Auteur : Yael Hits : 2440
Autres mangas et animés > Divers : manga et animé > Première mission >
[En attendant de vous livrer les prochains chapitres de ma 3ème fic, je vous fais partager celle-là qui est déjà achevée.
L'action se déroule en 1620, un an après la mort de François, le fiancé d'Aramis, et six mois après l'arrivée de la jeune fille dans la compagnie qui y achève son apprentissage. Seul le capitaine connaît sa véritable identité.
J'ai essayé dans cette fic de faire une description plus réaliste de la France de l'époque et notamment des conflits religieux perdurant malgré l'Edit de Nantes et de la chasse aux sorcières des années 1580 à 1630. C'est plus sombre que ce que j'ai écrit auparavant mais j'espère que ça vous plaira quand même.]


Les gants de cuir n’y faisaient rien, les anses des seaux lourdement remplis creusaient de profondes rainures dans la chair de ses doigts. « On reconnaît une dame à la douceur de ses mains, » lui répétait autrefois sa mère en se désespérant à l’idée que les mains de Renée ne soient durcies par le maniement de l’arc ou de l’épée.

Malgré la douleur de ses muscles tendus, la jeune fille esquissa de sourire en imaginant l’expression épouvantée qu’aurait sa mère si elle la voyait aujourd’hui, transpirant dans ses vêtements masculins à charrier des seaux d’eau à travers les rues de Paris. Je n’ai plus rien d’une dame, pensa-t-elle en écartant une mèche dorée que la sueur avait collée à son front. Mais je ne dois pas avoir l’air d’un mousquetaire non plus, soupira-t-elle.

C’étaient les derniers seaux mais une fois chez elle, il lui resterait encore à réchauffer l’eau et à la monter à l’étage pour remplir le baquet. Après tout cela, elle pourrait enfin prendre un bain pour détendre ses membres engourdis par ces heures passées à porter depuis la Seine les lourds seaux servant à remplir ce même bain. Elle sourit à nouveau… un sourire qui disparut dès qu’elle reconnut l’homme qui attendait devant sa porte.

Elle étouffa un juron. Décidément, elle avait facilement acquis le langage peu châtié des mousquetaires. Le vernis d’éducation que ses parents avaient tenté de lui inculquer avait été bien mince car en moins de six mois, il lui était devenu naturel de jurer comme un charretier. Elle écarta vite cette pensée pour se concentrer sur son visiteur imprévu. Il allait sans aucun doute s’interroger sur son étrange comportement. Il l’avait déjà vue donc il était trop tard pour cacher les seaux et les quatre qui se trouvaient dans l’entrée ne lui échapperaient pas.

- Aramis, que faites-vous avec ces seaux ? demanda le jeune mousquetaire de vingt-quatre ans.

Deux yeux bleus la scrutaient d’un air interrogateur.

- Entrez, Athos… Je dépose tout cela et je suis à vous.

Réfléchir vite… Elle pourrait peut-être détourner la conversation en lui demandant les raisons de sa visite. Non, Athos remarquerait sa gêne, elle devait trouver une explication plausible. Une explication ou un nouveau mensonge ? Elle détestait mentir et c’était un exercice délicat avec un homme aussi perspicace qu’Athos. Souvent elle s’étonnait qu’il n’ait pas découvert la vérité à son sujet. La jeune fille tournait la situation dans tous les sens. Elle avait un esprit vif et rapide mais elle savait que l’esprit de son interlocuteur l’était tout autant si ce n’était plus.

Elle soupira. Après tout, une vérité partielle serait plus crédible qu’un mauvais mensonge.

- Voulez-vous boire quelque chose ?

Sans attendre de réponse, elle alla chercher une bouteille de vin et deux verres qu’elle posa sur la table et s’assit face à Athos.

- A quoi servent tous ces seaux ? répéta-t-il.

- Je comptais prendre un bain quand vous êtes arrivé.

- Mais enfin, pourquoi ne pas faire porter l’eau par votre cheval au lieu de jouer les garçons de ferme ?

- Il faut que je me muscle davantage, répondit-elle en fixant son verre plein.

Les yeux d’Athos s’écarquillèrent.

- Et vous faites cela souvent ?

Sa voix oscillait entre la surprise et l’amusement. La jeune fille baissait toujours la tête. Ses joues devaient probablement s’empourprer. Quelle misère cette peau de blonde ! La moindre rougeur s’y imprimait impitoyablement.

- Tous les jours, murmura-t-elle.

- Et vous n’avez rien trouvé de mieux ? Enfin, il y a de quoi s’entraîner à la compagnie !

Elle releva la tête et plongea ses yeux clairs dans les siens. Autant jouer franc-jeu jusqu’au bout !

- J’ai déjà eu assez de mal à me faire respecter avec le physique que j’ai ! répliqua-t-elle rapidement. J’ai déjà un visage de petite fille, imaginez ce que diraient nos camarades s’ils réalisaient que j’ai à peine plus de force qu’une femme !

Avait-elle vraiment osé dire ça ? Elle n’avait dit que l’exacte vérité et pourtant elle avait l’impression d’avoir sorti le plus énorme mensonge qu’elle ait jamais inventé. Elle se forçait à ne pas détourner le regard de celui du mousquetaire qui l’observait interloqué.



Décidément, ce petit ne cessait de le surprendre. En plus de ses longues journées d’entraînement, il s’astreignait en secret à cet étrange exercice. Pour être curieuse, l’idée n’était pas sotte mais il devait s’épuiser.
Athos avait dès le premier jour remarqué qu’Aramis n’était pas d’une grande force physique mais il possédait tant de souplesse et d’agilité que cette lacune passait inaperçue sauf pour un observateur aussi avisé qu’Athos. Heureusement pour lui, d’ailleurs… C’était avisé de sa part de cacher cette faiblesse même relative à leurs camarades, songea Athos en repensant aux difficultés qu’avait eues le jeune apprenti pour obtenir la considération de leurs compagnons.

Aramis était si différent des autres mousquetaires. Il était très jeune quand il était arrivé dans la compagnie. Il n’avait pas encore dix-sept ans et la finesse de ses traits lui en faisait paraître à peine quinze si on faisait abstraction de l’extrême maturité de son regard. En outre, il était plus fluet et plus petit que tous les autres mousquetaires… C’était encore un enfant et Athos se demandait quelles épreuves avaient pu amener le jeune garçon à rejoindre les mousquetaires. Malgré son jeune âge, il y avait une telle tristesse dans ses grands yeux clairs qu’Athos devinait que l’adolescent avait déjà traversé bien des souffrances dans sa courte vie et qu’il les avait surmontées.

Mais la plupart des gens ne voyaient que la surface des choses et ils n’avaient vu en Aramis qu’un gamin pâle et timide trop délicat pour devenir un soldat. Dès le premier jour, ce petit avait dû se battre âprement pour faire taire les railleries de ses nouveaux camarades. Il était très doué, plus que bien des mousquetaires aguerris… Trop peut-être, songeait Athos qui était probablement le seul avec Porthos à pouvoir le tenir en échec.
L’envie était un sentiment dont bien des mousquetaires n’étaient pas exempts. S’ils avaient très vite compris qu’il valait mieux éviter de provoquer le frêle garçon blond, beaucoup n’en avaient conçu qu’un profond dépit. L’idée qu’un adolescent au visage de fille puisse être meilleur que des hommes expérimentés leur semblait terriblement humiliante.
Il se murmurait que ce gamin était bien trop beau pour devenir mousquetaire. Comme si un physique agréable était incompatible avec le service du roi ! se dit Athos qui lui-même avait été plutôt bien pourvu par la nature. Certes la beauté androgyne du jeune éphèbe pouvait surprendre chez un soldat mais Athos savait que ce n’était pas cela qui causait la vindicte de leurs collègues.
Aramis était trop jeune, trop beau et trop doué. Il n’y avait dans ces médisances qu’une jalousie mesquine indigne des mousquetaires.

Une mesquinerie qui avait éclaté dans toute sa bassesse un beau jour de printemps. Aramis avait commencé son apprentissage depuis un peu plus d’un mois et si plus personne ne s’aventurait à se moquer ouvertement de lui, les médisances à son égard n’en étaient que plus virulentes.
Ce matin-là, le capitaine avait chargé Athos de l’entraînement des jeunes aspirants. Un soleil éclatant inondait la cour et faisait miroiter les reflets dorés des longs cheveux d’Aramis quand il passa la porte. Une voix étouffée avait alors lancé : « Voilà boucle d’or ! »
Athos avait aussitôt tressailli et son regard avait parcouru la cour. Il y avait tout un attroupement, la voix avait raisonné comme un écho sur les murs entourant la résidence du capitaine. Il était impossible de savoir qui avait prononcé ces mots et déjà des ricanements se faisaient entendre dans les rangs des mousquetaires.

Athos frémissait de colère. Cette saillie était indigne d’un homme d’honneur. L’auteur se cachait lâchement au milieu du groupe d’aspirants, ôtant ainsi au jeune garçon la possibilité de venger cet affront. Aramis ne pouvait pas les provoquer tous en duel. Ce sobriquet, qui évoquait plus une putain qu’un combattant, allait se répandre comme une traînée de poudre. Il y avait fort à parier que les membres de nouvelle compagnie des gardes du cardinal de Richelieu qui haïssaient tant les mousquetaires allaient le reprendre.

La réputation d’un mousquetaire était plus précieuse que sa vie et au moins aussi fragile. Si un soldat pouvait être débauché, violent ou grossier, il n’avait pas le droit au ridicule. Comment ce garçon s’en remettrait-il ? On se moquait déjà beaucoup de son allure efféminée, cela allait devenir insupportable…

Aramis était pétrifié devant l’entrée. Son visage pâle avait pris une teinte cramoisie et ses lèvres tremblaient. Un brasier s’était allumé dans ses yeux tandis qu’il voyait des sourires moqueurs se dessiner sur les visages de ses camarades. Il avait jeté son chapeau et dénoué ses longs cheveux. Athos en eut le souffle coupé… Ils étaient vraiment magnifiques ! Même des femmes auraient pu les lui envier.

D’un geste vif, il avait pris le poignard qu’il gardait autour de la taille et les avait coupés… Non, coupés n’était pas le mot qui convenait, Aramis avait littéralement massacré sa chevelure. Il y avait eu quelque chose de glaçant dans la fureur méthodique avec laquelle il avait cisaillé ses cheveux, mèche après mèche… Chacun avait pu sentir la rage qui l’animait et il était clair que si l’aspirant découvrait l’auteur de cette raillerie, il le massacrerait avec la même détermination qu’il le faisait avec sa chevelure.

Quand il eut terminé, ses cheveux étaient si courts qu’il aurait été impossible d’y voir la moindre boucle et tous les sourires s’étaient effacés… « J’espère ne pas vous avoir retardé » avait-il simplement dit à Athos en rejoignant le groupe pour l’entraînement sans jeter un regard aux longues mèches dorées éparpillées comme des détritus sur le sol de la cour.

Athos n’en avait jamais parlé mais depuis ce jour-là, il avait vraiment admiré le jeune garçon. En quelques instants, Aramis avait trouvé le moyen de se sortir grandi d’une attaque lâche et cependant imparable. Il avait réussi sans dire un mot à leur montrer à tous que s’ils osaient la moindre moquerie, la violence de sa réaction serait terrible.



Athos esquissa un léger sourire et répondit :

- Croyez-vous que je ne l’avais pas remarqué ?

La jeune fille se raidit, sa gorge se noua et ses mains devinrent aussitôt moites.

- J’ai tout de suite vu que la force brute n’était pas votre point fort même si je n’irais pas jusqu’à vous comparer avec une femme, continua-t-il en riant. Cela ne vous empêche pas d’être le meilleur apprenti que j’ai entraîné.

- Avec une épée, répondit Aramis en se détendant, mais dans un combat à mains nues, je me ferais écraser très facilement.

- Levez-vous !

- Pardon ?

Athos s’était levé de sa chaise et lui tirait le bras pour qu’elle en fasse autant.

- Allez ! Bougez-vous !

Ce n’était plus le camarade qui parlait, mais l’instructeur et son ton ne souffrait aucune opposition. Aramis s’exécuta. Quand elle le vit retirer son épée, elle comprit.

- Vous voulez vous battre avec moi ?

- Je vais prendre garde à ne pas vous blesser, répondit-il d’une voix posée. Vous avez raison de ne pas exposer vos faiblesses dans l’enceinte de la compagnie, mais rien n’empêche que je vous donne quelques cours particuliers.

Le capitaine chargeait souvent Athos de l’entraînement des jeunes mousquetaires. Ce n’était guère étonnant, il était le meilleur combattant de la compagnie. Son savoir-faire et son autorité naturelle en faisaient l’enseignant idéal. Aramis voyait mal comment il pourrait lui permettre de développer sa force musculaire mais Athos était le seul homme avec le capitaine qu’elle respectait assez pour lui obéir - presque - sans discuter.

Elle lui fit face les poings serrés en sachant pertinemment qu’elle n’avait pas l’ombre d’une chance de le vaincre. Déjà qu’elle n’y arrivait pas avec une épée, avec ses pauvres petites mains, c’était de l’utopie pure !


Les poings d’Athos dansaient devant elle. Se sentait complètement empotée, elle se contentait de les éviter. Comment aurait-elle pu contre-attaquer alors qu’elle peinait déjà à se défendre ?

- Aramis, concentrez-vous un peu ! la somma-t-il. Ce n’est pas très différent d’un duel ! Si vous avez assez de force pour manier une épée, vous en avez assez pour donner un coup de poing !… Il faut que vous utilisiez tout votre corps ! Vous avez la souplesse et la rapidité !… Pensez à vous servir de vos jambes !

Le poing d’Athos s’arrêta à deux centimètres de son nez. S’il n’avait pas eu une parfaite maîtrise de ses gestes, il le lui aurait cassé. Ouvrant la main, il posa un doigt sur son nez et le poussa légèrement.

- Apprenez à protéger les zones sensibles. Quand vous vous battez à l’épée, vous savez qu’il vaut mieux un coup dans l’épaule que dans la poitrine. Songez qu’il faut raisonner de même quand on se bat à mains nues, il y a des coups qui vous feront mal mais il vous faut éviter ceux qui vous mettront à terre. Le nez est composé de tous petits os et un os brisé provoque une douleur difficilement soutenable. Soit vous apprenez à le protéger, soit vous vous le faites casser une bonne fois… mais je connais beaucoup de femmes qui seraient désespérées si on abîmait votre visage.

Aramis détourna le regard en rougissant.

- Allez, on continue !

Les attaques reprirent de plus belle.

- Vous vous considérez déjà comme vaincu, Aramis ! Battez-vous, sang dieu !

Aramis tenta quelques coups mais Athos était aussi, si ce n’était plus, rapide qu’elle. Il les évitait facilement. Elle sentait qu’il ne mettait pas toutes ses forces dans le combat et elle en était d’autant plus contrite. Concentrée sur ses bras, elle ne vit que trop tard, le mouvement que fit la jambe d’Athos pour la faucher, la jetant ainsi au sol. Avant qu’elle ait pu faire le moindre geste, le mousquetaire s’était assis à califourchon sur son ventre.

- Là, vous avez perdu. Vous êtes complètement à ma merci.

Ce n’était rien de le dire. Placé au niveau de sa taille, elle ne pouvait pas se servir de ses jambes pour se dégager et au dessus d’elle, il réduisait ses bras à l’impuissance.

- Voyez, je ne me suis pas servi de mes mains pour vous vaincre ! continua-t-il doctement. Vous auriez pu vous trouver à ma place ! Vous êtes rapide et souple et c’est pourtant comme cela que j’ai gagné ! C’était la première leçon, même dans un combat à mains nues, il n’y a pas que la force brute. Il vous faut observer votre adversaire pour saisir le moment et l’endroit opportuns le frapper. Vous possédez la plus efficace des armes et elle est là !

Son index appuya le front de la jeune fille.

- Pourriez-vous vous lever, Athos ? demanda-t-elle d’une voix qu’elle espérait assurée.

Elle essayait de se concentrer sur ses paroles mais cette proximité forcée l’embarrassait. Elle craignait plus que tout que, malgré les épaisseurs de vêtements, il ne remarque que certaines parties de son corps étaient bien trop douces pour un homme. Même si elle n’avait pas été une femme, cette posture était des plus humiliantes…

Pourtant, elle devait admettre que le plus honteux était le fait qu’Athos ait parfaitement raison. Elle s’était montrée lamentable dans ce combat. Même si elle doutait de pouvoir jamais battre Athos, elle aurait dû mettre toute son énergie pour au moins perdre honorablement. Elle méritait bien de se retrouver dans cette position humiliante.

Athos se releva et lui tendit la main.

- Gardez bien cela à l’esprit, dit-il quand elle lui fit face. Qu’on se batte avec une épée, ses mains ou avec des mots, on combat avant tout avec sa tête. Vous êtes assez intelligent pour pouvoir faire mordre la poussière à n’importe quel adversaire mais il vous faut lutter avec la même ténacité que vous avez l’épée à la main.

- Désolé Athos, j’ai été pitoyable. La prochaine fois, je me battrais mieux… même si je doute pouvoir jamais vaincre un adversaire comme Porthos au corps à corps.

- Allons, même Porthos a des points faibles… répondit le mousquetaire, esquissant un sourire en imaginant le jeune chérubin blond face au colosse. Pensez toujours que vous pouvez gagner !

- Oui, je pourrais le faire manger jusqu’à ce qu’il s’écroule, dit-elle d’un air candide avant qu’ils n’éclatent de rire tous les deux.
Review Première mission


Disclaimer .:: géré par Storyline v1.8.0 © IO Designs 2002 ::. Design adapté par korr