait dressées entre elle et les gens pour se conformer à l'image que son père avait voulue d'elle étaient ce qui l'empêchait de se mettre à l'aise. Si elle se sentait observée, elle allait se sentir ridicule et devenir encore plus guindée. Occupé à faire le box, il pourrait l'observer sans la gêner.
Inconsciente de la prévenance de son ami à son égard, Oscar appréciait comme prévu de ne pas se sentir observée. Elle essayait de faire ami ami avec son cheval, le brossant, le caressant et lui parlant.
- Bon, je te parle. Mais je n'ai malheureusement pas grand-chose à te dire. Je ne sais pas comment fait André pour toujours se retrouver à déblatérer des heures à vos oreilles à vous chevaux. Il faut reconnaître que ça fait un peu jaser, il passe parfois pour un farfelu à Versailles. Cependant je reconnais qu'avec toi, sa méthode a fait des merveilles. En fait il a certainement raison vu son talent avec tes semblables. Mais bon, je me sens bête. Je peux bien te le dire à toi, puisque tu t'en fiches et que tu ne comprends même pas ce que je te raconte.
Ses gestes étaient un peu maladroits et à n'en pas douter, Pyrrhus aurait préféré se trouver entre les mains d'André. Néanmoins, il se laissa faire, à peu près conciliant. Il avait un peu la bougeotte, le feu qui voulait dans ses veines lui agitant les jambes. Mais Oscar n'avait pas peur des chevaux et elle se contentait de suivre le mouvement en continuant de le brosser. Cette indifférence était le meilleur remède, et bientôt, Pyrrhus se calma.
- Je vais te le seller.
André était arrivé avec le harnachement. Il sella l'étalon, puis lui passa le mors et ajusta le bridon. Oscar fronça les sourcils.
- Tu persistes avec cette embouchure ?
- Oui, vois ces cicatrices à la commissure des lèvres… Il a certainement été malmené en bride. Laissons-lui un peu de temps. Et puis, tu as vu toi-même ce que l'on peut obtenir avec ce petit mors. Tu es assez bonne cavalière pour en faire autant.
Il détacha l'animal et le conduisit au manège. Oscar se demanda un instant pourquoi il ne la laissait pas le faire, mais en voyant Pyrrhus se mettre à danser dès que le vent frais de l'hiver lui chatouilla les naseaux, elle comprit. Il valait mieux que ce soit lui qui le calme. Elle, elle ne saurait que le tenir serré, et les rapports de force auraient repris. Au manège, André hésita un moment. Oscar comprit et le devança.
- Je pense aussi qu'il vaut mieux que tu le détendes toi-même. Je le monterais ensuite.
André hocha tête et sourit. Il ressangla l'étalon et se mit en selle, non sans lui avoir murmuré quelques mots apaisants et prodigué force de caresses. Le genêt dansait toujours un peu, mais bien vite il fut canalisé par son cavalier. Il se donnait entièrement, avançant avec une énergie bouillonnante maîtrisée à la perfection par le doigté du jeune homme. Oscar se permit encore quelques remarques. André se redressa, affina la position de ses aides, et le cheval gagna encore en brio. Qu'ils étaient beaux tous les deux !
Puis André s'arrêta et descendit, tendant les rênes à son amie. La jeune femme s'avança près du cheval et, ayant retenu la leçon, entreprit de le caresser et de lui parler.
- Fais quelques cercles en main avec lui avant de monter dessus, conseilla André.
Après cette série de préliminaires, Oscar revint au centre de manège pour mettre le pied à l'étrier. Pyrrhus était plus tendu qu'avec André, mais n'était plus paniqué par la jeune femme. Le valet vint lui tenir la bride, lui parlant pendant que sa cavalière l'enfourchait. Alors qu'elle s'apprêtait à prendre les rênes, il lui demanda d'attendre.
- Il est tendu, parle-lui, caresse-le, attends qu'il soit complètement en confiance pour faire quoi que ce soit.
Toutes ces simagrées contrariaient le tempérament bouillonnant d'Oscar. Mais pour séduire le bel étalon, elle devrait apprendre la patience d'André. Elle lui obéit donc, et, bientôt, elle put mettre le cheval au pas. Les rênes étaient toujours longues et le jeune homme marchait près de la tête du cheval, mais au moins, tout se passait dans le calme. Peu à peu, André s'éloigna, et Oscar sollicita l'attention pleine et entière de sa monture.
- Aujourd'hui je crois qu'il vaut mieux se contenter de le mener rênes longues. Ne cherche pas le contact il va se sentir acculé. Marche et trotte gentiment, qu'il sache que tu n'es pas là pour le bousculer.
Il était étrange pour Oscar de se montrer aussi soumise aux consignes d'André. Le jeune homme ne se faisait pas d'illusions, elle le lui ferait payer pendant le reste de la journée. Mais auprès de Pyrrhus, elle se laissait guider par lui. Cette inversion des rôles était une expérience déroutante pour tout le monde. La jeune femme pensa à nouveau que si cela avait été qui que ce soit d'autre qu'André, elle ne l'aurait pas supporté. Elle connaissait suffisamment son ami pour savoir qu'il ne la jugeait pas et qu'il ne profiterait pas de la situation. Par ailleurs, elle culpabilisait un peu de voir à quel point elle avait du mal à faire fi de leur différence sociale et à le traiter réellement en égal, contrairement à ce qu'elle clamait. Pour le traiter en égal, il fallait se mettre à sa place. Et ça, elle découvrait qu'elle avait beaucoup de mal à s'y résoudre.
Au fond, c'était aussi ce que lui demandait Pyrrhus. Les grands écuyers ne cessaient de répéter que le cheval était une constante leçon d'humilité et une remise en question permanente de soi. Elle le comprenait enfin, contrairement, là encore, à ce qu'elle avait cru. Par là même elle découvrait l'étendue de son ignorance en la matière, elle qui s'était toujours crue une cavalière émérite. Quel étrange cadeau son père lui avait fait là à son insu!
Ce jour-là, Oscar se contenta de marcher et trotter rênes longues avec son cheval, ainsi que le lui avait conseillé André. Elle put même se permettre un gentil galop sur la fin. Elle apprécia en connaisseuse les qualités de confort et la souplesse des allures de sa monture. Elle n'avait encore entrevu qu'une infime portion du potentiel de l'animal, mais elle brûlait d'en savoir plus.
À partir du lendemain, elle monta directement Pyrrhus. Elle commençait à comprendre comment il fonctionnait et, sous les conseils d'André elle parvint au fil des jours à le mener comme il fallait. Il y eut bien quelques montées en pression, mais le jeune homme l'aida à les désamorcer. Elle n'était pas parvenue à la quintessence de légèreté qu'André avait pu obtenir de lui, mais déjà, au bout d'une semaine, les sensations que lui procurait l'étalon la grisaient totalement. Pyrrhus était un seigneur. Le plus noble des chevaux avait dit André. Dieu qu'il avait eu raison !
Ils étaient arrivés au terme de l'échéance fixée par le Général. Ce matin-là, André s'était contenté de faire marcher l'étalon dans la cour. Le comte de Girodelle viendrait dans l'après-midi assister à la démonstration. Il arriva vers deux heures, tenant en longe un magnifique cheval à la robe d'écume, très semblable à sa propre monture.
- Oscar, mon amie, voilà le cheval dont j'ai parlé à votre père. C'est le propre frère de mon fidèle compagnon. Si vous en voulez, il est à vous.
- Merci mon ami, j'apprécie là votre attention. Ce n'est pas n'importe quelle bête que vous m'amenez là.
- Il est issu de l'élevage familial, comme tous les autres. Mais le Général m'a assuré que celui qu'il vous a offert était de toute beauté. J'ai hâte de le voir. Je gage que vous avez su le dompter, les chevaux n'ont pas de secrets pour vous.
Oscar se contenta de sourire, n'ayant aucune envie de se lancer dans les explications qui démontreraient à son lieutenant qu'il se fourvoyait sur toute la ligne. On ne dompte pas un cheval comme Pyrrhus, on s'en fait accepter. Quand au refrain sur ses connaissances équestres, elle ne pensait pas que Girodelle comprenne qu'en la matière elle avait préféré s'adresser à son valet.
Le général convia son hôte à boire un thé pour échanger quelques civilités pendant qu'André prenait soin des chevaux. Oscar confirma au jeune homme l'heure à laquelle ils se retrouveraient tous au manège avec Pyrrhus avant de retourner dans la maison. Sa mère se trouvait, elle aussi, au salon, expliquant avec sa réserve habituelle qu'elle n'y entendait pas grand-chose dans toutes ces histoires de chevaux. Le général rit à cette remarque.
- Les femmes !
Bientôt, Oscar, son père et Girodelle prirent le chemin du manège. André s'y trouvait déjà. Il faisait marcher Pyrrhus. Il avait soigneusement nettoyé et graissé la selle et la bride du cheval. Il était resplendissant, sa robe luisante éclatante de vigueur, sa longue crinière d'ébène lui donnant un petit air sauvage qui n'enlevait rien à son charisme. Girodelle en resta muet.
- Magnifique… murmura-t-il.
- Et vous n'avez pas vu ses allures ! Lança Oscar, ravie.
- Je me répète, dit le Général, mais André a vraiment l'œil. C'est lui qui l'a déniché. Nous étions venus pour un autre cheval.
Girodelle approuva, toujours admiratif. Pendant ce temps, Oscar était entrée dans le manège et avait rejoint son ami.
- Tu lui as mis une bride complète à ce que je vois.
- Oui, j'ai supposé que ton père préférerait. Et puis maintenant qu'il est habitué à toi, ça devrait aller, surtout si tu n'agis pas sur les rênes de bride.
- Entendu.
Elle mit le pied à l'étrier et le rêve commença. Monter Pyrrhus était toujours une expérience transcendante. À mesure qu'elle le découvrait, il se donnait un peu plus à elle. Elle était encore loin de goûter à l'osmose à laquelle elle avait assisté entre lui et André, mais déjà le cheval se faisait ballerine.
Pas de côtés, voltes… Le cheval évoluait dans un équilibre dansant, basculé sur l'arrière-main, développant largement ses gestes vers l'avant en un pas conquérant et impétueux. Il se rassembla et l'expérience se poursuivit. Oscar osa les changements de pieds, une pirouette, un bel allongement puis une remise sur les hanches qui esquissait les prémices d'un futur piaffer. Puis la réalité à nouveau, et, alors qu'elle avait arrêté l'étalon au centre du manège, les applaudissements enthousiastes de ses spectateurs lui parvinrent. Comblée, elle sourit largement alors qu'elle mettait pied à terre.
- Alors Messieurs, la démonstration vous convient-elle ?
- C'est une merveille mon fils, cela n'a plus rien à voir à ce que vous en avez déjà tiré il y a une semaine. Je suis épaté par le travail que vous avez accompli en si peu de temps. Le grand écuyer de Versailles ne vous renierait pas mon enfant.
- Sublime, ce cheval est sublime. Et vous savez le monter dans toute la grandeur de l'art équestre avec un grand A ! Ajouta Girodelle.
Derrière eux, André aussi souriait, ravi. Oscar lui adressa un regard rapide. « C'est toi le véritable auteur de cette prouesse mon ami. » Il avait compris le message, ses yeux brillaient.
- Me ferez-vous l'honneur de me laisser le monter mon fils ?
À ces mots du général, le sourire d'André se figea. Mal à l'aise, Oscar ne pouvait refuser. Tous deux échangèrent un regard, inquiets, mais la jeune femme tacha de n'en rien montrer.
- Rien ne me ferait plus plaisir. Sachez juste qu'il est assez sensible de la bouche, ajouta-t-elle alors que son père se mettait en selle. Je n'utilise pas vraiment le mors de bride. Il est assez fin pour s'en passer.
Elle espérait juste qu'il comprenne et admette la consigne cachée. Elle croisa le regard anxieux d'André pendant que le général ajustait ses étriers.
- Voilà qui est parfait, allons-y ! Fit le général, ravi.
Il déchanta bien vite. Pyrrhus s'était crispé dès que le Général l'avait approché. Le sentir sur son dos l'avait franchement inquiété, et maintenant que ce dernier l'empoignait dans les rênes et les jambes, il paniquait, comme la première fois où Oscar l'avait monté. Il partit en désordre. Son cavalier le reprit vivement et le coinça. L'étalon se braqua, l'encolure à la verticale et le nez en l'air, et il traversa tout le manège en crabe.
- Peste ! Cracha le Général de Jarjaye en tentant de le remettre aux ordres. Il mit des jambes, l'encadrant serré pour le remettre en avant et le garder en ligne droite. L'étalon progressait en lignes brisées, de plus en plus hystérique.
- Oscar, lâcha André, affolé.
La jeune femme lui jeta un regard, contenant elle aussi son angoisse. Elle fut frappée de la souffrance qui transparaissait dans les yeux verts du jeune homme. Sa compassion pour la détresse du cheval lui saignait le cœur.
Pyrrhus s'était mis à faire des bonds désordonnés en travers du manège. Il n'avait pourtant pas essayé de ruer ou de jeter son cavalier. Il n'était pas vicieux pour deux sous, mais un cheval malmené par la vie peut devenir incontrôlable. Alors que le genêt tentait d'échapper à ses jambes, le général commit la pire erreur qu'il pouvait faire.
- Père non !
Trop tard. Tirant violemment sur les rênes pour châtier le cheval rebelle, il avait provoqué sa défense. Acculé, l'étalon se dressa tout droit sur les postérieurs. Ses jarrets vacillèrent. Il retomba au sol pour remonter une seconde fois, encore plus haut.
- Sautez ! Hurla Oscar.
Mais le général avait compris de lui-même dès la première levade. Il avait ôté ses étriers et s'était éjecté à temps. Fou de terreur, Pyrrhus s'était cabré tellement haut que, déséquilibré, il se renversa en arrière.
- Non ! Hurla André.
Le cri du jeune homme fit écho à un craquement sinistre. Alors qu'Oscar se précipitait vers son père, lui courut vers l'animal qui restait au sol. La bête tremblait, les yeux fous de peur et de douleur, l'écume aux lèvres et le souffle haletant. Il râlait horriblement.
- Non… gémit le jeune homme en tombant à genoux près de Pyrrhus. Il enserra la tête de l'animal et la ramena sur ses cuisses, se penchant vers lui, les larmes coulant sur son visage alors qu'il contenait ses sanglots à grand-peine. Il se mordait les lèvres, il n'avait pas le droit de montrer de tels sentiments, lui, le valet, pour le cheval de son maître. Il tremblait, fou de douleur, tandis que son regard plongeait dans celui de la bête.
- Je suis là Pyrrhus, bredouilla-t-il d'une voix chevrotante en caressant l'animal.
La terreur dans les yeux du cheval s'estompa. Il reconnaissait son ami, son protecteur. Demeurait la souffrance. Il se laissait aller dans les bras d'André. Derrière eux, Le général s'était relevé. Oscar, pâle comme un linge, le retint, lui faisant signe de laisser André seul. Girodelle aussi s'était approché.
- Que…
- Il s'est brisé la colonne vertébrale, dit doucement Oscar, les larmes aux yeux.
André ne les entendait pas, chuchotant des mots apaisants à l'oreille de l'étalon pour l'accompagner de son mieux dans l'agonie. L'animal était en sueur, son souffle se faisait plus rauque alors qu'il râlait à s'en fendre l'âme. Et puis ses yeux se fermèrent, ses tremblements s'estompèrent. Bientôt, ce fut fini. Ancré laissa retomber sa poitrine sur la tête sans vie qu'il étreignait toujours dans son désespoir.
Le jeune homme respirait avec difficulté, tentant toujours de contenir les sanglots qui remontaient dans sa poitrine. Quand Oscar s'agenouilla près de lui et posa la main sur son épaule, elle sentit le tourment qui déchirait son ami. Sous son bras, le dos d'André tremblait avec violence. Elle ne savait pas quoi dire, choquée par la mort brutale du magnifique genêt d'Espagne, et bouleversée par la détresse de son compagnon de toujours. Son cœur se serra. Elle se sentait complètement inutile, incapable d'alléger la peine d'André.

Il avait fallu sortir le corps du manège. Oscar était parvenue à arracher André au cadavre de Pyrrhus et à le confier aux bons soins de Grand-mère pendant que son père et Girodelle étaient allés trouver Paul. Ils avaient attelé deux grands percherons pour traîner l'étalon. Prise de nausée, Oscar refusa d'assister à ce funèbre spectacle qui en temps normal l'émouvait à peine.
Elle avait donc gardé le cheval de Girodelle, mais lui avait attribué un autre box que celui de Pyrrhus. Ce dernier demeura vide. André avait toujours le cœur serré quand il passait devant, même des semaines après le drame. Sa mélancolie était passée, mais il suffisait parfois de l'éclat d'une robe baie et une lueur de tristesse brillait à nouveau dans ses yeux. Il détournait son regard, soudain muet.
Et un matin, alors qu'il prenait son service aux écuries, une forme attira son attention dans le box de Pyrrhus. Il s'arrêta le cœur serré. « Que croyais-tu mon pauvre André… tu es le seul à porter ce deuil que personne ne comprend. Ce n'est pas toi le maître, c'est normal qu'un nouveau cheval prenne sa place. » Il se décida à approcher le nouveau venu. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il découvrit par-dessus la porte du box une pouliche d'à peine un an à la robe sombre.
- Elle est belle, non ?
André se retourna vers oscar. Remis de sa surprise, il observa l'animal en face de lui, le détaillant rapidement.
- Magnifique… ce sera une superbe jument.
- C'est la seule fille du Pyrrhus, je suis allée la chercher hier, expliqua Oscar en s'appuyant à la porte du box, aux côtés d'André.
Le jeune homme s'était figé. Il contemplait le profil de son amie, interloqué. La jeune femme se tourna vers lui, une lueur malicieuse dans le regard.
- Tu m'as bien entendue. Je suis retournée là où père et toi l'aviez trouvé et j'ai demandé à voir sa descendance. Il n'avait sailli qu'une jument et tu as le résultat sous les yeux. Rose des vents, pure et digne représentante des genêts d'Espagne, comme son père.
- Elle est aussi belle que lui… murmura André d'une voix étranglée.
- Elle est à toi, murmura Oscar à son oreille avant de lui donner une grande bourrade dans les épaules.
Le jeune homme n'en croyait pas ses oreilles. Il lui semblait avoir rêvé. Il dévisagea Oscar, muet de stupeur. Elle éclata de rire à sa réaction.
- Je te l'offre. Mais à une condition. Nous la dresserons ensemble et tu me montreras comment tu t'y prends.
André ne trouvait toujours pas ses mots. Mais le regard vibrant d'émotion qu'il plongea dans les yeux de son amie valait tous les mercis du monde.


FIN
Review Le genêt d'Espagne


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