Auteur : Lionne Hits : 1103
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- Mme du Revard est morte…


Le général de Jarjayes était invité chez le maréchal-duc de Broglie. Les bavardages de salon l’entouraient. Mais cette information le frappa de plein fouet. Il se rapprocha subrepticement du groupe de courtisans.


- Elle a été exécutée hier matin… Vous vous rendez compte ! Assassiner son époux, quelle drôle d’idée ! disait une courtisane au visage plus fardé que celui d’une fille de joie.
- C’est d’un mauvais goût ! appuya un courtisan à l’expression outrée.
- S’il ne lui agréait pas, elle n’avait qu’à prendre un amant, ajouta une troisième vieille peau.


C’est plus que n’en pouvait supporter le général. Il sortit prendre l’air. Ses pas le menaient vers des allées ombragées sans qu’il s’en aperçoive. Il était seul. Soudain, il s’appuya contre un arbre. Exécutée ! Elle avait été exécutée…


Le vent soufflant dans les ramures semblait émettre une plainte. Le général sentait une poigne d’acier meurtrir son cœur. Le souvenir d’un rire cristallin éloigna le malaise. Dans l’écrin noir de cette nuit sans lune, des prunelles noisettes semblèrent s’illuminer. Un regard tendre, si tendre… lorsqu’elle le tournait vers lui.


Comme elle était jolie à l’aube de ses 14 ans ! Il se souvenait d’elle avec une précision qui l’étonnait, même s’il se targuait d’être observateur et d’avoir une excellente mémoire. C’est comme si la petite Marie était devant lui.


- François, que tu es élégant dans ton bel uniforme !


Il avait 17 ans, et c’était le plus beau compliment qu’elle pouvait lui faire.


- Tu me fais danser ? Comme si nous étions au bal…
- Tu n’as qu’à aller au bal ! répondit-il maladroitement.


Il détestait danser et saisissait toutes les excuses possibles pour échapper à cette corvée. Le joli visage s’assombrit.


- Tu sais bien que nous n’avons pas d’argent, murmura-t-elle.
- Mais vous êtes nobles !
- Et comment voudrais-tu que je me présente au bal ? reprit-elle doucement. En haillons ?


Ce disant, elle avait écarté les mains, pour qu’il puisse mieux admirer sa misérable robe. Non seulement le vêtement était très usé, mais la jupe était même rapiécée à un certain endroit. Et pourtant ! Pourtant… elle était si jolie ! Sa gorge naissante était une promesse de félicité. La taille fine, le teint blanc… et une douceur infinie sur ses traits ! Avec sa chevelure d’un roux sombre, elle était éclatante sous les rayons du soleil couchant.


- Entendu, je vais te faire danser…
- Oh c’est vrai ! s’écria-t-elle en lui offrant un visage rayonnant de joie.


« Qu’elle est belle ! Depuis quand est-elle si belle ? » avait-il pensé. Puis il l’avait fait danser, et son rire de cristal avait été sa plus grande récompense.


La petite Marie… Il la connaissait depuis si longtemps. C’était la benjamine de leurs voisins, un couple de nobles certes, mais désargentés. L’homme en était arrivé à donner des leçons d’équitation, et la femme des cours de broderie. Elle avait deux sœurs et un frère, avec lesquels il fallait tout partager. Ses parents favorisaient l’éducation du garçon pour qu’il ait un espoir d’avenir. Sa sœur aînée allait entrer au couvent, faute de trouver un prétendant à cause de la pauvreté et d’une disgrâce physique. Sa sœur cadette était malade d’une langueur inaltérable. Mais jamais, malgré la situation difficile, il n’avait entendu la petite Marie se plaindre.


Lorsqu’elle entendit sa mère l’appeler, elle se sauva. Elle n’avait pas le droit de venir jouer dans le domaine des Jarjayes… Cependant, avant de partir, elle déposa un baiser sur la joue du jeune homme et lui offrit un dernier sourire.
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