Auteur : Iria Hits : 2569
Lady Oscar > Alternate Universe > Aimer : Corps ou Ame >
Allongé dans l’obscurité, Girodelle entendait sonner les heures aux clochers de Versailles. Il n’arrivait pas à trouver le sommeil, et, les mains croisées derrière sa tête, contemplait fixement le plafond de sa chambre. Il ressemblait à un archange ainsi, avec ses vêtements de soie blanche et ses boucles de cendre éparpillées sur l’oreiller de neige.
Voilà trois heures que Victor Clément était rentré du bal à la cours. Mais, alors que sa sœur Ninon et son frère Armand s’étaient dirigés vers leurs appartements respectifs en cherchant à mettre un nom sur le visage de celles qu’ils nommaient ‘la princesse inconnue’, Victor était resté silencieux. C’était d’un pas lourd qu’il était entré dans sa chambre. Un fois la porte refermée, le noble Français s’était laissé tomber sur son lit sans même se dévêtir. Depuis, plongé dans le noir, il réfléchissait.

« Pourquoi Oscar ? »

Demanda-t-il à l’absente avant de fermer les yeux d’un air abattu.
Oui, pourquoi Oscar ? Pourquoi s’était elle prêté à cette farce sinistre, se grimant pour monter sur la scène du théâtre de Versailles et y illuminer la pièce dans le rôle de la princesse tragique ? Elle l’avait joué magistralement, avec tant de justesse que l’on ne pouvait que frémir quand à la suite des évènements. Se sentait elle déjà perdue, avant que tout le monde ne le pressente, pour que son regard soit si triste ? Et ce benêt de Fersen qui n’avait rien comprit. Devant les voitures de convives, il avait demandé à lui, Girodelle, s’il avait une idée sur l’identité de l’inconnue.

Comprenant qu’il ne pourrait trouver le sommeil le comte de Girodelle s’assit sur son lit. Il posa ensuite un pied revêtu d’un bas de soie par terre, puis l’autre, avant de se lever et de se diriger vers la fenêtre. Comme un écho lui revenaient les paroles de son frère.

« De grâce Victor oubliez cette Oscar de Jarjayes ! Elle n’est pas pour vous et ne vous portera que des malheurs. Regardez plutôt Mlle de Beauvallon elle… »

Girodelle n’avait pas vraiment écouté le reste de la conversation, se perdant dans une de ces rêveries qui devenaient de plus en plus fréquentes depuis quelques mois. Et là encore, accoudé à sa fenêtre par cette nuit de pleine lune, il rêvait… A un ange.

Certes, Mlle de Beauvallon était parée de mille grâces. Parmis les courtisans, pourtant si avares en compliments sincères, on louait sa fraîcheur, l’éclat cristallin de son rire, la clarté de ses grands yeux verts, la beauté de sa chevelure d’or blanc.. On enviait aussi sa dot, mais pour cette dernière information il suffisait de se fier aux regards qui se posaient sur ses bijoux quand elle apparaissait dans un salon.
Mais les pensées de Girodelle n’allaient pas vers cette douce créature qui semblait pourtant être un tendre paradis où soigner les âmes meurtries par le feu. A cette fraîcheur le jeune noble préférait s’aveugler encore et encore aux souvenirs de celle qu’il aimait. Quelle ironie d’ailleurs ! C’était Armand qui, par ses paroles destinées à le pousser vers Mlle de Beauvallon, lui avait fait découvrir son amour.

Déjà avant ce soir, ses sentiments pour le trop beau colonel de la Garde Royale l’obsédaient. Toutes les nuits il rêvait de cette chevelure libérée dans laquelle il enfouissait ses doigts, de ces lèvres nacrées qu’il embrassait, de ce regard bleu incendie qui pour une fois s’adoucissait pour devenir un volcan en fusion… Un volcan d’amour pour lui. Il n’était qu’un homme, rêvait aussi de ses jambes si longues, si fines, au galbe irréprochable : Cette partie des femmes qu’elle cachaient soigneusement sous jupes et jupons, mais qu’Oscar leu dévoilait chaque jour de la plus belle façon qu’il soit… Gainée dans un pantalon blanc. Ces songes là étaient déjà difficiles à supporter, mais que pourrait il faire à présent ? Dans sa robe d’odalisque Oscar était apparu comme une déesse antique disaient certains. Mais Girodelle avait bien vu une femme, trop belle pour ne pas le troubler. Sa gorge était offerte, ses bras dénudés… Tout ce qu’Oscar cachait soigneusement et que Victor s’obligeait à oublier, lui avait été dévoilé ce soir là.

A l’évocation de ces souvenirs, Girodelle senti le rouge lui monter aux joues alors que le tissu de son pantalon immaculé se tendait un niveau de l’entrejambe. L’exquise torture devenait intolérable… Comment réussirait il à résister à toutes ces nuits de solitude ?
Les mains de l’homme d’arme commencèrent à déboutonner le pantalon d’apparat, dans le but d’apaiser le feu de son corps, de lui donner un plaisir bien amer, solitaire, mais Girodelle s’arrêta brusquement. Ses poings se serrèrent avant que ses doigts n’agrippent brusquement les montants de bois de sa fenêtre. Il ne pouvait pas faire ça, pas en pensant à elle… Ce serait souiller l’amour si pur qu’il lui portait, lui faire perdre à ses yeux l’appellation de Gentilhomme qui était sa seule gloire.

Au bout de quelques minutes la pression diminua et le sang revint irriguer tout le corps, soulageant Girodelle. Tremblant, il appuya son front contre la vitre et la fraîcheur des carreaux fut d’un bref apaisement pour sa peau brûlante. Les mêmes images se rejouaient encore, mais elles touchaient à présente le cœur de Victor Clément sans passer par son corps. Il l’aimait comme un damné. Eut elle été laide qu’il l’aurait aimée avec autant de passion car son âme indomptable, farouche, entière, lui plaisait encore d’avantage que son corps adorable. Que faisait elle à cette heure ? Rêvait elle du visage d’ange de Fersen ? Ecoutait elle dans ses songes la voix au léger accent étranger lui murmurer qu’il l’aimait ?

Cela avait prit des années, mais Girodelle acceptait à présent de ne plus jouer que les seconds rôles, être un de ces hommes que l’on ne voit que pour mieux l’oublier. Enfant, tout lui souriait : Sa beauté, son adresse, son esprit le promettaient aux plus fameuses carrières mais un être s’était dressé entre lui et ses rêves de grandeur. Un être encore plus beau, plus brillant que lui. Il s’était effacé sans regret sur son passage. Puis il avait suivi son sillage, malgré les remontrance de son père qui l’incitait à avoir d’avantage d’ambition. A vrai dire Girodelle n’était pas fait des mêmes matériaux que son géniteur. Il avait emboîté le pas d’Oscar d’abord par curiosité, puis par admiration et enfin par amour.

Son silence, ses secrets, sa vie mystérieuse faisaient jaser les courtisans. Ils lui prêtaient une vie de débouche, où des plaisirs pervers qui n’étaient pas les siens. ‘Le chevalier mystère’, comme on l’appelait, avait dans sa jeunesse tellement attiré les regards… Mais les femmes, dépitées de voir qu’il ne posait les yeux sur aucune d’entre elles s’étaient retournées contre lui. Les hommes, envieux, avaient fait de même, ce qui avait encore conforté Girodelle dans sa solitude. Ombre sans soleil, ses yeux gris ne reprenaient vie que lorsque son colonel lui faisait face.

Plus tard il s’était aussi effacé devant le brillant Fersen, sachant peut être même avant Oscar qu’elle était amoureuse de lui. Le comte Français ne s’était pas senti de force et avait préféré céder la place.
Il n’était même pas son meilleur ami car un roturier, André Grandier, occupait cette place depuis des années.

Girodelle savait bien qu’aux yeux de l’héritier des Jarjayes il n’était pas grand chose : Un subordonné, un être de sa condition, un ami, peut être, durant de furtifs instants.
Mais lui n’avait de cesse de l’observer, d’essayer de la comprendre. En admirateur lointain, presque étranger, il n’était pas soumis à la même subjectivité qu’André. André.. Loup derrière l’agneau.. Homme au visage d’ange.

Lorsque Victor Clément de Girodelle rouvrit son regard gris sur le monde, celui ci était noyé par les larmes. Il ne distinguait plus le paysage nocturne mais peu lui importait. Sa voix brisée par l’émotion prononça une promesse ayant son cœur pour scellé et son âme comme seule dépositaire.

« Oscar.. Je ferai tout par amour de vous, sans jamais rien espérer en retour. Je serai votre second silencieux, votre ombre muette, le témoin taciturne de vos combats, un simple homme, discret, sur lequel vous pourrez toujours compter. Sans même que vous ayez à le demander, je donnerai ma vie pour vous »

Le noble jeune homme tomba alors à genoux, les épaules tremblantes. Ses sanglots raisonnèrent comme un glas dans la grande demeure silencieuse, où un rayon de lune éclairait faiblement cet home qu’un amour infini avait rendu inaccessible, solitaire.
Ailleurs, la vie continuait. Ailleurs, la folie rejoignait l’amour dans le cœur d’un homme. Ailleurs, un rire était stoppé.
Ailleurs, on brisait une femme en mille éclats de verre.
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