André avançait dans les couloirs du château de Versailles. Ce jour-là comme tous les autres ! Les courtisans ne le voyaient pas. Pour eux, il était invisible comme tous les domestiques. Mais un domestique bien séduisant ! Aussi les courtisanes glissaient-elles des regards intéressés… Ne trouvant pas Oscar, il rejoignit une personne amie.
- Ah bonjour André ! La Reine va bientôt paraître…
Le couple royal avança à ce moment précis.
- Mais ! s’exclama André.
- Eh bien, que t’arrive-t-il ?
- La Reine !
André la regardait bouche bée.
- Allons André, ferme la bouche ! Tu ressembles à un poisson hors de l’eau… Et ne parle pas si fort……. Oui je sais. La Reine est éblouissante. On peut la voir mille fois, c’est comme si on la voyait pour la première fois.
« Non ce n’est pas possible ! Je rêve !!!...... Tout le monde est fou !....... La Reine, c’est… c’est Oscar ! »
- O ma Reine, vous voir est à chaque fois un doux supplice.
André reporta son attention sur Axel de Fersen. Un voile de tristesse était tombé sur ses yeux amoureux. Aimer sans pouvoir le dire, aimer sans pouvoir étreindre de tout son être, aimer…… Il ne pouvait détacher son regard de la Reine, de cette femme pour laquelle son cœur et son âme brûlaient d’une flamme ardente et passionnée. Quel bonheur de la voir ! Quelle douleur de ne faire que la croiser !
Arrivée à son niveau, la Reine ne put s’empêcher de croiser le regard du gentilhomme suédois. Tant d’amour contenu ! Cette expression, André la connaissait. Dans les yeux d’Oscar lorsqu’elle regardait Axel de Fersen… Dans ses propres prunelles lorsqu’il regardait Oscar…
Mais que faisait Oscar avec le Roi ? Où était Marie-Antoinette ? Et surtout, pourquoi Axel de Fersen regardait-il Oscar avec ce regard réservé habituellement à la Reine ? Que de questions sans réponses ! Mais André ne pouvait parler devant le couple royal. Lorsqu’il fut passé, le domestique se risqua enfin à interroger le Suédois.
- Pourquoi Oscar est-elle avec le Roi ? demanda-t-il doucement. Est-ce une nouvelle mission ?
- Oscar ? demanda Fersen en le regardant avec étonnement.
- Oui, Oscar ! Oscar de Jarjayes, le colonel de la Garde Royale, votre ami…
- Voyons André, tu déraisonnes !... Je vois. Tu t’es cogné la tête hier, le docteur avait bien dit qu’il pouvait y avoir des séquelles…
- Je vais très bien ! protesta le jeune homme. J’aimerais juste comprendre ce qui se passe ! Pourquoi Oscar est-elle avec le Roi ? insista-t-il.
- C’est la Reine Marie-Antoinette qui était avec le Roi.
- Hein ?!!
- Un peu de tenue André. Tu as l’autorisation de m’accompagner à Versailles. Mais si tu te conduis aussi bizarrement, je ne réponds plus de rien.
- Marie-Antoinette ???
- Oui, Marie-Antoinette, Reine de France…. La femme la plus douce, la plus belle, la plus aimable qu’il m’ait été donné de rencontrer !.... Ma Reine ! Celle qui règne sans partage sur mon cœur……
- …
- D’où me sors-tu donc cette Oscar ?... Je suppose qu’il s’agit d’une femme, malgré son prénom, puisque tu prétendais que c’était la Reine.
- Oui, une femme merveilleuse.
- Je te crois. Peut-on trouver en ce monde femme plus merveilleuse que la Reine Marie-Antoinette ?
- Dîtes-moi, qui est le colonel de la Garde Royale ?
- Il s’agit du comte Victor de Girodelle.
- Girodelle !
- André, tu sais que tu m’inquiètes sérieusement ?... Rentre à la maison, Karl s’occupera de toi !
- Karl ?
- Oui, Karl ! Mon majordome… Ton oncle !
- Mon oncle ?.... Tudieu, je ne comprends plus rien !
- Je vois cela. C’est décidé : tu rentres !
- Et vous ?
- Moi ? Je vais guetter un sourire, un regard de ma rose… Un mot d’elle me comblera ! Un simple geste me ravira !.... Allez va ! Je ne tarderai pas. Je ne veux pas la mettre mal à l’aise. De plus, il faut que je me prépare pour le bal de ce soir….. Mais toi, tu rentres maintenant ! Sans plus attendre !
- Mais…
- C’est un ordre qui ne souffre aucune discussion. Le docteur avait dit que tu aurais peut-être besoin de repos, il n’avait pas tord.
- Je dois rentrer où ?
- Comment ?
- Si je rentre chez moi, je vais chez les Jarjayes… Grand-mère va s’inquiéter.
- Grand-mère ?... Mon dieu André ! Je crains de devoir rentrer avec toi. Je vais faire revenir le docteur. J’ai l’impression que ton état est pire qu’il ne l’avait imaginé…
- Non ça va, je vous assure.
- Allons André !... Après tout, c’est mieux ainsi. J’aurais tout loisir de contempler ma Reine au bal de ce soir. J’aimerais tellement…. Tellement…..
André savait ce qu’il voulait dire. Il aimerait la combler, lui offrir tout cet amour qui ravageait son cœur, qui le torturait à force de vouloir se libérer. Mais c’était impossible ! Il devait le maintenir dans la prison des sentiments interdits… Même si cela le tuait à petit feu.
- Dis-moi André…. Dis-moi, ne la trouves-tu pas belle à en couper le souffle ? demanda Axel de Fersen d’une voix où tremblait à la fois son amour et sa souffrance.
- Belle à donner sa vie pour elle ! acquiesça André.
***
Grand-mère ouvrit un œil, puis l’autre. Elle était en nage. « Etait-ce un rêve ou un cauchemar ? » se demanda-t-elle. Quoiqu’il en soit, elle prit la ferme décision de ne plus jamais boire un petit verre avant d’aller se coucher ! C’était promis ! Cela lui faisait faire des songes trop étranges.
Mais qu’elle était belle, sa petite Oscar, dans ces atours mettant en valeur sa féminité ! Grand-mère se recoucha. « Tu es bien digne d’une Reine ma petite-fille ! » se dit-elle avec le sourire. |