Auteur : hermes Hits : 3325
Lady Oscar > Les Quartiers de Girodel > L'églantine de Javarzay >
Elle était partie. Définitivement partie. La rumeur qui avait envahi Versailles depuis plus d'un mois s'était confirmée. Le colonel de Jarjayes attendait un heureux évènement!
Les courtisans en avaient fait les gorges chaudes...

Après avoir épousé ce gueux, ce palefrenier qui, durant toutes ces années, s'était accroché à ses basques, elle avait osé se faire engrosser de ses oeuvres.
Quel scandale!!! Quelle humiliation!!!

"Aurait-elle fait au moins une action convenable dans sa vie?" fiellaient certains nobles. "Mon Dieu, certes! avaient répondu d'autres langues de vipère. Au moins a-t-elle attendu la nuit de noces pour... Vous voyez ce que je veux dire, n'est-ce pas? Enfin, c'est ce qu'on raconte. Cela ne m'étonnerait pas que l'enfant voie le jour bientôt..."

Il avait préféré s'éloigner de la cour quelques jours. Tous ces cancans écoeurants... Il y avait comme un goût bizarre dans sa bouche.

Oscar n'avait jamais fait les choses comme le commun des mortels, c'était vrai. Mais cette femme formidable s'élevait bien au-dessus des hommes.
Sa beauté, sa fierté, sa moralité de vierge pure l'avaient ébloui. Jamais il ne rencontrerait une âme telle que la sienne. Oscar était unique.
Et ce n'était pas lui que cette blanche déesse avait choisi. Oh non, il était par trop ordinaire...
Oui, peut-être. Mais ce roturier... Qu'avait-il donc de plus?
Non... Il était inutile de se poser cette question. Il connaissait trop bien la réponse.

A cheval sur son destrier, il parcourait d'un regard las son immense domaine. Des prairies et des champs à perte de vue, un château magnifique -chef d'oeuvre d'architecture classique construit par l'un de ses ancêtres, de splendides écuries, deux vignobles de renom.

Et puis, il y avait ses appartements attitrés à Versailles, ses deux hôtels particuliers à Paris, son haut poste de commandement dans la Garde Royale.

Vicomte Victor-Clément de Girodelle...

Il eut un sourire amer. Toutes ces richesses... A quoi pourraient-elles bien lui servir, puisqu'elle lui avait préféré un simple palefrenier?

Avec un claquement de langue, il lança sa monture au galop.
Son coeur, bien plus que son orgueil, avait été brisé en un instant et pourtant... Il savait qu'il continuerait à l'aimer jusqu'à sa mort.


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Assise sur la plus basse branche d'un tilleul, confortablement adossée contre le tronc, Eléonore lisait distraitement l'ouvrage qu'elle tenait entre ses mains. Au bout d'un moment, agacée par ces pages qui se succédaient sous ses doigts sans parvenir à susciter son intérêt, elle ferma le livre d'un coup sec, le lâcha. Ce dernier, dans un bruit mat, alla s'échouer dans l'herbe verte, juste à côté de celui qu'elle avait terminé une demi-heure plus tôt.
Le regard perdu dans les feuillages exhalant leur parfum apaisant, elle ramena ses genoux sous son menton, les entoura de ses bras.

Son père allait bientôt terminer ses essais. Elle l'avait bien secondé dans son travail, mais maintenant, il tenait à rester seul pour la finition des derniers détails. Ensuite, ils devraient retourner à Versailles, afin d'amener son invention au roi.

Versailles... Ce nom la faisait revenir un peu plus d'un an en arrière. Pour la première fois, elle avait découvert la cour et ses langues acérées, et ce qu'elle y avait vu ne lui avait point plu. Oh non! Elle avait toujours préféré la campagne et ses goûts simples.

Une seule personne revenait à sa mémoire. Un officier à la triste figure et aux manières hautaines. Elle avait bien tenté de lier connaissance avec lui, mais ce dernier lui avait fait comprendre, de par son attitude et son mutisme peu amènes, qu'il ne désirait point sa compagnie.
Elle n'avait pas perdu davantage de temps avec ce "gentilhomme" aux yeux gris mélancoliques et avait repris ses promenades solitaires...

Un mouvement inhabituel attira imperceptiblement le coin de sa pupille, la sortant brutalement de ses rêveries. C'était Marthe qui, jupons volant à tous les vents, accourait vers elle, l'air passablement agitée. Il fallait que l'affaire soit grave pour que la tranquille et gironde bretonne se mette à courir comme si le Diable était à ses trousses!

"Mademoiselle! haleta-t-elle lorsqu'enfin elle arriva à sa hauteur. Votre père!...
- Qu'y a-t-il? la pressa Eléonore en dégringolant prestement de son perchoir, les sens en alerte.
- Venez!"

Rassemblant ses jupes pour se précipiter à la suite de sa femme de charge, elle parcourut à une vitesse prodigieuse la demi-douzaine d'arpents qui la séparaient du manoir.
Qu'avait-il bien pu se passer?


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"Me voici, Votre Majesté."

Girodelle s'inclina gravement devant le souverain, qui, malgré son air préoccupé, lui renvoya un bon sourire.

"Je vous remercie de cette promptitude, Commandant de Girodelle."

Depuis qu'Elle était partie, en effet, il était monté en grade. Mais il savait que si Elle revenait un jour, il s'effacerait devant elle.

"Si je vous ai fait appeler, Commandant, c'est parce que j'ai une mission à vous confier."

Attentif, le jeune officier tendit l'oreille afin de n'oublier aucun détail. Cependant, la tâche qu'on lui attribuait était fort simple: le baron de Coucy, habile ingénieur mécanique, avait présenté un an auparavant les premiers plans d'une machine prodigieuse. Enthousiasmé par cette invention qui pourrait lui être utile dans la guerre qu'il menait aux Amériques contre les troupes anglaises, le roi avait donné son aval pour l'élaboration complète de l'engin.
A présent, le projet touchait à sa fin., mais des yeux ennemis avaient repéré les travaux du baron et avaient cherché à s'en emparer. L'intervention providentielle de domestiques et de paysans avaient chassés les malandrins, mais il ne faisait nul doute qu'une autre attaque était à craindre.
Girodelle devrait donc se rendre au château de Javarzay, afin d'escorter le baron de Coucy et sa fille jusqu'à Versailles, où de meilleures conditions de sécurité pourraient être appliquées.

"Fort bien, Votre Majesté. Quand devrai-je me mettre en route?
- Dès demain. Le maréchal De Broglie s'est chargé d'envoyer un courrier ainsi que quelques soldats au Lieutenant de Mirambault, qui se trouve justement sur ses terres, non loin de Javarzay, afin que ce dernier se charge des premiers préparatifs de départ.
- Certes, Votre Majesté. Mais si vous avez déjà nommé le Lieutenant, quelle sera la raison de ma présence là-bas?
- Mirambault manque encore d'expérience en ce domaine. Vous quitterez Versailles demain matin, avec vos meilleurs hommes."

Girodelle s'inclina avec raideur. Coucy... Ce nom lui évoquait de vagues souvenirs... Il l'avait déjà entendu auparavant, il en était certain.
Ce fut une heure plus tard, confortablement installé dans un fauteuil de son petit salon, que l'étincelle se produisit. Oui, il se rappelait à présent! C'était cette jeune provinciale dépourvue de manières... Eléonore de Coucy!
De grosses boucles brunes et un sourire frais s'esquissèrent dans son esprit. Elle avait levé sur lui de grands yeux sombres plein de pitié...

Il se leva, se servit une autre tasse de café, qu'il but d'un air pensif. Au moins cette mission lui permettrait-elle peut-être de l'oublier, Elle.


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Eléonore introduisit la clé dans la serrure, en fit jouer le mécanisme et bascula la double-porte de l'atelier qui s'ouvrit sans un bruit. La lumière du jour innonda alors pièce barricadée aux fenêtres par de lourdes planches de bois.
A première vue, tout était en place.

Pénétrant dans le sanctuaire, elle alluma une chandelle afin d'en examiner les moindres détails. Là, dans l'ombre, le large rouleau qu'elle avait à moitié dissimulé derrière deux ou trois trétaux n'avait pas bougé. Pourtant... Lorsqu'elle examina de plus près la ficelle qui scellait le document, elle constata que le cheveu qu'elle y avait placé avait disparu...

Elle esquissa un étrange sourire. Ainsi, la surveillance accrue que ce charmant lieutenant de Mirambault exerçait avec ses hommes depuis la veille n'avait point montré d'efficacité...
Quelqu'un avait réussi à s'introduire dans l'atelier afin de trouver les plans. Soit.
Remettant le croquis à l'endroit où elle l'avait trouvé, elle jeta encore un oeil aux alentours. un crissement de pas sur le gravier attira son attention. Opérant un demi-tour, elle souffla la bougie, s'apprêta à sortir, s'arrêta.
Une haute silhouette s'encadrait à dans l'embrasure de la porte, lui cachant à demi la lumière.

Saisissant discrètement une arme derrière son dos tout en plissant les paupières, elle tenta de percevoir les traits de l'homme qui lui apparaissait en contre-jour.
Une chevelure longue et bouclée surmontée d'un bicorne bordé d'hermine, un uniforme militaire...
Elle reposa le petit pistolet à plomb amélioré sur l'établi. Il devait s'agir du commandant dont le lieutenant attendait l'arrivée avec impatience.

D'ailleurs, elle reconnaissait la bonne figure aux cheveux châtains et aux yeux bleu clair qui venait de rejoindre le nouvel arrivant.

"Mademoiselle de Coucy, je vous présente le Commandant de Girodelle, qui va à présent prendre le commandement de votre protection."

Girodelle? N'était-ce pas justement le nom de ce bel officier qui l'avait dévisagée avec tant de hauteur?
Elle s'approcha. C'étaient bien ces mêmes yeux gris mélancoliques, cette figure à la bouche sévère...

Elle se contenta de lui tendre une main indifférente, sur laquelle il s'inclina pour la saluer. Il lui avait laissé une fort mauvaise impression, certes. Mais ils allaient devoir se côtoyer durant quelques semaines, et elle devrait faire un effort pour être aimable avec lui...


A SUIVRE...
Review L'églantine de Javarzay


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